Être universitaire en temps de guerre
- UdeMNouvelles
Le 20 décembre 2022
- Béatrice St-Cyr-Leroux
À quoi ressemble la vie universitaire en temps de guerre? Deux Ukrainiennes, l’une professeure et l’autre étudiante à l’UdeM, racontent la réalité des universités de leur pays d’origine.
Un missile tombé sur le campus qui laisse un énorme cratère. Des annonces répétées de professeurs ou d’étudiants tués. Des alertes qui retentissent durant un cours et obligent à se réfugier dans un abri antiaérien. Des cours en ligne compliqués par des coupures de courant fréquentes.
Voilà le quotidien surréel des personnes qui fréquentent les universités ukrainiennes depuis le fatidique 24 février dernier, tel que raconté par Viktoriia Railianova et Olha Simoroz. Ces deux Ukrainiennes ont quitté leur pays à cause de l’invasion russe pour venir l'une enseigner et l'autre étudier à l’Université de Montréal.
Viktoriia Railianova est arrivée à Montréal en avril. Accompagnée de sa mère et de sa fille, elle a fui la ville de Dnipro dans un éprouvant périple qui l’a menée en Moldavie, puis en Roumanie, ensuite en banlieue parisienne et finalement dans la métropole québécoise grâce aux mesures de l’Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine.
Avant l’invasion, Mme Railianova était professeure à l’Université nationale de Dnipro. Aujourd’hui, elle enseigne au Département de linguistique et de traduction de l’UdeM, où elle donnera le tout premier cours d’ukrainien à l’hiver 2023.
Olha Simoroz faisait sa maîtrise en philosophie à l’Université nationale Taras-Chevtchenko de Kyiv. Trois jours après le début de l’invasion, ses parents et elle ont quitté la capitale ukrainienne pour une ville plus sûre. Le conflit est venu chambouler ses projets, elle qui tenait mordicus à terminer ses études. Elle a donc pris la décision de partir, seule, pour entreprendre un programme d’échange étudiant au Département de science politique de l’UdeM. Cet hiver, elle aura le statut d’étudiante ordinaire.
Ces deux femmes ont accepté de raconter leur expérience à titre d’universitaires ukrainiennes qui ont vu leur parcours bouleversé par le plus grave conflit militaire en Europe depuis la Deuxième Guerre mondiale.
Une normalité singulière
Viktoriia Railianova et Olha Simoroz mentionnent qu’en Ukraine les universités continuent de fonctionner de façon presque normale, sauf que les cours sont majoritairement donnés en ligne, comme pendant la pandémie de COVID-19.
Le mode d’enseignement asynchrone est souvent privilégié, puisque la situation des étudiants et des professeurs varie énormément en fonction de la proximité avec les zones de combat et que les coupures d’électricité compliquent la connexion à Internet et fragmentent les horaires.
Pour les cours en présence et les membres de l’administration qui travaillent sur place, les établissements doivent être munis d’un abri antibombe et, si ce n’est pas le cas, les gestionnaires doivent indiquer où se situe le plus près. Dès qu’une sirène annonçant de possibles frappes aériennes retentit, toute la communauté universitaire doit aller s’y réfugier. Parallèlement, nombreux sont ceux et celles qui utilisent une application mobile pour savoir quand une alerte est lancée et quand elle se termine.
Certaines universités, comme celle d’Olha Simoroz, ont élargi leur offre de soutien psychologique à leurs membres. Par exemple, les horaires de la clinique de psychologie ont été étendus et une ligne directe pour de l’assistance en tout temps a été créée.
«Les universités ukrainiennes font face à beaucoup de défis, mais parviennent à fonctionner malgré tout», dit Viktoriia Railianova.
«C’est important que les universités puissent continuer leur mission, non seulement pour assurer l’éducation des générations qui aideront à rebâtir le pays et pour assurer les salaires des employés, mais aussi pour la santé mentale des professeurs et étudiants, qui peuvent poursuivre leur objectif de vie», ajoute Olha Simoroz.
La sécurité avant tout
Dans un tel contexte, un dilemme se pose: faut-il rester au pays pour soutenir son établissement qui lutte pour rester ouvert ou s’en aller pour assurer sa sécurité? Pour Mmes Railianova et Simoroz, le départ était la seule solution qui leur semblait viable.
D’une part, la professeure considère qu’il aurait été irresponsable en tant que mère de rester, même si elle-même ne se sentait pas en danger outre mesure. «Je devais partir pour ma fille, explique-t-elle. La plupart des Ukrainiens qui ont quitté le pays sont ceux avec des enfants parce qu’il faut prendre en compte que les Russes ne tuent pas seulement des soldats, mais aussi des civils. Les enfants sont les futures générations et il faut les protéger.»
Pour elle, partir voulait dire tout laisser derrière: ses proches, ses repères, sa notoriété, ses avoirs.
Pour Olha Simoroz, l’Ukraine était synonyme de danger, autant physique que psychologique. L’invasion a entravé ses aspirations d’effectuer ses études en toute quiétude et d’ainsi pouvoir construire son avenir comme elle l’entendait.
«Je savais que je ne pouvais pas poursuivre ma vie là-bas, mais c’était très important pour moi de continuer à faire ce que j’aime, confie l’étudiante. Aussi, je me disais que la situation était instable en Europe en général, il fallait donc partir.» Et comme elle parle bien le français, Montréal s’est imposée comme une destination stimulante.
Les deux femmes comptent-elles retourner chez elles un jour? Pour l’instant, elles n’en savent rien, elles préfèrent vivre au jour le jour. Une chose est sûre: elles sont toutes deux reconnaissantes de pouvoir enseigner et étudier à nouveau, dans une ville qu’Olha Simoroz appelle déjà sa «deuxième maison».