Femme de science: cinq questions à Farah Alibay
- UdeMNouvelles
Le 7 février 2022
- Mylène Tremblay
Au centre de recherche spatiale de la NASA, l’ingénieure-vedette Farah Alibay travaille au sein de l’équipe qui pilote l’astromobile «Perseverance» sur Mars.
Sa mission officielle: trouver des signes de vie, prélever des échantillons et les ramener sur Terre pour mieux comprendre la planète rouge.
Sa mission officieuse: encourager les femmes et les minorités à étudier dans le domaine des sciences. Nous l’avons jointe à Los Angeles, sous un ciel radieux.
Vous prenez plaisir à partager votre passion et à montrer aux jeunes filles qu’elles peuvent vivre leur rêve. Qu’est-ce qui vous motive?
On sous-estime l’importance pour les filles d’avoir des modèles et plus tard des mentores. À neuf ans, je rêvais d’être astronaute. Je vivais à Joliette et j’entendais parler de ces hommes de Houston qui envoyaient des engins dans l’espace. Dans les films, je ne voyais personne qui me ressemblait – une femme en génie racisée. Pour moi, c’était de la science-fiction!
Dans le domaine de la science, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques [STIM], ce qu’on apprend à l’école ne s’applique pas nécessairement au monde du travail. C’est beau de vouloir travailler à la NASA, mais encore faut-il connaître le chemin pour y arriver! Donc la première chose, c’est de trouver des gens à qui s’identifier. J’ai eu pour modèles deux astronautes, la Canadienne Julie Payette et l’Américaine Mae Jemison.
Vous agissez à titre de mentore dans votre communauté et au travail. Quel genre de modèle êtes-vous?
Je fais partie du programme Grands Frères Grandes Sœurs de Los Angeles. La jeune fille avec qui je suis jumelée depuis six ans s’intéresse aux sciences. Elle est fière de dire qu’on «niaise» ensemble dans la voiture et que je l’amène à mon travail! Moi, ça m’apporte beaucoup de joie. Comme bénévole de CASA [organisation américaine vouée aux droits des enfants], j’aide les enfants à naviguer dans le système de placement en famille d'accueil.
Au travail, j’encadre de jeunes ingénieures à travers un programme structuré. De plus, je leur pose des questions, on jase, on prend un café… J’essaie de leur offrir ce que j’aurais aimé avoir au début de ma carrière. Elles sont contentes et s’adaptent plus rapidement. Le mentorat profite à tout le monde.
Avec vos mèches rouges, votre allure décontractée et votre insigne aux couleurs de l’arc-en-ciel, vous détonnez par rapport à l’image du scientifique classique. Quel message souhaitez-vous envoyer?
Je veux montrer que c’est possible de rester soi-même et d’être bien dans sa peau. J’ai commencé à teindre mes cheveux à l’âge de 16 ans. J’ai des tatouages. Au début de ma vie professionnelle, j’ai pensé que cela pourrait jouer en ma défaveur. Une fois que j’ai pris ma place, j’ai recommencé! Mais il m’arrive encore de recevoir des commentaires désobligeants: une ingénieure aux cheveux rouges, ce n’est pas sérieux! Je réponds que je peux être une ingénieure extraordinaire, avoir l’air de qui je veux et réussir. Voilà le message que je veux transmettre.
En 2022, le sexisme existe toujours dans le domaine des sciences?
Quand j’ai commencé à travailler au Jet Propulsion Laboratory, il y a huit ans, on ne parlait pas de racisme ni de sexisme. J’avais des problèmes dans un de mes projets, or on me disait: «Ben non, Farah, on est en 2014, le sexisme, c’est fini!» J’ai souvent eu le sentiment d’être traitée différemment – on ne m’accordait pas le crédit pour mes travaux, on posait des questions à mes collègues qui répondaient à ma place… Les microagressions sont difficiles à vivre parce que les gens pensent que c’est dans notre tête. Oui, le boys club existe!
Voilà pourquoi le mentorat structuré est important. Jusqu’à tout récemment, ça se faisait de façon informelle, selon le principe du «qui connaît qui»: on se rassemble entre pairs, on va dîner, on va prendre une bière, on échange sur son métier. Ce n’est pas équitable. Puis, avec les Cercles Lean In [de petits groupes de femmes qui se réunissent pour apprendre et progresser ensemble], il y a eu une prise de conscience. Un système de mentorat structuré s’est mis en place pour offrir des chances à tous. Plusieurs entreprises organisent aussi des groupes de ressources pour les employés, que ce soit pour les femmes, les communautés noire, asiatique, LGBTQ+… Moi, ça m’a aidée.
Qu’est-ce qui vous rend vraiment heureuse en ce moment dans votre travail?
Je fais des choses que personne n’a faites avant, c’est extraordinaire. Je suis payée pour explorer! À l’extérieur de mon travail, ce qui me donne de l’énergie, c’est de parler de mon expérience de vie avec des jeunes et des moins jeunes. C’est tellement beau de voir les gens s’intéresser à la science. Ça m’enthousiasme beaucoup.
Farah Alibay a pris la parole dans le cadre des conférences organisées par la Faculté de médecine de l'UdeM les 10 et 11 février pour célébrer la Journée internationale des femmes et des filles de science.