Souffrir en silence: le coût des coups de la violence conjugale

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La professeure de l’UdeM Carolina Bottari cherche à sensibiliser la population et les professionnels aux répercussions des traumatismes craniocérébraux chez les femmes victimes de violence conjugale.

Scénario no 1. Vous êtes athlète. Vous recevez un coup à la tête, vous vous effondrez sur le terrain. Une équipe accourt, vous entoure, vous amène à l’urgence. Commotion cérébrale. On vous suit en réadaptation et l’on vous recommande d’éviter le terrain le temps que vos lésions se résorbent. Vous optimisez vos chances de guérir.

Scénario no 2. Vous êtes une femme. Votre conjoint est violent. Il vous frappe à la tête, vous étrangle. Jour après jour. Les gestes de violence s’accumulent et les potentiels traumatismes craniocérébraux (TCC) aussi. Vous parvenez à vous soustraire à son emprise, vous arrivez en maison d’hébergement. Vous tentez de panser vos blessures, psychologiques et sociales. Mais vos possibles TCC, eux, restent non diagnostiqués et non traités. Et vous vivez avec leurs conséquences.

Même blessure, cause différente, prise en charge diamétralement opposée.

Les femmes qui subissent des TCC en contexte de violence conjugale sont dramatiquement laissées à elles-mêmes. Étranglées et frappées à la tête à répétition, elles ont, selon certaines études, de 11 à 12 fois plus de risques de subir un traumatisme craniocérébral que les athlètes et les soldats réunis, des populations déjà très touchées par ces blessures. Or, celles-ci ne sont généralement pas diagnostiquées ni prises en charge.

Et l’ergothérapeute Carolina Bottari est très préoccupée par cette situation. «Il faut faire entrer les effets des TCC dans les conversations sur la violence conjugale», dit la professeure de l’École de réadaptation de l’Université de Montréal et chercheuse à l’Institut universitaire sur la réadaptation en déficience physique de Montréal du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal et au Centre de recherche interdisciplinaire en réadaptation du Montréal métropolitain.

Ses plus récentes recherches visent l’amélioration de la santé physique et psychologique des femmes victimes de violence conjugale et l’atténuation des répercussions des TCC sur leurs activités quotidiennes.

Son constat est clair: la réalité de ces femmes passe sous le radar et elles n’ont pas accès aux ressources nécessaires. Et pour améliorer cette situation, elle juge qu’il faut créer des ponts entre les experts en traumatologie et ceux qui interviennent au quotidien auprès des femmes violentées, comme le personnel des maisons d’hébergement, mais aussi le corps policier et les personnes travaillant dans le milieu de la justice.

Renverser un déséquilibre

Carolina Bottari

Carolina Bottari

Crédit : Université de Montréal

On estime que plus de 200 000 femmes chaque année au Canada vivent avec les conséquences d’un TCC provoqué par les coups de leur conjoint. «Pourtant, elles ne se rendent pas à l’urgence ni dans les centres de réadaptation, indique Carolina Bottari. C’est aberrant quand on compare ces victimes avec les athlètes, qui bénéficient de protocoles d’intervention clairs en matière de traumatisme crânien subi en pratiquant leur sport; les femmes victimes de violence conjugale ne sont même pas vues par un médecin.»

La chercheuse insiste sur l’importance de bâtir des ponts entre les disciplines pour améliorer cette prise en charge. Selon elle, il faudrait outiller, d’un côté, les intervenantes dans les maisons d’hébergement pour les aider à repérer les signes d’un TCC possible et, de l’autre côté, les médecins pour s’assurer qu’ils ne passent pas à côté d’un diagnostic de TCC chez ces victimes et qu’ils puissent associer ces lésions à de la violence conjugale.

«Il y a plusieurs pans du système qui devraient mieux communiquer, croit Carolina Bottari. Il faut que le corps policier puisse déterminer quand une femme devrait aller à l’urgence, qu’à l’urgence les femmes soient accueillies de façon à favoriser la confiance et les déclarations sur les blessures subies et leurs causes, et qu’en cour les juges comprennent bien les conséquences d’un TCC.»

Petits coups, grandes conséquences

Les traumatismes craniocérébraux peuvent entraîner une irrégularité dans le fonctionnement normal du cerveau et provoquer la destruction de ses cellules. Ils sont causés par des chocs directs ou indirects à la tête, mais aussi par la strangulation, qui coupe la circulation du sang et l’apport d’oxygène au cerveau. On considère que la répétition de petits coups à la tête peut augmenter la gravité des lésions.

Les TCC mènent à une panoplie de symptômes, notamment de la confusion, des maux de tête parfois graves, de la fatigue, des étourdissements, des trous de mémoire. Mais aussi de la difficulté à organiser ses pensées et à se souvenir de nouvelles informations, des émotions exacerbées, de l’anxiété, des troubles du sommeil.

«Dans un contexte de violence conjugale, les TCC peuvent par exemple rendre très pénible un passage en cour, puisque la femme peut avoir beaucoup de difficulté à se rappeler des faits qui ont eu lieu il y a souvent plusieurs années», note Carolina Bottari.

Aussi, certains spécialistes pensent que les coups répétés à la tête peuvent expliquer qu’une femme ne soit pas en mesure de s’organiser pour quitter son agresseur.

«Bref, il y a un énorme travail de sensibilisation à faire sur cette réalité répandue et il faut la voir de façon holistique et chronique, puisque certaines séquelles peuvent être irrémédiables», conclut Carolina Bottari.

Un forum pour mieux comprendre la question

La professeure Carolina Bottari fait partie du comité organisateur du forum «En route vers l’autonomie», qui invite les acteurs du continuum de soins à échanger sur les meilleures pratiques pour mieux intervenir auprès des personnes vivant avec un traumatisme craniocérébral (TCC).

Se tenant les 15 et 16 novembre, le forum propose justement un atelier sur la violence conjugale et les TCC.

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