Innover par la recherche pour intégrer les personnes exclues ou tenues à l’écart

Isabelle Courcy

Isabelle Courcy

Crédit : Amélie Philibert | Université de Montréal

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Professeure adjointe au Département de sociologie de l’UdeM depuis juin dernier, Isabelle Courcy veut aviver la curiosité pour les petits et grands faits du monde qui nous entoure.

Prendre le temps d’observer le monde dans ses moindres recoins, et adapter les cadres méthodologiques pour tenir compte du récit des personnes qui sont souvent en marge de la société, afin d’enrichir les connaissances scientifiques: c’est cette curiosité bienveillante que souhaite aiguiser Isabelle Courcy chez ses étudiantes et ses étudiants, qu’ils soient au baccalauréat ou aux cycles supérieurs.

Parce que c’est en explorant différentes disciplines que la nouvelle professeure adjointe du Département de sociologie de l’Université de Montréal a elle-même trouvé sa voie.

Un intérêt marqué pour les déterminants de la santé et les inégalités sociales

En 2001, Isabelle Courcy amorce un baccalauréat au Département de kinésiologie de l’UdeM au cours duquel elle prête une attention aux inégalités sociales en santé.

«Cet intérêt m’habitait avant même d’entamer mes études universitaires et j’ai compris que, au-delà des habitudes de vie, les déterminants sociaux – qui ont une grande influence sur l’accès aux soins de santé et sur le quotidien des gens – nous renseignent sur les processus d’exclusion à l’œuvre dans la société», relate-t-elle.

C’est d’ailleurs ce qui l’incite à poursuivre ses études au deuxième cycle. En 2006, elle obtient sa maîtrise en sciences de l’activité physique de l’UdeM grâce à ses travaux menés sous la direction de la professeure Suzanne Laberge. Ceux-ci portent sur la construction du genre dans le sport auprès d’adolescentes et d’adolescents issus de trois milieux socioéconomiques.

«Le sport est un espace de reproduction et de contestation des représentations stéréotypées de la féminité, ajoute Isabelle Courcy. Il s’agissait pour moi d’une bonne introduction aux études de genre et aux mécanismes pouvant réduire l’accès aux activités physiques et sportives.»

Son emploi d’étudiante en maison de répit, qui lui permet de créer des liens de proximité avec des familles et des enfants en situation de handicap, sera aussi déterminant dans ses parcours scolaire et professionnel.

Maternité et autisme: le contexte social de la détresse

Après avoir obtenu un certificat en études féministes de l’UQAM en 2007, Isabelle Courcy y amorce un doctorat en sociologie. Sous la direction de la professeure Catherine des Rivières-Pigeon, elle analyse la maternité en contexte d’autisme au Québec – plus particulièrement les conditions matérielles et normatives de la vie des mères de jeunes enfants autistes.

À l’époque, la doctorante a pu mettre à profit son expertise en matière d’inégalités et d’études de genre afin de contribuer au développement de la recherche sociale sur l’autisme au Québec. Depuis, elle participe à l’avancement des connaissances sur l’expérience de l’autisme à partir d’une perspective sociale, un angle marginal en comparaison des nombreuses recherches sur l’autisme entreprises dans les domaines de la réadaptation ou de la neuropsychologie.

«Il y a 14 ans, la détresse psychologique des mères d’enfants autistes était constatée, mais ses causes étaient peu approfondies, mentionne-t-elle. Mes recherches ont permis de confirmer que ces femmes étaient plus susceptibles de vivre de la détresse psychologique, mais qu’au-delà des caractéristiques de l’enfant ou de sa différence, ce sont surtout les déterminants sociaux de la vie de ces mères – notamment le soutien qu’elles parviennent à obtenir ou pas – qui expliquent leur sentiment de détresse.»

C’est ensuite sous la codirection de l’Université d’Ottawa et de l’École de travail social de l’Université de Lausanne qu’Isabelle Courcy effectue son premier postdoctorat, qui vise à élaborer une méthodologie adaptée pour mesurer la charge de travail en termes de soins que les mères d’enfants autistes assument et son effet sur leur bien-être. Elle met alors au point une méthode visuelle qui permet aux participantes de raconter leur expérience au quotidien avec des photos et des vidéos, ce qui permet une meilleure analyse de leur situation.

Puis, elle se joint au personnel d’un centre de recherche sociale du réseau de la santé et des services sociaux pour son deuxième postdoctorat. Elle y accompagne des travailleuses sociales et travailleurs sociaux ainsi que des proches d’enfants et d’adultes autistes afin d’élaborer un projet en coconstruction visant le croisement de leurs savoirs expérientiels dans la trajectoire de services.

Inclure la perspective des personnes autistes

C’est à titre de chercheuse du réseau de la santé et des services sociaux qu’Isabelle Courcy décide de porter plus précisément son regard sur les personnes autistes «pour tenir compte et apprendre de ce qu’elles ont à dire ou souhaitent communiquer en vue d’inclure leurs perspectives, qui sont trop souvent exclues ou tenues à l’écart par les dispositifs de recherche traditionnels».

«Sur le plan méthodologique, il fallait innover pour trouver comment inclure leurs points de vue et leurs savoirs, en leur permettant de communiquer directement leurs idées plutôt que de passer par une ou un interprète», souligne Isabelle Courcy.

Avant de quitter son poste de professeure qu’elle occupait depuis trois ans à l’UQAM, elle a publié, en juin dernier, une étude qualitative qui montre comment les arts visuels peuvent devenir un outil de mobilisation et de transfert de connaissances à travers un projet de cocréation d’une murale qui allie la recherche, l’art et les savoirs expérientiels.

Une capsule vidéo montre d’ailleurs de jeunes adultes autistes créant une murale intitulée Autismopolis qui leur permet d’exprimer ce qu’ils et elles ont vécu relativement à l’accès aux services de santé.

«Parce que ces personnes se sentent souvent à l’écart ou en marge des codes qui régissent nos interactions sociales et quotidiennes, plusieurs acquièrent une faculté impressionnante de décortiquer les situations sociales, ajoute Isabelle Courcy. Comme sociologue, ce regard posé sur les interactions sociales et le monde qui nous entoure est très riche!»

La curiosité comme moteur

Maintenant de retour à son alma mater à titre de professeure adjointe au Département de sociologie, Isabelle Courcy se dit heureuse de pouvoir mettre à profit son parcours, qui se situe à l’intersection de plusieurs disciplines.

Elle souhaite surtout parvenir à convaincre ses étudiantes et ses étudiants de l’importance de se montrer curieux dans l’apprentissage et la découverte de toute connaissance. Car le regard sociologique devrait se poser tant sur ses études que sur sa vie de tous les jours.

«La curiosité est la pierre angulaire de la sociologie, conclut Isabelle Courcy. Un fait banal peut en dire beaucoup sur une société et ses processus sociaux et, pour mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons, il faut s’arrêter pour l’observer, être à l’écoute de ce que ses acteurs et actrices ont à dire et construire des ponts méthodologiques s’il le faut.»

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