Que nous révèlent les slogans des manifestations?

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La sociologue et professeure de l’UdeM Cécile Van de Velde a analysé les écrits de protestations dans le monde pour comprendre les voix qui s’expriment au sein des mouvements sociaux contemporains.

Cécile Van de Velde

Cécile Van de Velde

Crédit : Université de Montréal

On les voit sur les banderoles, les pancartes, les murs, mais aussi sur les vêtements, les corps et les visages: les mots sont au cœur des soulèvements sociaux. Collectif ou individuel, imprimé ou manuscrit, revendicateur ou mobilisateur, chaque slogan véhicule un message politique, une expression de colère.

Mais d’un mouvement social et d’un pays à l’autre, existe-t-il des ressemblances entre les écrits protestataires? Peut-on en dégager des thèmes communs? Bref, que peuvent-ils nous apprendre sur les mouvements sociaux?

Cécile Van de Velde, professeure au Département de sociologie de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les inégalités sociales et les parcours de vie, s’y intéresse depuis plus d’une décennie.

D’abord fascinée par la jeunesse et ses mobilisations, elle publie maintenant une étude portant sur les «grammaires contemporaines de la colère» pour mieux comprendre leurs racines, leurs formes et leurs dynamiques.

Son enquête s’appuie sur l’observation et la compilation des «mots de la colère» exprimés dans les slogans, les affiches et les multiples écrits de sept mouvements sociaux portés par de jeunes générations de 2011 à 2019: les manifestations contre l’austérité des «Indignados» à Madrid (2011-2012), le mouvement étudiant à Santiago au Chili (2011-2012), le soulèvement étudiant du printemps érable à Montréal (2012), la «révolution des parapluies» à Hong Kong (2014), les manifestations pour la réforme du travail «Nuit debout» à Paris (2016), la marche pour le climat à Montréal (2019) et le mouvement prodémocratie à Hong Kong (2019).

Principes humanistes et émotions

Recension des termes utilisés dans les divers mouvements sociaux étudiés.

Au cours de son enquête, Cécile Van de Velde a constaté que les slogans affichés (et scandés) étaient davantage des plaidoyers pour de grandes valeurs plutôt que des critiques. Elle précise que, contrairement à ce qui a souvent été affirmé, les mouvements sociaux étudiés étaient beaucoup plus «pour» que «contre», se portant à la défense de thèmes universels comme la démocratie, l’éducation et la justice entre les générations.

«Au fil des années, j’ai remarqué une montée du discours générationnel dans lequel les jeunes accusent directement les générations précédentes de leur laisser injustement un héritage social, économique, politique et environnemental trop lourd à porter, commente la sociologue. Les jeunes manifestants s’inquiètent de leur avenir: peuvent-ils étudier sans s’endetter, retrouver leur droit de parole et le choix sur leur vie, avoir un poids dans les décisions collectives?»

À travers ces messages de révolte et de rage, Cécile Van de Velde a tout de même relevé beaucoup d’espoir. «Les jeunes mobilisés transmettent des propos optimistes, puisqu’il faut de l’espoir pour se révolter», croit la chercheuse. Elle note d’ailleurs que c’est à Montréal qu’elle a vu le plus d’espoir, autant lors du printemps érable que pendant la marche pour le climat.

Si la colère et l’espoir semblent être les émotions dominantes des slogans, Mme Van de Velde ajoute que la joie – de pouvoir s’exprimer ensemble, surtout –, la tristesse et le désespoir sont tout aussi frappants.

Pourquoi s’arrêter aux mots de la colère?

Comme chercheuse en sociologie, Cécile Van de Velde s’est toujours intéressée à la colère sociale, émotion qu’elle considère comme majeure pour comprendre l’évolution des démocraties. À ses yeux, les manifestations sont des endroits tout désignés pour s’exposer à cette émotion, mais surtout pour rencontrer les individus qui la portent.

«Les mouvements sociaux peuvent donner la parole à des voix normalement silencieuses, à de jeunes gens qui sont rarement représentés dans les médias ou qui ne votent pas, dit-elle. Et je suis captivée par cette diversité et cette expressivité.»

En s’intéressant à cette frange «invisible» de la société, la sociologue a constaté une évolution dans les révoltes. Selon elle, les slogans sont de plus en plus individualisés et personnalisés. Les gens témoignent au je de leur propre expérience pour renforcer le nous de la contestation.

«Les écrits protestataires ne sont pas que des mots, ce sont des performances politiques. Et s’y arrêter permet de comprendre les révoltes d’aujourd’hui», conclut Mme Van de Velde.

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