Ce que nous apprend l’histoire sur la vaccination et sur le passeport vaccinal

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L’historienne et professeure de l’UdeM Laurence Monnais partage son expertise pour analyser la situation vaccinale actuelle.

Laurence Monnais

Passeport vaccinal en vigueur, vaccination obligatoire pour les travailleurs de la santé, cap sur la vaccination des enfants: la quatrième vague suscite questions et réflexions. L’histoire peut-elle nous offrir ses lumières?

Laurence Monnais, historienne de la médecine et professeure à la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, jette un regard historique sur les enjeux actuels liés à la vaccination.

Nouvelle réalité depuis le 1er septembre, le passeport vaccinal semble être une mesure historique au Québec. Est-ce vraiment le cas?

Le terme passeport est un peu problématique. Dans le monde moderne et les représentations populaires, un passeport sert à traverser des frontières. Au Québec, ce passeport sert plutôt à franchir certaines portes, comme celles des salles d’entraînement, des bars, des restaurants, etc. On revient, certes, à l’étymologie du mot sans pour autant rendre compte d’une réalité fondamentale: le fait de devoir prouver son statut vaccinal pour se déplacer extra-muros, quels que soient les murs, a une histoire ancienne et vivante. Nombreux sont les pays qui exigent certains vaccins pour laisser entrer les visiteurs. Nombreux sont les étudiants étrangers, voyageurs et migrants qui ont fait cette expérience à plusieurs reprises au cours de leur vie. Pour le dire autrement, il faut démythifier ce que certains voient comme une entrave à leur liberté de mouvement, voire à leur liberté tout court.

Dans une optique de réduction des contaminations, diriez-vous que le passeport vaccinal est une mesure pertinente?

Oui et non. Personnellement et comme historienne, je suis contre l’obligation vaccinale. Ici, je fais cependant la distinction entre l’obligation vaccinale et les formes de passeports vaccinaux qui concernent des endroits ou des catégories socioprofessionnelles, les professionnels de la santé en particulier. Le passeport actuellement en vigueur au Québec n’est pas une obligation vaccinale, mais plutôt une incitation, puisqu’il cible des lieux où personne n’est obligé de se rendre.

Une vraie obligation – pour entrer à l’université, à l’hôpital, pour recevoir des services essentiels – pose des questions particulières et, surtout, une question fondamentale: sommes-nous tous égaux devant cette obligation? Peut-on partir du principe que personne n’est spolié dans l’imposition d’une telle obligation? La réponse doit être nuancée parce que non, la vaccination n’est pas seulement une question de conviction – de sa valeur, de son efficacité –, c’est également une question d’accessibilité. Pour des raisons culturelles, économiques et géographiques, le fait d’aller se faire vacciner peut poser un problème. Ne pas porter attention à ces réalités peut éventuellement instaurer un régime de double peine, constituer à tout le moins un obstacle supplémentaire à la bonne santé individuelle et collective et surcharger un quotidien déjà lourd et difficile – sur le plan du travail, de la gestion de la famille –, voire entraîner des conditions de vulnérabilité parfois extrêmes.

Vous venez de faire mention de l’obligation vaccinale en milieu universitaire. Que pensez-vous du choix des universités québécoises de ne pas l’instaurer?

La question des campus est complexe et c’est pourquoi elle suscite aujourd’hui de vifs débats. L’obligation vaccinale a l’air simple, on se dit «il n'y a pas assez de gens vaccinés, on va les obliger à recevoir le vaccin et les taux vont augmenter». Pourtant, l’histoire de l’obligation vaccinale au Québec et ailleurs nous prouve que cela ne fonctionne pas nécessairement en ces termes. Prenons l’exemple des États-Unis, où il faut être vacciné contre certaines maladies infantiles pour entrer à l’école ou à l’université justement. Malgré cette obligation, les taux de vaccination dans la majorité des États américains sont plus faibles qu’au Québec. Pourquoi? Pour deux raisons.

Tout d’abord, pour rendre la vaccination obligatoire, il faut s’en donner les moyens, il faut s’assurer de pouvoir concrétiser cette obligation, de la faire passer du texte à l’action et à la surveillance. Imaginez les campus de l’Université de Montréal: pour l’imposer concrètement, il faudrait du personnel et des outils technologiques, en plus de veiller à ce qu’à toutes les entrées de tous les campus on soit en mesure de valider le statut vaccinal dans un espace à priori considéré comme un lieu ouvert. Et si l’on impose la vaccination et qu’elle n’était pas observée ou observable, le geste ne servirait qu’à polariser les positions, peut-être qu’il pousserait certains à ne plus vouloir aller en cours ou enseigner. Dès lors, la mise en œuvre de la mesure viendrait en quelque sorte contredire l’esprit de l’obligation, à savoir protéger le mieux possible une communauté.

Ensuite, quand on regarde l’histoire de la législation liée à la vaccination obligatoire, on tombe souvent sur ce qu’on appelle des exemptions, soit la possibilité de ne pas se soumettre à l’obligation, pour des raisons médicales, mais aussi religieuses et philosophiques. Cette petite porte, qui est censée ne concerner qu’une infime partie de la population, un certain nombre de parents et de professionnels de la santé s’y engouffrent, parfois assez facilement, avec des résultats sur les taux de vaccination qu’on peut imaginer. Ce genre d’«offensive préventive» fonctionne, quoi qu’il en soit, toujours moins bien que les efforts qui privilégient l’information, l’éducation, le dialogue bienveillant et des systèmes de santé qui portent véritablement attention aux inégalités sociales et aux vulnérabilités individuelles et collectives.

Vous parlez d’incitatifs et d’éducation; quelles sont, selon vous, les pistes de solution plus durables et inclusives pour inciter à la vaccination?

Je pense en effet que les démarches qui relèvent de l’incitatif plus «doux», de l’éducation et, surtout, du renforcement des conditions d’accessibilité à la vaccination sont bien plus constructives, efficaces et pérennes. Par exemple, les cliniques de vaccination éphémères proposées à l’Université de Montréal constituent une excellente initiative. Elles permettent de rendre accessible concrètement, visuellement et géographiquement la vaccination pour l’ensemble de la communauté universitaire tout en donnant au moins la possibilité de converser, entre étudiants et enseignants, sur la pertinence et la valeur de la vaccination. En discuter sainement et sereinement est toujours porteur.

Je lance aussi l’idée de créer des cours d’éducation à la vaccination, un cours «vaccination 101» qui répondrait à toutes sortes de questions avec transparence et pédagogie: qu’est-ce qu’un vaccin? À quoi sert la vaccination de masse? Qu’est-ce que l’immunité de groupe? Pourquoi y a-t-il des effets secondaires? Comment fonctionne le système immunitaire? Je le vois offert gratuitement, de façon ludique et transdisciplinaire aux jeunes des écoles secondaires et des cégeps, mais aussi en milieu de travail. Il nous faut davantage de connaissances communes et partagées sur le sujet.

Finalement, tâchons de garder en tête que les individus qui rejettent systématiquement la vaccination forment une toute petite portion des gens non vaccinés. La plupart de ceux et celles qui ne sont pas vaccinés à ce jour sont sceptiques – à l’endroit des effets secondaires du produit qu’on leur propose, de l’État qui décide – ou n’ont pas le temps d’aller se faire vacciner. Ces scepticismes et ces problèmes d’accès sont des enjeux auxquels nous pouvons répondre.

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