Non vaccinés: les enfants ne vont pas bien

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Près de 10 millions d'enfants de pays pauvres n'ont jamais été vaccinés contre une quelconque maladie infectieuse. Ces enfants «zéro dose» sont une leçon pour nous tous, dit Mira Johri, de l'UdeM.

Près de 10 millions d'enfants de pays à faible revenu comme le Nigeria et le Pakistan n'ont jamais été vaccinés, ce qui les rend vulnérables à des maladies potentiellement mortelles comme la poliomyélite, la rougeole et la pneumonie. Deux tiers de ces enfants «zéro dose» vivent sous le seuil de pauvreté international, leurs familles subsistant avec moins de 2,35 $ par jour dans des villages pauvres, des bidonvilles urbains ou des zones de conflit.

Cependant, au cours des 20 dernières années, des organisations internationales, sous l'impulsion de Gavi, l'Alliance du vaccin, en partenariat avec des gouvernements nationaux, l'Organisation mondiale de la santé et l'UNICEF, ont fait en sorte que beaucoup plus d'enfants des pays pauvres d'Afrique et d'ailleurs bénéficient de vaccinations de routine: 81 % aujourd'hui contre 59 % en 2000.

Et cela a eu une incidence majeure: une baisse de 70 % en deux décennies de la mortalité infantile due aux maladies évitables par la vaccination. En tant que donateur principal de Gavi, le Canada a joué un rôle important dans cette réussite.

Mira Johri

Mais qu'en est-il des causes profondes de la non-vaccination des jeunes? Le problème est-il uniquement le fait de la pauvreté, de l'incapacité des gouvernements nationaux et de leurs services de santé publique à atteindre les communautés les plus vulnérables ou simplement de l'incapacité à surmonter des désavantages sociaux profondément enracinés?

Une étude canado-indienne portant sur des dizaines de milliers d'enfants en Inde n'ayant reçu aucun vaccin donne quelques réponses.

Publiée aujourd'hui dans le Lancet Global Health et dirigée par Mira Johri, professeure de santé publique à l'Université de Montréal, avec ses collègues S. V. Subramanian, de l'Université Harvard, et Sunil Rajpal, de l'Université FLAME à Pune, l'étude analyse des données d'enquêtes nationales réalisées entre 1992 et 2016 pour mieux comprendre comment les inégalités sociales, économiques et géographiques en Inde ont fait en sorte que les enfants restent non vaccinés.

Près de 73 000 bébés

Les chercheurs ont étudié les données de près de 73 000 bébés âgés de 12 à 23 mois, l'âge standard auquel les données sur la vaccination sont évaluées, au cours de quatre cycles d'enquête. Ils ont constaté que l'Inde avait fait d'énormes progrès pour vacciner les enfants: la proportion d'enfants n'ayant reçu aucun vaccin a été réduite par trois en un quart de siècle, passant de 33 % en 1992 à 10 % en 2016. 

Mais les chercheurs ont également noté que, en 2016, les enfants non vaccinés étaient ceux de groupes les plus défavorisés, notamment les ménages aux revenus les plus faibles, et les enfants nés de mères sans éducation formelle.

De plus, par rapport aux enfants vaccinés, les enfants zéro dose étaient plus susceptibles de souffrir de malnutrition. Par exemple, en 1992, 41 % des enfants zéro dose présentaient un important retard de croissance, contre 29 % des enfants vaccinés; en 2016, les chiffres avaient diminué, mais restaient disproportionnés, soit 25 % des enfants zéro dose présentant un retard de croissance marqué contre 19 % des enfants vaccinés.

Au total, en 2016, il y avait environ 2,9 millions d'enfants zéro dose en Inde, concentrés dans les États et districts moins développés et dans plusieurs zones urbaines.

«Sur une période de 24 ans en Inde, le statut d'enfant zéro dose a été façonné par des inégalités sociales à grande échelle et est resté un marqueur constant de vulnérabilité généralisée, ont conclu les chercheurs. Les interventions qui s'attaquent à ce cycle d'inégalités intergénérationnelles devraient être prioritaires.»

À l'UdeM, la professeure Johri, qui est citoyenne indienne d’outre-mer, a souligné le caractère unique du son travail et de celui de ses collègues: «C'est la première fois qu'on montre les tendances globales relatives aux enfants zéro dose au fil du temps, à l'échelle mondiale et en Inde.»

S. V. Subramanian, professeur de santé des populations et de géographie à l’Université Harvard, ajoute: «Au cours des 24 années dont nous avons analysé les données, la proportion d'enfants n'ayant reçu aucun vaccin en Inde a diminué d'un peu plus de 23 % en termes absolus, avec des réductions plus rapides chez les plus démunis. Il s'agit là d'une formidable réussite nationale.»

Cependant, a dit Sunil Rajpal, professeur adjoint d’économie à l’Université FLAME, «ces enfants se trouvent dans les groupes socialement défavorisés, notamment les ménages ruraux, les ménages les plus pauvres, chez les musulmans, auprès de mères moins instruites et de femmes enceintes qui ne bénéficient pas pleinement des services de santé».

Plus globalement, l'expérience indienne laisse entendre que «le statut de vaccination zéro dose des enfants est un marqueur important de vulnérabilité lié à un désavantage systématique au cours de la vie, a soutenu Mira Johri. Cibler les enfants zéro dose et intervenir précocement pour atténuer les sources complexes de désavantage auxquelles ils sont confrontés a le potentiel de transformer l’avenir de ces jeunes et de combattre les inégalités intergénérationnelles. Cela devrait être une priorité absolue pour la communauté internationale».

À propos de cette étude

L’article «Progress in reaching unvaccinated (zero-dose) children in India, 1992-2016: a multilevel, geospatial analysis of repeated cross-sectional surveys», par Mira Johri, Sunil Rajpal et S. V. Subramanian, a été publié le 16 novembre 2021 dans le Lancet Global Health.

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