Des «nanotransporteurs» d’ADN pour traiter le cancer

Le nanotransporteur à base d'ADN élaboré par Alexis Vallée-Bélisle et son équipe peut transporter et délivrer des concentrations précises de médicaments. Sur cette photo, les nanotransporteurs de la doxorubicine, un médicament utilisé en chimiothérapie, peuvent également être attachés à des biomolécules spécifiques pour optimiser sa distribution. Ici, on voit un nanotransporteur (blanc) attaché à l'albumine (rose), la protéine du sang la plus abondante, pour maintenir la doxorubicine (bleu clair) dans la circulation sanguine.

Le nanotransporteur à base d'ADN élaboré par Alexis Vallée-Bélisle et son équipe peut transporter et délivrer des concentrations précises de médicaments. Sur cette photo, les nanotransporteurs de la doxorubicine, un médicament utilisé en chimiothérapie, peuvent également être attachés à des biomolécules spécifiques pour optimiser sa distribution. Ici, on voit un nanotransporteur (blanc) attaché à l'albumine (rose), la protéine du sang la plus abondante, pour maintenir la doxorubicine (bleu clair) dans la circulation sanguine.

Crédit : Monney Medical Media / Caitlin Monney

En 5 secondes

Des chimistes montréalais spécialisés dans les nanotechnologies s'inspirent de la nature pour créer des transporteurs moléculaires qui optimisent la libération de médicaments thérapeutiques.

Une équipe de recherche de l'Université de Montréal a conçu et validé une nouvelle classe de transporteurs de médicaments fabriqués avec de l’ADN et 20 000 fois plus petits qu'un cheveu humain. Ils pourraient améliorer de façon importante le traitement des cancers et d'autres maladies.  
 
Une étude publiée dans Nature Communications explique que ces transporteurs moléculaires peuvent être programmés chimiquement pour délivrer une concentration optimale de médicaments, ce qui les rend plus efficaces que les «véhicules» actuels.

Une dose optimale en tout temps: un défi de la médecine

Alexis Vallée-Bélisle

Alexis Vallée-Bélisle

Crédit : Amélie Philibert | Université de Montréal

L'un des principaux moyens de traiter une maladie avec succès consiste à fournir et à maintenir une dose thérapeutique de médicament dans le sang tout au long du traitement. Une dose moindre en réduit l'efficacité et entraîne généralement une résistance aux médicaments, tandis qu'une surexposition augmente les effets secondaires. 

 
Le maintien d'une concentration optimale de médicament dans le sang reste un défi majeur de la médecine moderne. Comme la plupart des médicaments subissent une dégradation rapide, les patients sont obligés – et oublient souvent – de prendre plusieurs doses à intervalles réguliers. Et comme l’organisme de chaque patient métabolise différemment les médicaments, leur concentration dans le sang varie considérablement d’une personne à l’autre. 
 
Constatant qu’environ seulement 50 % des patients atteints de certains cancers reçoivent une dose optimale de médicaments pendant leur chimiothérapie, Alexis Vallée-Bélisle, professeur de chimie à l'Université de Montréal et expert en nanotechnologies inspirées de la nature, a commencé à explorer comment les systèmes biologiques contrôlent et maintiennent la concentration des biomolécules. 
 
«Nous avons découvert que les organismes vivants emploient des protéines de transport qui sont programmées pour maintenir une concentration précise de molécules spécifiques, par exemple les hormones produites par la glande thyroïde. La force de l'interaction entre ces transporteurs et leurs molécules dicte la concentration précise de la molécule libre», explique-t-il.

Cette idée simple a conduit le chercheur – qui est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en bio-ingénierie et en bionanotechnologie – et son équipe à élaborer des transporteurs artificiels de médicaments qui imitent l'effet naturel du maintien d'une concentration précise d'un médicament pendant le traitement.  
 
Arnaud Desrosiers, étudiant de doctorat à l'UdeM et premier auteur de l'étude, a d'abord mis au jour et conçu deux transporteurs d'ADN: l'un pour la quinine, un antipaludéen, et l'autre pour la doxorubicine, un médicament couramment employé pour traiter le cancer du sein et la leucémie. 
 
Il a ensuite démontré que ces transporteurs artificiels pouvaient être facilement programmés pour délivrer et maintenir une concentration précise de médicament. 
 
«Plus intéressant encore, nous avons découvert que ces nanotransporteurs pouvaient également être utilisés comme réservoir de médicament pour prolonger l'effet du médicament et minimiser le nombre de doses pendant le traitement», précise le doctorant. 
 
«Une autre caractéristique impressionnante de ces nanotransporteurs, ajoute-t-il, est qu'ils peuvent être dirigés vers des parties du corps où le médicament est le plus nécessaire – ce qui, en principe, devrait réduire la plupart des effets secondaires.»

Des souris nanotraitées: la cardiotoxicité réduite

Pour illustrer l'efficacité de ces nanotransporteurs, l'équipe de recherche a collaboré avec Jeanne Leblond-Chain, pharmacienne à l'Université de Bordeaux, en France, le biochimiste Luc DesGroseillers et le pathologiste Jérémie Berdugo, de l'UdeM, Céline Fiset, pharmacienne à l'Institut de cardiologie de Montréal, et Vincent De Guire, biochimiste clinique à l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont, affilié à l'UdeM. 
 
En utilisant le nouveau transporteur de médicament conçu pour la doxorubicine, l'équipe a montré qu'une formulation spécifique du transporteur de médicament permet de maintenir la doxorubicine dans le sang et de réduire de façon draconienne sa diffusion vers des organes clés tels que le cœur, les poumons et le pancréas. 
 
Chez les souris traitées à l’aide de cette formulation, la doxorubicine a été maintenue 18 fois plus longtemps dans le sang et la cardiotoxicité a également été réduite, ce qui a permis aux souris de rester en meilleure santé, comme en témoigne leur prise de poids normale.  
 
«Une autre importante caractéristique de nos nanotransporteurs est leur grande polyvalence, souligne Alexis Vallée-Bélisle. Pour l'instant, nous avons démontré le principe de fonctionnement de ces nanotransporteurs pour deux médicaments. Mais grâce à la grande programmabilité des chimies de l'ADN et des protéines, nous pouvons désormais concevoir ces transporteurs pour délivrer avec précision un large éventail de molécules thérapeutiques.» 
 
Ces transporteurs pourraient également être combinés avec des transporteurs liposomiques artificiels, qui sont actuellement utilisés pour délivrer des médicaments à différents taux.

Une étude clinique pour les cancers du sang?

L'équipe de recherche est maintenant impatiente de valider l'efficacité clinique de sa découverte. Puisque son nanotransporteur de doxorubicine a été programmé pour maintenir de manière optimale le médicament dans la circulation sanguine, il pourrait être employé pour traiter les cancers du sang, pense-t-elle. 
 
«Nous envisageons que des nanotransporteurs similaires puissent être élaborés pour délivrer des médicaments à d'autres endroits de l'organisme et maximiser la présence du médicament où se trouvent les tumeurs, conclut Alexis Vallée-Bélisle. Cela améliorerait considérablement l’efficacité du médicament tout en réduisant ses effets secondaires.»

 

 

À propos de cette étude

L’article «Programmable self-regulated molecular buffers for precise sustained drug delivery», par Arnaud Desrosiers et ses collaborateurs, a été publié le 2 novembre 2022 dans la revue Nature Communications. doi: 10.1038/s41467-022-33491-7.

Alexis Vallée-Bélisle est professeur agrégé au Département de chimie de l’Université de Montréal. Il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en bio-ingénierie et bionanotechnologie. Son laboratoire s’inspire de la nature pour élaborer des nanotechnologies destinées au traitement et au suivi de maladies.

Le financement de ces travaux a été assuré par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le Programme des chaires de recherche du Canada, le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies et le Regroupement québécois de recherche sur la fonction, l'ingénierie et les applications des protéines.

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