Où se cachent les prochains virus zoonotiques?
- UdeMNouvelles
Le 18 mai 2022
- Béatrice St-Cyr-Leroux
Grâce à l’IA, une équipe de recherche est parvenue à produire une liste de virus animaux susceptibles de franchir la barrière des espèces et de provoquer des infections chez l’humain.
Jusqu’à tout récemment, nous ne connaissions que deux pour cent des interactions possibles entre virus et mammifères, ce qu’on appelle le virome. Une nouvelle technique d’intelligence artificielle (IA) a toutefois permis de dégager de nouvelles interactions virales possibles, multipliant par 15 la taille du virome connu.
Cette nouvelle prédiction a vu le jour grâce à une approche d’apprentissage automatique qui a permis, pendant 35 000 heures sur les ordinateurs de Calcul Québec, de passer au peigne fin les informations sur la façon dont un millier de mammifères – les hôtes – et autant de virus interagissent.
Ayant mis en lumière 80 000 nouvelles interactions possibles entre des hôtes et des virus, le réseau a ensuite été jumelé à un modèle composé de séquences génomiques virales afin de réévaluer le potentiel d’infection chez l’humain de l’ensemble des virus dans la base de données.
Résultat: la création d’une liste de virus d’origine animale qui présentent le risque d’infecter les humains, bref de causer des zoonoses.
Cette découverte, financée par IVADO, l’Institut de valorisation des données, et menée dans le cadre de la Viral Emergence Research Initiative, est le fruit d’une collaboration internationale dirigée par Timothée Poisot, professeur au Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal. Dans ses travaux de recherche, il s’intéresse aux calculs des risques d’une prochaine pandémie.
Une lumière sur des virus «oubliés»
Pour valider leurs prédictions, M. Poisot et son équipe composée d’experts en virologie, en IA et en santé publique ont vérifié dans la littérature si les virus désignés avaient déjà fait l’objet d’éclosions chez l’humain. Et parmi les 20 virus au potentiel zoonotique le plus élevé, 11 ont effectivement rendu malades des humains.
«Certains virus nous ont vraiment surpris, nous ne pensions pas qu’ils pouvaient se transmettre à l’humain, affirme Timothée Poisot. C’est le cas de l’ectromélie murine, le virus responsable de la variole chez la souris. Notre système lui a donné une probabilité “très élevée” de contaminer l’humain et nous avons constaté qu’il y a bel et bien eu une éclosion de ce virus en 1987 dans une école chinoise, mais qu’elle n’a été répertoriée dans aucune base de données.»
De manière générale, les familles de virus qui ressortent le plus sont notamment les bunyavirus (fièvre de la vallée du Rift), rhabdovirus (rage), filovirus (fièvre Ebola) et flavivirus (dengue, fièvre jaune). «Ce sont toutes des familles qui sont reconnues pour leur risque zoonotique important, mais le modèle peut nous permettre de mesurer le risque à l’intérieur de ces familles de façon plus précise», note Timothée Poisot.
Surveiller les points chauds, dont l’Amazonie...
Ces efforts pour prédire les infections virales visent à guider le travail des virologues dans la prévention de zoonoses pouvant mener à des épidémies, voire des pandémies. La liste de virus à surveiller permet entre autres de les aiguiller dans leurs campagnes d’échantillonnage, puisqu'elle cible les espèces et détermine aussi leur répartition géographique, l’équipe de recherche ayant cartographié les résultats.
«Comme écologiste qui fait de la biogéographie, c’était important de savoir non seulement quel virus va être compatible avec quel hôte, mais aussi où nous pouvons retrouver ces combinaisons», indique Timothée Poisot.
Selon les résultats du système informatique, l’Amazonie est l’endroit dans le monde où le potentiel d’évolution virale est le plus grand. «Les résultats sont sans équivoque: c’est un point chaud en termes d’originalité des interactions hôtes-virus, c’est-à-dire que cette région présente le plus d’interactions qui ne se produisent généralement pas», souligne le chercheur.
Il explique ces contacts particuliers par le manque de données sur le virome en Amazonie, la déforestation, les changements climatiques et l’expansion des villes, qui augmente les contacts entre les animaux et les humains.