Aide médicale à mourir ou mort naturelle: quelles différences pour le deuil des proches?

L’aide médicale à mourir tout comme la mort naturelle prévisible tendent à faciliter le travail de deuil, mais certaines personnes ont rapporté des symptômes de deuil plus difficiles, qui se manifestaient surtout par la dépression et la culpabilité.

L’aide médicale à mourir tout comme la mort naturelle prévisible tendent à faciliter le travail de deuil, mais certaines personnes ont rapporté des symptômes de deuil plus difficiles, qui se manifestaient surtout par la dépression et la culpabilité.

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Le doctorant Philippe Laperle explore les différences relatives au deuil prévisible dans les cas de l’aide médicale à mourir et de la mort naturelle.

L’expérience du deuil est-elle différente pour les proches selon que l’être cher a requis l’aide médicale à mourir ou est décédé de mort naturelle en soins palliatifs?

Cette question délicate a fait l’objet d’une étude parue dans le Journal of Death and Dying sous la plume de Philippe Laperle dans le cadre de ses études doctorales effectuées sous la codirection de Marie Achille, du Département de psychologie de l’Université de Montréal, et de Deborah Ummel, du Département de psychoéducation de l’Université de Sherbrooke.

Certaines recherches donnent à croire que le deuil d’un proche ayant reçu l’aide médicale à mourir ne serait pas plus difficile ou complexe que celui vécu dans d’autres contextes, dont une mort naturelle, subite ou un suicide. Quelques-unes ont même conclu que l’aide médicale à mourir pouvait faciliter le travail de deuil.

Comparer deux groupes d’endeuillés

Philippe Laperle

Philippe Laperle

Crédit : Photo de courtoisie

Aucune n’a toutefois comparé les conséquences sur les personnes endeuillées d’un décès à la suite du recours à l’aide médicale à mourir avec celles d’une mort naturelle précédée par des soins de fin de vie spécialisés – cette approche étant considérée comme une référence en termes de meilleures pratiques pour la préparation à une mort.

Philippe Laperle a ainsi recruté 60 personnes ayant perdu un proche il y a au moins six mois. Parmi les défunts, 25 avaient bénéficié de l’aide médicale à mourir et 35 sont décédés de mort naturelle en soins palliatifs. La majorité des individus décédés (48) avaient combattu un cancer.

Les 51 femmes et 9 hommes recrutés ont d’abord répondu à des questionnaires destinés à évaluer différentes facettes du deuil et à détecter les symptômes de détresse ou de deuil prolongé pouvant nécessiter un soutien psychologique professionnel.

Une fois réalisée cette partie quantitative de l’étude, le doctorant a mené des entrevues de fond avec 16 personnes du même groupe.

Des deuils aux effets similaires, mais une pluralité d’expériences

Contrairement à son hypothèse de départ stipulant que l’aide médicale à mourir facilite davantage le travail de deuil que la mort naturelle, Philippe Laperle n’a pas observé de différences particulières en ce qui a trait à l’intensité des émotions et à la détresse associées aux deux types de deuil.

Plus encore, les faibles scores au chapitre des symptômes de détresse indiquent que «les deux contextes tendent à faciliter le deuil à certains égards, souligne-t-il. Néanmoins, certains endeuillés ont malgré tout rapporté des symptômes liés à un deuil plus difficile, qui se manifestaient surtout par la dépression et la culpabilité».

Les entrevues ont toutefois permis de constater que, quelle que soit la façon dont survient un décès prévisible, les expériences vécues par les personnes en deuil sont multiples et, parfois, mitigées. Et que les souvenirs laissés par les derniers moments en fin de vie, et la séparation que provoque le décès, peuvent être soit douloureux, soit réconfortants ou même les deux à la fois, selon le cas.

«Lorsque la préparation à la mort et l’acceptation de son arrivée imminente se font à un rythme similaire entre le mourant et son proche, les deux personnes arrivent mentalement et émotionnellement au même point au moment du décès, ce qui facilite le deuil qui s’amorce, explique le futur psychologue. À l’inverse, si par exemple l’une des deux est dans le déni tandis que l’autre accepte la mort, cela laisse des traces plus sensibles.»

De même, que le décès survienne par l’aide médicale à mourir ou de façon naturelle en contexte de sédation palliative continue – où le niveau de conscience de la personne est abaissé jusqu’à ce que sa maladie l’emporte –, la «procédure» peut être perçue dans les deux cas comme expéditive par certains endeuillés. Pour d’autres qui étaient en synchronisme avec le défunt, l’expérience se vit sereinement et la mort arrive tout simplement au bon moment.

Des impressions positives et négatives peuvent aussi survenir à la suite de la séparation ultime provoquée par le décès. Certains gardent le souvenir d’avoir accompagné un «héros» qui incarne, en contexte d’aide médicale à mourir, des valeurs de liberté, de contrôle, de courage ou d’immortalité. En contexte de mort naturelle, il incarne plutôt la beauté qui ne s’estompe jamais complètement et demeure malgré le dépérissement.

D’autres, cependant, restent avec le sentiment d’avoir été abandonnés par leur héros. Le vide qu’il laisse derrière lui n’en est que plus grand.

«Il importe de mentionner que chaque deuil est différent et que ces empreintes ne sont pas omniprésentes, conclut M. Laperle. Règle générale, elles fluctuent dans le temps, surgissent momentanément, s’estompent par la suite ou encore se transforment. D’autres facteurs influencent le deuil, dont le lien d’attachement et l’expérience de la proche aidance, et ils peuvent accentuer ou diminuer l’effet des empreintes laissées par l’aide médicale à mourir ou la mort naturelle.»

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