Le jeu libre, bon pour le moral… et l’environnement

Rue-école Sainte-Bernadette-Soubirous, dans l'arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie

Rue-école Sainte-Bernadette-Soubirous, dans l'arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie

Crédit : Centre d'écologie urbaine de Montréal

En 5 secondes

Le projet Changer les règles du jeu, de la professeure Katherine Frohlich, figure parmi les lauréats du Gala du CRE-Montréal 2022.

Le Conseil régional de l’environnement de Montréal (CRE-Montréal) a remis, à son 16e gala annuel, le prix Institutions au projet Changer les règles du jeu, de la professeure de l’École de santé publique de l’Université de Montréal Katherine Frohlich. La professeure a conçu un ensemble de projets pilotes qui regroupent les concepts de rues-écoles et de rues ludiques dans différents quartiers de Montréal et de villes canadiennes et qui encouragent le jeu libre chez les enfants.

Pour la première année de sa mise sur pied, la rue-école a pris place dans le quartier Saint-Michel. Parc-Extension a pour sa part accueilli la rue ludique. Vélo, trottinette, marche…: les minutes passées hebdomadairement dans ces rues favorisent le développement des habiletés sociales, mentales et physiques des enfants et permettent de repenser la place de l’individu dans la ville. «Nous redonnons la rue aux résidants, précise Katherine Frohlich. Oui, les enfants peuvent faire ce qu’ils veulent, mais les parents, les personnes âgées et les gens qui y habitent peuvent s’approprier la rue ludique comme ils l’entendent, que ce soit par exemple pour manger ou simplement pour s’asseoir. L’une des plus belles images que j’ai de la rue ludique que nous avons choisie cette année est celle d’une chaise mise dehors pour une grand-mère, peut-être même une arrière-grand-mère, puisqu’elle avait l’air assez âgée, afin qu’elle puisse s’asseoir et regarder les enfants jouer. C’était de toute beauté.»

Différents aspects ont été pris en compte dans le choix des arrondissements qui hébergeraient les projets. Des questions d’inégalités sociales de santé ont fait en sorte que deux quartiers défavorisés ont été priorisés à Montréal pour la première année, alors qu’à Kingston, en Ontario, où se déroule la seconde intervention 2021-2022, le choix s’est porté sur deux quartiers favorisés. L’an prochain, ce sera le contraire. Tous les lieux ont connu des succès de fréquentation et ont été confrontés à divers problèmes. Le manque de bénévoles, indispensables à la réussite du projet, a forcé l’annulation de quelques journées prévues au calendrier. L’arrivée de l’hiver a également beaucoup joué sur la tenue des activités. Si des rues ludiques ont été introduites dans de nombreux pays, elles ont normalement été aménagées dans les mois entourant l’été. Le projet montréalais était le premier au monde à être implanté durant la saison froide, ce qui n’a pas été sans inconvénient: «Nous avons réalisé que les enfants du quartier ne sortaient pas. Parc-Extension étant un quartier de nouveaux arrivants, il a été constaté que les jeunes n’avaient pas toujours les vêtements adéquats pour jouer à l’extérieur par de basses températures et qu’ils ne savaient pas nécessairement quoi faire dehors en cette période de l’année.» La chercheuse souligne toutefois que, vers la fin mars, les activités ont repris comme si de rien n’était.

Un petit pas pour un grand projet

Implanté afin de contrer le déclin du jeu libre au Québec et au Canada dans les dernières décennies, le projet a demandé de nombreuses heures de planification et de négociation avec les différents partenaires concernés. Katherine Frohlich et son équipe collaborent étroitement avec le Centre d’écologie urbaine de Montréal depuis 2018 et la professeure avoue ne faire aucune démarche sans d’abord être accompagnée par les gens qui y travaillent. Elle ajoute que les élus des arrondissements sélectionnés, les membres du corps enseignant et de la direction des écoles choisies ainsi que les résidantes et résidants des quartiers touchés sont toujours bien au fait des projets qui seront mis en œuvre dans leur voisinage et que la majorité d’entre eux n’ont que de bons commentaires. «Nous avons récemment fait un petit sondage sur la rue-école et 19 des 20 personnes interrogées se disaient extrêmement satisfaites du projet. Elles ont entre autres rapporté que le sentiment d’insécurité avait diminué et qu’une belle ambiance avait été créée. C’est très encourageant», dit-elle.

La chercheuse affirme que la première année a été très instructive et que l’expérience acquise en 2021-2022 sera mise à profit dans les projets à venir. Il a par ailleurs déjà été déterminé que l’arrondissement d'Ahuntsic-Cartierville sera l’hôte de la rue-école et de la rue ludique pour l’année 2022-2023.

Quant au prix que l’équipe de Katherine Frohlich a reçu, la professeure le voit comme un espoir pour l’avenir du jeu libre et de l’environnement. «Ce qui me touche beaucoup, c'est qu’il s’agit d’un prix gagné par un groupe de chercheurs et chercheuses en santé publique, alors que c’est un prix en environnement. J’en suis particulièrement fière parce que cela veut dire que nous avons réussi à monter un projet intersectoriel et interdisciplinaire qui élève le jeu libre en tant que plaque tournante qui fait réfléchir aux changements climatiques, à la pollution, au trafic dans les rues, au manque de mobilité indépendante des enfants et à l’utilisation du transport actif. Cette reconnaissance, avec notre plaidoyer, nous aide à ce que les rues-écoles et les rues ludiques gagnent en popularité et soient implantées comme elles sont censées l’être», conclut-elle.