La communication assistée par la technologie pourrait nuire au développement du cerveau

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Selon une étude internationale, l’utilisation d’applications de visioconférence comme Zoom ou FaceTime aurait des conséquences néfastes sur la cognition sociale et son développement.

Zoom, Teams, Messenger, FaceTime, Skype, WhatsApp: les services de visioconférence sont multiples et n’ont jamais été autant utilisés que depuis la pandémie de COVID-19.

Si la transition vers la communication assistée par la technologie a touché toutes les facettes de la vie sociale humaine depuis les trois dernières années, la littérature scientifique fait pourtant peu état des répercussions de ces outils sur le cerveau social.

Les interactions médiées par la technologie peuvent-elles avoir des conséquences d’un point de vue neurobiologique qui pourraient interférer avec le développement des capacités sociales et cognitives?

C’est ce qu’a voulu savoir une équipe de recherche internationale dont fait partie Guillaume Dumas, professeur au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal et chercheur principal du Laboratoire de psychiatrie de précision et de physiologie sociale du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine.

Membre académique associé à Mila – l’Institut québécois d’intelligence artificielle – et titulaire de la Chaire IVADO en intelligence artificielle et en santé mentale, Guillaume Dumas s’intéresse aux neurosciences sociales, à la biologie des systèmes et à l’intelligence artificielle.

Dans le cadre de cette étude, le chercheur et son équipe ont comparé l’activité électrique des cerveaux de 62 mères et de leur enfant âgé de 10 à 14 ans au cours d’une interaction en face à face par rapport à une communication à distance assistée par la technologie.

Grâce à une technique nommée hyperscanning, qui permet l’enregistrement simultané de l’activité cérébrale de différents sujets, l’équipe a constaté que l’interaction à l’aide d’une plateforme de visioconférence atténuait la synchronisation intercérébrale entre la mère et l’enfant.

Être sur la même longueur d’onde, littéralement

Il y a plusieurs années, Guillaume Dumas avait démontré que les cerveaux humains, lorsqu’ils sont engagés dans une interaction sociale, ont tendance à se synchroniser spontanément, c’est-à-dire que leurs rythmes électriques oscillent à la même fréquence.

«On associe la synchronisation intercérébrale au développement de la cognition sociale, explique Guillaume Dumas. Chez l’enfant, cette résonance entre les cerveaux permet d’apprendre à faire la distinction entre soi et autrui, d’apprendre le lien social.»

Dans cette étude, l’interaction en personne a suscité neuf synchronisations intercérébrales significatives entre les zones frontale et temporale des cerveaux, alors que l’interaction à distance n’en a entraîné qu’une seule.

«Si la synchronisation intercérébrale est perturbée, on peut s’attendre à des conséquences sur le développement cognitif de l’enfant, notamment pour ce qui est des mécanismes soutenant les interactions sociales. Et ces effets dureront toute la vie», ajoute le chercheur.

Fondamentalement sociaux

Guillaume Dumas

Guillaume Dumas

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Les résultats de cette étude mènent Guillaume Dumas à penser que davantage de recherches devraient être conduites sur les coûts potentiels de la technologie sociale sur la maturation du cerveau, en particulier chez les jeunes. Il se questionne ainsi sur l’à-propos du recours à l’enseignement en ligne pour les adolescents.

«Je m’interroge sur la numérisation de l’éducation et les effets de la pandémie sur le développement de la cognition sociale des jeunes, dans un contexte où les rapports humains ont été fragmentés, dit le chercheur. C’est une question importante, mais aussi difficile à évaluer, sachant que ces effets se mesureront dans 10, 15 ou 20 ans.»

En outre, selon Guillaume Dumas, les conclusions de l’étude peuvent aussi être extrapolées aux adultes, plus précisément dans le cas de la fameuse «fatigue Zoom», cet épuisement attribué aux nombreuses visioconférences pendant les récentes périodes de confinement. «Comme les interactions en ligne produisent moins de synchronisation intercérébrale, il serait normal de sentir qu’il faut déployer plus d’efforts et d’énergie pour interagir, que ces interactions semblent plus laborieuses et moins naturelles», avance-t-il.

Aux yeux du chercheur, l’étude vient confirmer que le lien social est fondamental à l’humain et que des mécanismes intercérébraux sont liés au développement du cerveau social: «Ces résultats concordent avec les conclusions d’une étude que nous avons menée sur le pouvoir de l’odeur d’une mère ou encore une autre qui a révélé que le toucher affectif d’un partenaire romantique a la capacité de réduire la douleur.»

Comme quoi nous, les humains, semblons véritablement interconnectés par une technologie bien plus puissante que tous les Zoom et Teams de ce monde: nos cerveaux.

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