Des films de Noël féministes et queers, c’est possible?
- UdeMNouvelles
Le 21 décembre 2021
- Béatrice St-Cyr-Leroux
La professeure Joëlle Rouleau, spécialisée en études de genre, livre une analyse féministe et queer du cinéma du temps des fêtes.
De la neige en carton, de la musique mielleuse, un retour dans sa ville natale, des parents nantis et qui s’ingèrent dans la vie de leurs enfants, un personnage principal esseulé qui trouve (enfin!) l’amour, le couple comme seule finalité: les films de Noël débordent de clichés tantôt sexistes, tantôt hétéronormatifs, toujours simplistes.
Ces classiques du temps des fêtes, qui nous procurent pourtant réconfort et légèreté, pourraient-ils être féministes et queers? Nous avons posé la question à une spécialiste en la matière, la professeure du Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal Joëlle Rouleau.
Chercheuse et documentariste queer, elle s’intéresse aux enjeux de genre et de sexualité, aux féminismes, à l’intersectionnalité et à la théorie queer. Pour elle, les films de Noël sont des «lieux collectifs qui créent un rapport nostalgique et un sentiment d’appartenance à une société ou une culture donnée».
À ce chapitre, la chercheuse rappelle que les références à l’imaginaire partagé sont très souvent basées sur des stéréotypes. «Les films de Noël n’y font pas exception, ils présentent un concept clés en main qui raconte toujours la même histoire et, qui plus est, met très souvent en scène une relation hétérosexuelle toxique», ajoute-t-elle.
D’abord, repenser les récits
Pour Joëlle Rouleau, il existerait plusieurs façons de rendre les films de Noël plus queers, à commencer par une révision complète de la mécanique. «Dans une perspective de lutte collective et selon une position théorique et culturelle queer, il faut envisager un changement de culture général, plutôt qu’un simple remplacement des personnages habituels par des protagonistes queers ou appartenant aux communautés LGBTQ+.»
Bref, racontons d’autres histoires, tout simplement. «Des histoires qui ne présentent pas nécessairement l’amour monogame comme seul objectif valable; on nous propose des films où les peines amoureuses ne sont consolées que par d’autres rencontres et où le couple – très souvent hétérosexuel – devient une institution», croit Joëlle Rouleau.
La professeure tient toutefois à préciser qu’elle ne souhaiterait pas forcément faire disparaître les couples hétérosexuels des films de Noël, mais bien moduler la trame narrative. Comme autres thèmes, elle propose de parler d’amitiés, de famille choisie – un concept qui cherche à reconnaître les différentes modalités de filiation – ou encore de sujets plus socialement engagés, comme la surconsommation liée à la période des fêtes.
Nous pourrions nous inspirer des films pour enfants qui ont souvent des messages codés et des sous-textes qui font réfléchir. «Subvertissons les cadres normatifs. Pourquoi pas un film sur la décroissance et la crise climatique sur fond de Noël? Je lance l’idée!» suggère-t-elle en riant.
Revoir son rôle comme téléspectateur
Une autre façon de faire de son visionnement de films de Noël une expérience queer est d’interagir différemment avec cette culture, pense Joëlle Rouleau. «On peut avoir un rapport négocié avec le cinéma de Noël. Par exemple, en tant que féministe et personne queer, j’aime me réapproprier des produits culturels qui ne s’adressent pas à moi, comme le film Réellement l’amour (2003). À mes yeux, c’est le pire film de l’univers. Mais tous les ans, avec des amies, on l’écoute et ça devient une activité queer, puisqu’on critique tout et l’on rit beaucoup. On le rend queer en le sortant de son contexte.»
Elle utilise la même tactique lorsqu’elle regarde des matchs de football avec son père, qu’elle transforme dans sa tête, à la blague, en «représentation homoérotique d’une masculinité virile». Pour la chercheuse, il est donc possible de s’intéresser à une culture problématique, à condition de la mettre en question, de ne pas seulement la recevoir de façon passive.
«Je pense que nous pourrions apposer sur quelques films de Noël le même genre d’avertissement que nous trouvons maintenant sur certains vieux films de Ciné-Cadeau, pour prévenir que des sujets ont été traités d’une façon aujourd’hui inadéquate. Ainsi, on nous invite à apprendre tout en nous conviant à être attentifs et critiques.»
Et si tout cela ne fonctionne pas?
Les films de Noël continuent à vous faire rouler les yeux? Faites comme Joëlle Rouleau et créez vos propres traditions cinématographiques du temps des fêtes. Par exemple, elle écoute tous les Noëls Le parc jurassique (1993), un classique qu’elle aime et qu’elle lie à l’enfance.
Autrement, si vous cherchez des films un peu «anti-Noël», vous pourriez essayer Les yeux grand fermés (1999) de Stanley Kubrick, un drame mêlant adultère et mystère sur fond de temps des fêtes. Ou encore Carol (2015) de Todd Haynes, une histoire d’amour complexe entre deux femmes qui s’inspire du cinéma hollywoodien pour en détourner le sens. Un «classique de Noël queer» pour Joëlle Rouleau!