Ce que les écureuils qui hibernent peuvent apprendre aux astronautes

En étudiant l’écureuil terrestre à 13 lignes, commun en Amérique du Nord, Matthew Regan a confirmé une théorie connue sous le nom de «récupération de l'azote par l'urée» et qui remonte aux années 80.

En étudiant l’écureuil terrestre à 13 lignes, commun en Amérique du Nord, Matthew Regan a confirmé une théorie connue sous le nom de «récupération de l'azote par l'urée» et qui remonte aux années 80.

En 5 secondes

La façon dont les écureuils terrestres hibernent sans perte de masse musculaire pourrait aider aux voyages dans l’espace, selon un biologiste de l'UdeM.

Lorsque les ours et les écureuils terrestres hibernent, ils cessent de manger et se contentent, jusqu'au printemps, des réserves de graisse qu'ils ont emmagasinées dans leur corps. Habituellement, ce genre de jeûne et d'inactivité prolongés réduirait considérablement la masse et la fonction des muscles, mais les hibernants ne subissent pas cet effet négatif. La façon dont ils l'évitent reste cependant inexpliquée.

Aujourd'hui, dans une recherche que publie la revue Science, un biologiste de l'Université de Montréal lève le voile sur ce mystère, et ses conclusions pourraient avoir des répercussions sur l'avenir des voyages dans l'espace. En étudiant l’écureuil terrestre à 13 lignes, commun en Amérique du Nord, Matthew Regan a confirmé une théorie connue sous le nom de «récupération de l'azote par l'urée» et qui remonte aux années 80.

Selon cette théorie, les hibernants exploitent une astuce métabolique de leurs microbes intestinaux pour recycler l'azote présent dans l'urée, un déchet habituellement excrété sous forme d'urine, et pour l'utiliser afin de fabriquer de nouvelles protéines tissulaires.

Comment cette découverte pourrait-elle être utile dans l'espace? Théoriquement, selon Matthew Regan, en aidant les astronautes à atténuer leurs problèmes de perte musculaire causés par la suppression de la synthèse des protéines que provoque la microgravité et auxquels ils essaient de remédier en faisant des exercices intensifs.

Si l'on trouvait un moyen d'augmenter les processus de synthèse des protéines musculaires des astronautes en faisant appel à la récupération de l'azote dans l'urée, les astronautes pourraient avoir une meilleure santé musculaire pendant les longs voyages dans l'espace à bord de vaisseaux trop petits pour contenir le matériel d'exercice habituel.

«Comme nous savons quelles protéines musculaires sont supprimées pendant les vols spatiaux, nous pouvons comparer ces protéines avec celles qui sont renforcées par la récupération de l'azote uréique pendant l'hibernation», a déclaré Matthew Regan, qui a mené ces recherches alors qu'il était postdoctorant à l'Université du Wisconsin à Madison.

Le jeune chercheur poursuit maintenant ses travaux à l’UdeM grâce à une subvention de recherche de l'Agence spatiale canadienne. Depuis l'an dernier, il occupe le poste de professeur adjoint en physiologie animale au Département de sciences biologiques.

«Si, poursuit-il, il y a un chevauchement entre les protéines supprimées pendant les vols spatiaux et celles de l'hibernation, alors cela laisse entendre que ce processus peut avoir des avantages pour la santé musculaire des astronautes.»

Une série d’expériences

Matthew Regan

Dans leur étude, Matthew Regan et son équipe ont conçu une série de techniques et d'expériences pour étudier les principales étapes du processus de récupération de l'urée et prouver qu'elles se produisent ou non chez l’écureuil terrestre à 13 lignes lorsqu'il hiberne.

Pour ce faire, l’équipe a injecté dans le sang de ses écureuils de laboratoire de l'urée «doublement marquée», ce qui signifie que l'atome de carbone de l'urée était du carbone 13 au lieu du carbone 12 habituel et que ses atomes d'azote étaient de l’azote 15 au lieu de l’azote 14 habituel. Ces étiquettes ont permis de suivre le carbone et l'azote de l'urée à travers les différentes étapes du processus de récupération de l'azote uréique.

Ce processus, a découvert l'équipe de recherche, va du transport initial de l'urée du sang vers l'intestin à la décomposition de l'urée par les microbes de l'intestin, au flux de substances – appelées métabolites – contenant de l'azote uréique retournant dans l'animal et enfin à l'apparition de cet azote uréique dans les protéines des tissus.

«Essentiellement, la présence de carbone 13 ou d’azote 15 dans les métabolites à ces différentes étapes indique qu'ils proviennent de l'urée et donc que l'hibernant utilise la récupération de l'azote uréique», a mentionné Matthew Regan.

Il a mené ses expériences sur des écureuils avec et sans microbiomes intestinaux à trois moments de l'année: en été, lorsqu'ils étaient actifs; au début de l'hiver, lorsqu'ils étaient à jeun et en hibernation depuis un mois; et à la fin de l'hiver, lorsqu'ils étaient à jeun et en hibernation depuis quatre mois.

Résultats sans appel

Les résultats sont sans appel: à chaque étape du processus, les écureuils dont le microbiome intestinal est intact ont récupéré l'azote uréique.

Il est important de noter que les écureuils dont les microbiomes intestinaux étaient appauvris ne présentaient aucun signe de récupération de l'azote uréique à aucune étape, ce qui confirme que ce processus dépend entièrement de la capacité des microbes intestinaux à dégrader l'urée, ce que les écureuils eux-mêmes ne peuvent pas faire.

Matthew Regan et son équipe ont également fait deux autres découvertes importantes:

  • Premièrement, l'incorporation de l'azote uréique dans les protéines tissulaires des écureuils était le plus élevée à la fin de l'hiver, ce qui porte à croire que la récupération de l'azote uréique s’accroît à mesure que la saison d'hibernation avance. Ce mécanisme diffère de la plupart des processus physiologiques durant l'hibernation, qui ont tendance à être considérablement réduits.
  • Deuxièmement, il a été prouvé que les microbes eux-mêmes utilisaient l'azote uréique pour fabriquer leurs propres protéines, ce qui leur est utile, car comme l'écureuil ils sont dans des conditions d'hibernation à jeun. Ainsi, l'écureuil et ses microbes bénéficient de la récupération de l'azote uréique, ce qui fait de ce processus une véritable symbiose.

Cela signifie, selon Matthew Regan, que les écureuils se réveillent au printemps en bonne forme. C'est important, car la seule saison d'accouplement de l'année, qui est une période d'activité physique intense pour les mâles et les femelles, débute juste après leur sortie d'hibernation. La fonction des tissus – en particulier celle des tissus musculaires – est donc très importante pour la réussite de la reproduction.

«En facilitant la synthèse des protéines musculaires à la fin de l'hibernation, la récupération de l'azote uréique peut aider à optimiser la fonction musculaire des écureuils au sortir de l’hiver et contribuer à leur succès reproductif pendant la saison des amours», a dit Matthew Regan. Ainsi, la récupération de l'azote uréique peut améliorer la condition biologique globale des animaux.

Les populations affamées et les personnes âgées

Au-delà des conséquences pour les voyages dans l'espace et la santé des astronautes, la découverte de Matthew Regan pourrait avoir des retombées plus immédiates ici même sur Terre: chez les populations affamées des pays en voie de développement et chez les personnes âgées.

Des centaines de millions de personnes dans le monde subissent une fonte musculaire en raison de diverses conditions; la sous-alimentation, par exemple, touche plus de 805 millions d’individus globalement. Au Canada, la sarcopénie est plus répandue. Il s'agit d'une diminution de la masse musculaire liée à l'âge, résultant d'une insensibilité anabolique qui touche tous les humains et qui entraîne une diminution de 30 à 50 % de la masse musculaire squelettique entre 40 et 80 ans.

«Les mécanismes que des mammifères comme l’écureuil à 13 lignes ont naturellement développés pour maintenir l'équilibre protéique dans leurs propres situations de limitation de l'azote peuvent servir de base à des stratégies visant à maximiser la santé d'autres animaux limités en azote, y compris les humains», a indiqué Matthew Regan. Une solution pourrait consister à mettre au point une pilule pré- ou probiotique que les gens pourraient prendre pour favoriser un microbiome intestinal du type de celui que possèdent les hibernants comme les écureuils.

«Ces applications, bien que théoriquement possibles, ne sont toutefois pas sur le point d'être proposées, et beaucoup de travail sera nécessaire pour traduire ce mécanisme naturellement évolué de manière sûre et efficace pour les humains», a souligné le chercheur.

«Mais je trouve encourageant qu'une étude datant du début des années 90 ait démontré que les humains sont capables de recycler de petites quantités d'azote uréique par ce même processus. Cela montre que le mécanisme nécessaire est en place. Il faut simplement l'optimiser.»

À propos de cette étude

L’article «Urea nitrogen recycling via buy symbionts increases in hibernating ground squirrels over the winter fast», par Matthew Regan et ses collaborateurs, a été publié le 27 janvier 2022 dans Science.

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