Haltes aux confins de l’imaginaire

L’installation Haltes / Moments / Situations, présentée au Centre d’exposition de l’Université de Montréal, permet de s’immerger dans l’univers étrangement décalé de Mathieu Cardin. Incursion dans un univers bien réel constitué de faux-semblants, un monde lointain et pourtant familier.

Sous la lumière blafarde des néons, le visiteur est d’abord invité à faire différentes haltes poétiques devant des sculptures, des vidéos et des photographies d’une inquiétante étrangeté. Puis, il a l’impression de pénétrer dans l’atelier désordonné où l’artiste a créé les œuvres préalablement montrées. Il est alors convié à les regarder sous un angle différent.

Une fausse immersion dans le monde de l’artiste

Sur une vaste table, l’artiste a accumulé et assemblé des objets hétéroclites: une sculpture de main trône au milieu de câbles enchevêtrés, un sac en carton tournoie dans les airs, des écrans scintillent, de multiples outils sont éparpillés. On voit ses tasses de café vidées dont il ne reste que de larges traces et l’on a l’impression que l’artiste nous dévoile son processus de création. Mais le dévoile-t-il réellement ou joue-t-il plutôt avec le visiteur pour lui en montrer une fausse représentation?

On regarde de plus près les tasses et l’on y lit la suite de lettres WYSIWYNG. En informatique, des interfaces permettent de composer visuellement un résultat et de le voir directement sans passer par de la programmation comme le logiciel Microsoft Word. Elles sont appelées «WYSIWYG», sigle de la phrase What you see is what you get, signifiant «Ce que vous voyez est ce que vous obtenez». L’artiste y intercale un N, ce qui donne What you see is what you not get, c’est-à-dire «Ce que vous voyez n’est pas ce que vous obtenez». Il y aura toujours un décalage avec la réalité, semble dire Mathieu Cardin, qui déstabilise le visiteur et l’emmène ailleurs.

Quand le virtuel et le réel s’entremêlent

On regarde de nouveau les différentes sculptures. De loin, on a l’impression qu’il s’agit ici d’une gigantesque pierre et là d’un vaste corail sur un socle bariolé. En s’approchant, on s’aperçoit que c’est une illusion et que ces sculptures sont faites de plastique. Aucune n’a été sculptée de la main de l’artiste à partir de matériaux organiques. Elles sont plutôt sorties d’une imprimante 3D.

À côté, des photographies de végétaux et d’éléments organiques semblent irréelles. L’une d’elles est censée représenter fidèlement la réalité. Ici, c’est une déformation, une transformation, une transfiguration de la réalité. Les photos ont été retouchées par un programme d’intelligence artificielle. L’artiste a augmenté le nombre de pixels, puis l'a diminué pour métamorphoser la réalité. «Un algorithme de reconnaissance d’objets invente l’information dans chaque objet pour les récrire. C’est comme une nouvelle forme qui s’incruste dans chaque détail», explique Mathieu Cardin, qui fait voyager le visiteur aux confins du réel et de l’imaginaire.