Accompagner les familles autochtones

Anne Panasuk

Anne Panasuk

Crédit : Pat Lachance

En 5 secondes

L’ex-journaliste Anne Panasuk poursuivra son travail de sensibilisation et de réconciliation grâce à son nouveau rôle de conseillère spéciale.

L’ancienne journaliste de l’émission Enquête Anne Panasuk a décidé de sortir de sa retraite pour occuper le poste de conseillère spéciale en matière de soutien aux familles d’enfants autochtones disparus ou décédés.

C’est en 2014 qu’Anne Panasuk a mis au jour, dans un reportage, la disparition de huit enfants de la communauté innue de Pakuashipi, sur la Basse-Côte-Nord, qui ne sont jamais revenus de l’hôpital de Blanc-Sablon, où ils avaient été admis. Après la diffusion du reportage, d’autres familles (innues, attikameks, anichinabés, cries) l’ont contactée pour lui faire part d’une réalité semblable. «J’ai réalisé que les hôpitaux ne collaboraient pas tous aussi bien», raconte-t-elle.

Si Anne Panasuk a pu fouiller l’histoire grâce à ses outils de journaliste, l’entrée en vigueur du projet de loi no 79 sur le soutien aux familles d’enfants autochtones disparus ou décédés fait tomber plusieurs barrières et permet l’accès à tout document susceptible d’apporter des réponses aux familles. «Là, j’aurai les outils pour répondre aux questions des familles», affirme-t-elle. C’est pourquoi elle a accepté le poste de conseillère spéciale, à la demande du ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, et avec l’appui des familles autochtones.

Poursuivre son travail de sensibilisation

Diplômée en anthropologie de l’Université de Montréal, Anne Panasuk a travaillé à Radio-Canada pendant 38 ans, dont 10 dans l’équipe d’Enquête. Son mémoire de maîtrise, sous la direction de Rémi Savard, portait sur les Innus de la Côte-Nord, communautés qu’elle continue de fréquenter depuis une quarantaine d’années. Sa grande connaissance des communautés et des enjeux autochtones l’a amenée à former les artisans de l’information de Radio-Canada sur ces questions.

Depuis deux ans, Anne Panasuk donne également des conférences dans le cadre du cursus sur la santé autochtone de l’UdeM. «On commençait à parler de sécurisation culturelle. Il est important que les étudiantes et étudiants en médecine soient informés et qu’ils réalisent qu’ils ont des opinions préconçues. Ils doivent y réfléchir parce qu’ils sont en position d’autorité», remarque-t-elle. Comme l’a révélé l’histoire de Joyce Echaquan, les Autochtones font face à des situations discriminatoires dans les hôpitaux, en plus de vivre, encore aujourd’hui, avec un traumatisme intergénérationnel et un sentiment de méfiance à l’égard des institutions coloniales.

Des enfants disparus

Les relations avec les institutions québécoises sont ainsi historiquement tendues, que ce soit en éducation (les pensionnats) ou en santé (les établissements de santé étaient souvent gérés par des communautés religieuses).

Le projet de loi no 79 a été adopté non seulement en reconnaissance de la réalité de nombreux enfants dont les familles ont perdu la trace après leur hospitalisation, mais aussi pour autoriser la communication de renseignements personnels aux familles d’Autochtones disparus. La Loi sur les services de santé et les services sociaux interdit par exemple de donner des renseignements à la fratrie ou lorsque le patient est majeur. «Ça produit des situations kafkaïennes», lance Mme Panasuk. Comme leur enfant a disparu, les familles n’ont pas de certificat de décès et se voient donc refuser le droit d’accès à des renseignements sous prétexte que l’enfant est peut-être maintenant majeur (et que c’est donc lui qui devrait en faire la demande… alors qu’on a perdu sa trace). Ces disparitions se seraient déroulées des années 50 jusqu’à tout récemment – la Loi permet de rechercher des enfants disparus jusqu’en 1992.

Donner des réponses aux familles

Le projet de loi fait tomber les obstacles érigés par différentes lois (sur la Régie de l’assurance maladie, les services de santé et les services sociaux, l’accès à l’information, etc.). Mme Panasuk et son équipe pourront donc recueillir des renseignements médicaux, fouiller les archives religieuses, obtenir des informations d’inhumation et même, éventuellement, faire exhumer des corps. L’équipe pourra ainsi établir si l’enfant a été adopté1 ou s’il est décédé, quels sont la cause du décès et l’endroit où il est inhumé. Certains établissements de santé et les pensionnats – de ressort fédéral – ne sont pas touchés par la nouvelle loi. «Mais je pense que le fédéral va collaborer», ajoute-t-elle. C’est d’autant plus probable que ces questions sont brûlantes d’actualité, avec les récentes découvertes à Kamloops et à Marieval.

Mme Panasuk recrute présentement les membres de son équipe, qui effectueront les démarches administratives et qui accompagneront les familles (notamment pour leur expliquer le contenu des documents médicaux). Elle agira en tant que superviseuse. Elle possède par ailleurs les pouvoirs d’un commissaire et peut exiger d’un ministère certaines informations ou obliger des personnes à témoigner. Un comité de suivi sera également mis sur pied.

Grâce à ces développements, Anne Panasuk pourra finir le travail entamé au cours de ses années de journalisme. «Je le fais toujours pour les mêmes raisons: trouver des réponses pour les familles. Je souhaite aussi réveiller les gens: on a agi comme ça, on s’est permis de ne pas donner d’information aux parents. Tout le travail qu’on entreprendra, c’est pour que les familles puissent faire leur deuil et retrouvent une certaine dignité.» Un autre pas, l’espère-t-on, vers la réconciliation.

 

1. En effet, des enfants déclarés morts par l'hôpital ont plutôt été adoptés par des familles blanches.