Se préparer aux pandémies: l'approche Une seule santé
- UdeMNouvelles
Le 29 novembre 2021
- Jeff Heinrich
Alors que des experts en matière de pandémie se réunissent à l’OMS, Hélène Carabin, épidémiologiste à l'UdeM, discute d'un important document d'orientation dont elle est l'auteure principale.
Pendant trois jours cette semaine, les décideurs de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) se réunissent en assemblée extraordinaire: avec la COVID-19 et ses variants encore très présents dans l'actualité, la pandémie demeure un sujet incontournable.
Un des dossiers à l'ordre du jour concerne un concept appelé «Une seule santé», qui considère que la santé de tous les êtres vivants résulte de la relation entre les humains, les animaux et leur environnement.
La professeure Hélène Carabin, épidémiologiste à la Faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal et à l'École de santé publique de l’UdeM, est la coauteure principale d’un document d’orientation de 30 pages sur le sujet.
Avec six collègues des universités d'Ottawa, du Nouveau-Brunswick et d'autres en Allemagne, en Norvège et au Ghana, elle plaide pour que les animaux et l'environnement fassent partie de l'équation humaine dans la planification des futures pandémies.
Nous avons voulu en apprendre davantage sur cette question.
Tout d'abord, en quelques mots, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le concept Une seule santé?
Dans notre mémoire, nous nous sommes largement inspirés de la vision d'Une seule santé adoptée par l'OMS, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture et l'Organisation mondiale de la santé animale – ce qu'on appelle la collaboration tripartite. Nous l'avons adaptée à notre propre perspective avec ces mots: l'approche Une seule santé reconnaît que la santé de tous les organismes vivants est interdépendante, qu'elle est le produit des liens entre les humains, les animaux, les plantes et l'environnement qu'ils partagent. La pandémie de COVID-19 et d'autres maladies infectieuses émergentes ainsi que les zoonoses endémiques bien établies et la menace permanente de la résistance aux antimicrobiens démontrent l'importance de la relation entre la santé des animaux et celle des humains, dans la mesure où ils interagissent avec et dans leur environnement commun, et l'urgence de relever les défis de la santé humaine, de la santé animale et de la santé environnementale de manière holistique.
Le SRAS-CoV-2 est génétiquement analogue à un virus circulant chez les chauves-souris qui se serait propagé dans les marchés d'animaux vivants en Chine. Comment une approche Une seule santé aurait-elle pu empêcher sa propagation?
Le fait que des agents infectieux puissent contaminer plusieurs espèces animales, y compris l'espèce humaine, n'est pas nouveau. Nous savons très bien maintenant que cela s'est produit à de nombreuses reprises. Par exemple, le VIH [virus de l’immunodéficience humaine] est le résultat de multiples évènements indépendants de transmission du VIS [virus de l’immunodéficience du singe] des primates aux humains. La grippe espagnole était très probablement une grippe aviaire qui a d'abord été transmise aux porcs qui ont ensuite infecté les humains. L'approche Une seule santé aurait pu empêcher la propagation du SRAS-CoV-2 grâce à la présence de solides systèmes de surveillance intégrés multiespèces. Les systèmes intégrés signifient que des personnes de différents secteurs communiquent et travaillent ensemble pour mettre en place un programme de surveillance où il y a une stratégie d'échantillonnage et des tests communs, où les données sont partagées et où les décisions sont prises à la lumière des informations provenant de tous les secteurs. Il existe très peu d'exemples de tels systèmes dans le monde. Dans notre mémoire, nous mentionnons bien le cas du Système mondial de surveillance et d'intervention contre la grippe, qui favorise le signalement par la communauté de la santé animale des souches émergentes de grippe chez l’humain. Ce qui serait encore mieux, mais qui n'existe pas encore, ce sont des systèmes de surveillance grâce auxquels les facteurs d'émergence des infections parmi différentes espèces – y compris nous – pourraient également être surveillés et partagés, ce qui pourrait contribuer à prévenir la propagation des infections entre les espèces.
Les travaux de cette semaine à l'OMS sont consacrés à l'élaboration d'un «traité sur les pandémies». Comment souhaiteriez-vous qu'il intègre le concept Une seule santé?
Il est important que les gens à travers le monde réalisent que tout est lié, surtout lorsqu'il s'agit de la transmission d'agents infectieux. Au cours des dernières décennies, il a été démontré qu'environ 75 % de toutes les infections émergentes avaient une origine animale. Et nous découvrons de plus en plus que des agents que nous croyions «uniquement humains» étaient en fait d'origine animale. Il est aussi important de réaliser que la transmission ne se fait pas toujours de l'animal à l'humain. En ce moment, les humains transmettent la COVID-19 à des chats, des chiens et des cerfs; les agents infectieux zoonotiques peuvent se propager dans n'importe quelle direction. Dans notre mémoire, nous soutenons qu'une structure mondiale permanente Une seule santé devrait être créée pour fournir des conseils sur la manière dont l'approche Une seule santé devrait être mise en œuvre avec le soutien d'une architecture de financement qui lui serait spécifique. Nous recommandons également l'élaboration de principes clairs Une seule santé pour la prévention des pandémies.
Vous qui enseignez Une seule santé à l'UdeM et qui êtes titulaire de la Chaire de recherche du Canada en épidémiologie et Une seule santé, comment voyez-vous l'évolution de votre domaine?
Je suis d'un optimisme prudent quant à ce qui se passera au cours de la prochaine décennie, car les mentalités commencent à peine à changer. La pandémie, malgré tous ses effets négatifs, a sensibilisé les parties prenantes et le public aux relations entre les animaux, les humains et leur environnement. Ce qui me réjouit, c'est de voir notre université bousculer son cloisonnement traditionnel des champs d’activité pour adopter des approches de résolution de problèmes plus interdisciplinaires. Je suis convaincue que la population canadienne sera fière que le pays signe le traité de l'OMS sur les pandémies et y adhère, en plus d'y inclure l'approche Une seule santé afin de prévenir une future pandémie avant qu'il soit trop tard.
À propos du document d’orientation
Le mémoire One Health as Pillar for a Transformative Pandemic Treaty, par Hélène Carabin et ses collègues, fait partie d'une série de notes d'orientation écrites en vue de la rédaction d'un traité de l'OMS sur les pandémies. Cette série est coordonnée par le Global Health Centre de l'Institut universitaire de hautes études internationales et du développement, à Genève. Pour plus d'informations, consultez le site www.governingpandemics.org.