Amadou Sadjo Barry: repenser l’Afrique
- Revue Les diplômés
Le 10 novembre 2022
- Virginie Soffer
À même pas 40 ans, le philosophe Amadou Sadjo Barry suggère des pistes de réflexion au nouveau premier ministre de Guinée en ces temps de transition politique.
Comment la Guinée peut-elle se doter d’une politique efficace en matière d'édification de la paix? Quelles stratégies peut-elle mettre en place pour favoriser l'apaisement de sa population? Amadou Sadjo Barry est consultant du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) en Guinée et il suggère des pistes de réflexion sur ces questions.
Ce professeur de philosophie du Cégep de Saint-Hyacinthe qui a rédigé Essai sur la fondation politique de la Guinée est allé deux mois cet été en Guinée pour apporter un éclairage sur la transition politique, principalement sur le volet du dialogue. Il donne aussi de nombreuses conférences sur le sujet et écrit des textes d’opinion. De plus, il prépare un livre sur la trajectoire et les multiples significations du politique en Afrique.
À l’aide de son bagage en philosophie, il poursuit ses réflexions pour proposer un modèle de développement économique, d'organisation politique et institutionnelle susceptible de répondre aux aspirations de chacun.
Étudier la philosophie pour changer le monde
En 2004, Amadou Sadjo Barry voit défiler les images de milliers de personnes migrantes issues de l'Afrique subsaharienne tentant d’atteindre les frontières européennes au prix de leur vie et il est bouleversé. Partout, des corps inanimés jonchent le sol. Préalablement violentés. Face à cette souffrance extrême, il s’est demandé ce qu’il pouvait faire en tant que jeune Africain au Canada, en tant que personne de couleur noire, en tant qu’être humain, en tant que personne appelée à réfléchir. «J’étais également affligé de constater que, plus de 60 ans après l’indépendance de nombreux États africains, des populations ne peuvent pas répondre de manière sécurisée à leurs besoins sociaux de base, n’ayant pas accès à l’eau, à la nourriture et au logement», indique-t-il.
Ces considérations liées aux conditions de précarité extrême que vivent les populations africaines, surtout en Afrique de l'Ouest, l'ont conduit à faire des études qui pourraient lui «fournir des outils théoriques et pratiques pour mieux analyser le problème politique, humain et socioéconomique du continent, mais aussi trouver des réponses sur les plans normatif et pratique».
Ainsi, après être arrivé à Montréal, Amadou Sadjo Barry s’est inscrit au baccalauréat en philosophie et politique de l’UdeM. Puis, il y a poursuivi des études de deuxième cycle en philosophie où il s’est intéressé à l’interdiction absolue du mensonge chez Emmanuel Kant. Et entremêlant morale et politique, il fait sous la direction de Ryoa Chung un doctorat sur les obligations internationales en matière de lutte contre la pauvreté mondiale. «Tout comme Christian Nadeau, André Bélanger, Jean Grondin et tous les professeurs de philosophie que j’ai eu la grande chance d’avoir à l’UdeM, elle m’a donné de nombreux outils, m’a appris à affronter la vie à travers des concepts et a été pour beaucoup dans ce que je suis actuellement», déclare Amadou Sadjo Barry.
Philosopher en dehors d’une tour d’ivoire
Comment peut-on vivre harmonieusement dans une société où personne ne partage les mêmes aspirations? Comment faire pour que la dignité de chacun y soit respectée? Telles sont des questions qui passionnent Amadou Sadjo Barry. «Depuis les Grecs, la philosophie n'a pas été une forme de retrait du monde, dit-il. Socrate en est un exemple, lui qui a fait de la philosophie un outil pour améliorer les conditions de vie de ses concitoyens.»
La réflexion philosophique d’Amadou Sadjo Barry se veut avant tout incarnée, ancrée dans le réel. «La philosophie, je la conçois comme une réponse non pas simplement aux préoccupations des individus, mais à la présence de l'humain dans le monde, souligne-t-il. Et cette présence a des dimensions historiques, métaphysiques et sociopolitiques.»
Ainsi au Québec, il réfléchit particulièrement sur les questions d'identité, de multiculturalisme, de reconstitution nationale à la lumière de la présence des minorités culturelles.
Conseiller le premier ministre de Guinée
Depuis le coup d’État du 5 septembre 2021 en Guinée, qui a renversé le président Alpha Condé, Amadou Sadjo Barry assiste Mohamed Béavogui, le nouveau premier ministre, à titre de consultant du PNUD.
«Il a plus de 30 ans d’expérience de travail à l’ONU et c'est un privilège de pouvoir l’épauler et de participer aux réflexions sur la transition sociopolitique en Guinée, sur le volet réconciliation nationale et cohésion sociale, affirme le professeur. Son intelligence et son écoute me donnent l’occasion de créer des passerelles entre mes recherches et la participation à la gestion de la vie publique.»
Proposer de nouvelles pistes de réflexion sur l’Afrique
Que faut-il mettre en avant en termes d'architecture institutionnelle et d'organisation politique pour avoir une société qui vit avec sa diversité de manière paisible? Amadou Sadjo Barry proposera des réponses à cette question.
«J'ai l'impression que l'Afrique ne parvient pas encore, pour des raisons de nature politique, à trouver de l'intérieur les leviers intellectuels, moraux et civilisationnels pour que certains de ses États deviennent des puissances, des États capables de discuter de manière souveraine avec de grandes puissances», observe-t-il.
Pour le professeur, les possibilités abondent: «L’Afrique n'est pas qu'un continent empli de tragique. C'est aussi un continent où il y a une réserve de potentialités non exploitées. Il y a des chercheurs qui proposent des solutions innovantes, des jeunes qui repensent leur quotidien, des femmes qui ont des projets incroyables en matière de développement sur le plan de l'épargne. Les initiatives sur le terrain foisonnent, mais ne montent pas jusqu’aux décideurs politiques. Il y a un mur entre leur univers et la manière dont le peuple africain essaie de se réinventer.»
Il invite à sortir d’une logique de dépendance sur le plan international. «À la place, je propose qu'on ait une souveraineté positive qui consiste à avoir des institutions politiques capables d'organiser la société, de régir les interactions humaines, de se doter d'outils constitutionnels juridiques efficaces. Je propose que l'Afrique se dote d'une politique étrangère capable de la constituer comme une puissance à part entière dans un monde en concurrence», conclut-il.
Des pistes à explorer pour s’insérer dans une plus grande dynamique de développement.