Conséquences du dérèglement climatique sur les insectes: des scientifiques lancent l’alerte

Le criquet «Melanoplus borealis», qui colonise les montagnes dans les Chic-Chocs en Gaspésie, est un bon exemple d’insecte menacé par les changements climatiques.

Le criquet «Melanoplus borealis», qui colonise les montagnes dans les Chic-Chocs en Gaspésie, est un bon exemple d’insecte menacé par les changements climatiques.

Crédit : Denis Doucet

En 5 secondes

Un consortium international de plus de 70 scientifiques a publié un article sonnant l’alarme sur les menaces du dérèglement climatique sur les insectes, piliers du bon fonctionnement des écosystèmes.

L’article synthèse paru dans le journal Ecological Monographs fait directement écho aux avertissements du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat quant aux risques liés à l'augmentation rapide des températures moyennes du globe et à l’intensification des phénomènes climatiques extrêmes.

Les scientifiques expliquent que, si aucune mesure n'est prise, nous réduirons considérablement et définitivement notre capacité à construire un avenir durable basé sur des écosystèmes sains et fonctionnels. Jacques Brodeur, professeur au Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal et chercheur à l’Institut de recherche en biologie végétale, fait partie des signataires.

Comment aider les insectes de la planète à survivre

L’article formule plusieurs recommandations à suivre pour aider les insectes face au changement climatique. À la fois les pouvoirs publics, les scientifiques et le public doivent contribuer à l'effort de protection.

Par leur petite taille et leur incapacité à réguler leur température corporelle, les insectes s’avèrent particulièrement sensibles aux changements environnementaux comme la température et l'humidité.

Le réchauffement dépasse déjà les seuils de tolérance de beaucoup de plantes et d'animaux, entraînant la mort massive d’individus et la disparition de populations, voire d’espèces.

Les chercheurs expliquent dans l’article la façon dont le dérèglement climatique module la physiologie et le comportement des insectes, avec des effets marqués sur les cycles de vie, la reproduction et la persistance des populations. En particulier, certaines espèces deviennent actives à des endroits ou des moments où elles ne l’étaient pas auparavant.

D’autres espèces d’insectes au contraire s’éteignent localement. Cela conduit à des changements importants dans la structure et le déroulement des interactions entre espèces qui ont des répercussions potentiellement graves sur la stabilité et le fonctionnement des écosystèmes, et par la suite sur la pollinisation ou le contrôle des espèces nuisibles.

Des insectes peu résistants aux phénomènes climatiques extrêmes

Jacques Brodeur

Jacques Brodeur

Crédit : Amélie Philibert | Université de Montréal

L’article met également en lumière la fréquence et l’amplitude de certains phénomènes climatiques extrêmes comme les vagues de chaleur ou de froid, les épisodes de sécheresse, les excès de précipitations et les incendies. Le constat est accablant et les effets sont instantanés et brutaux sur les populations d’insectes touchées.

Bien que les conséquences à long terme de ces évènements extrêmes restent peu explorées, les pronostics sont mauvais pour les nombreuses espèces qui n’ont pas les capacités de résistance et d’adaptation à de telles pressions environnementales.

«Le criquet Melanoplus borealis est un bon exemple d’insecte menacé par les changements climatiques, souligne Jacques Brodeur. Cette espèce colonise actuellement la toundra au sommet de plusieurs montagnes dans les Chic-Chocs, en Gaspésie, dont le mont Albert. Le réchauffement climatique entraîne le dégel du pergélisol, ce qui aura pour conséquence la disparition de la faune associée à la toundra, du criquet jusqu’au caribou.»

Quelles actions entreprendre à grande échelle?

L’équipe de recherche sonne l’alarme: des actions urgentes sont nécessaires pour conserver les insectes dans une optique à la fois de sauvegarde de la biodiversité, de préservation des espèces emblématiques et de maintien des activités humaines comme l’agriculture.

L’action passe d’abord par les politiques publiques, à l’échelle des pays ou des continents. L'Accord de Paris ainsi que les COP 1 à 26 constituent un début prometteur, mais demeurent toutefois insuffisants.

Trois ingrédients sont essentiels à la survie des insectes face aux extrêmes climatiques: des refuges microclimatiques appropriés, l'accès à une source d'eau et l’accès à une source nutritive sans pesticides. De ce fait, les zones naturelles existantes doivent être strictement préservées, voire étendues.

Nous devons repenser l'agriculture en mettant l'accent sur l'intensification écologique des systèmes de production et en créant des «patchs d’habitats naturels» voués à l'atténuation des effets négatifs du dérèglement climatique.

La préservation de la biodiversité, dont celle des insectes, repose sur un changement de cap, notamment la réduction progressive de l'utilisation des combustibles fossiles, la protection des écosystèmes et la restauration de la biodiversité, le passage à une alimentation essentiellement végétale et l'abandon du dogme de la croissance infinie au profit d'une économie écologique et circulaire.

Faire un jardin pour sauver des insectes

Bien que les actions ayant le plus d'influence soient celles mises en œuvre par les organisations dirigeantes, les décisions prises à des échelles plus petites par les individus ou les municipalités peuvent grandement contribuer à la conservation des insectes.

Par exemple, les bas-côtés des routes, les espaces verts publics et les jardins individuels constituent des habitats et des refuges importants pour les insectes. Ainsi, il est nécessaire d'investir dans la vulgarisation afin de promouvoir le rôle des insectes dans les écosystèmes auprès de tous types de public, dont les enfants, et particulièrement dans les villes, où les effets des extrêmes climatiques sont souvent exacerbés.

Les particuliers peuvent jouer un rôle important pour rendre les villes plus adaptées à la vie des insectes et des autres espèces végétales et animales.

Une solution peu coûteuse, comme cultiver un jardin, s’avère un bon plan de départ; même un rebord de fenêtre conçu de manière appropriée peut être adéquat. Le jardinage respectueux des insectes réduit l'empreinte carbone individuelle et nous récompense sous la forme de produits comestibles et d'une abondance florale, appréciée par les humains et leurs amis à six pattes.

À propos de cette étude

L’article «Scientists Warning on Climate Change and Insects» a été publié par J. A. Harvey et ses collaborateurs le 7 novembre 2022 dans Ecological Monographs. doi: 10.1002/ecm.1553.

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