Réinventer les collections au temps de l’évènementiel

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Un nouvel ouvrage sur la muséologie évènementielle vient de paraître.

Johanne Lamoureux

Johanne Lamoureux

Crédit : Faculté des arts et des sciences

L’ensemble de la production culturelle contemporaine obéit aujourd’hui à un impératif évènementiel. On pense bien sûr à la multiplication de demandes d’expositions temporaires ou de manifestations exceptionnelles. Et si cela influait par ricochet sur les collections permanentes et le champ de la muséologie dans sa globalité? s’est demandé le groupe de recherche et réflexion Collection et impératif événementiel – The Convulsive Collection.  

À la faveur d’une subvention de développement de partenariat du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, avec le Musée d’art de Joliette, le Musée des beaux-arts de Montréal et le Musée national des beaux-arts du Québec, l’équipe de recherche s’est penchée sur diverses stratégies de mise en valeur des collections et a réfléchi sur ces pratiques. Autour de ce sujet peu étudié jusqu’à présent, des étudiants et étudiantes ont pu explorer de nouvelles questions de recherche.  

Plusieurs de ces réflexions sont regroupées dans le livre Réinventer la collection: l’art et le musée au temps de l’évènementiel, dirigé par Johanne Lamoureux, professeure d’histoire de l’art à l’Université de Montréal, Mélanie Boucher, professeure à l’Université du Québec en Outaouais, et Marie Fraser, professeure à l’Université du Québec à Montréal. 

Pour en savoir plus, nous avons rencontré Johanne Lamoureux, qui pilote, depuis 2021, un partenariat de recherche sur les nouveaux usages des collections dans les musées d’art. Ce programme prolonge et élargit les questions de recherche initiales sur les collections. 

Comment expliquer que les collections soient remises au goût du jour dans les musées?

L'hypothèse facile serait d’évoquer des motifs économiques. Il y a eu à la fin du siècle dernier un engouement marqué pour les grandes expositions, mais leur organisation, notamment à cause des coûts en matière de transport et d’assurances, est devenue ruineuse. Toutefois, en y regardant de plus près, les contraintes budgétaires ne sont peut-être pas la cause principale de ce nouvel intérêt pour les œuvres en résidence permanente au musée: j’y vois une pratique locavore, une volonté de valoriser le potentiel d’un trésor local au lieu de fantasmer sur la venue onéreuse d’œuvres exotiques. Le musée semble avoir découvert que non seulement il pouvait créer l'évènement autour d’expositions, mais aussi qu’il avait à sa portée, pour ainsi dire, tout le patrimoine de ses collections dont il pouvait réactualiser le sens en repensant les usages qu’il en fait.  

Comment ce changement se traduit-il dans la manière de présenter les collections?

Les collections, au lieu d’être laissées en dormance dans des installations immuables, deviennent le terrain d’une fabrique évènementielle: on donne par exemple carte blanche à des artistes pour qu’ils et elles se les approprient ponctuellement, on amplifie médiatiquement l’entrée de nouvelles acquisitions, on réorganise les présentations de manière inédite, moins historique, plus thématique et souvent anachronique. Cela inscrit, de façon nouvelle, les collections dans la temporalité plus épidermique et convulsive de l'évènement. Mais pas uniquement. Ce mouvement représente aussi un moment réflexif et souvent expérimental pour le musée, qui reconsidère ainsi, et sans amplification médiatique cette fois, l’ensemble de ses pratiques liées aux collections. Les lieux de la collection permanente deviennent un peu des laboratoires. 

Les musées deviennent des laboratoires où les acteurs officiels peuvent différer: on peut même demander au visiteur traditionnel de participer!

Oui, il arrive que le musée demande la participation du public dans la genèse même des expositions. Dans Réinventer la collection, Jessica Minier étudie le commissariat participatif dans les organisations artistiques. Les modalités de ces commissariats sont nombreuses: de la consultation à la cocréation en passant par des collaborations. Il ne s’agit pas toujours de pratiques révolutionnaires: les groupes consultés peuvent voter pour continuer à voir ce qu'ils ont toujours aimé, mais l’entrée de nouveaux acteurs, souvent communautaires, conduit à un renouvellement des points de vue, des contenus, des pratiques de la collection. 

Les musées et leur rapport avec le public sont alors redéfinis…

Les musées sont depuis des décennies préoccupés par leur démocratisation. On pourrait même dire que le musée s’est historiquement formé en rendant publiques des collections princières dont l’accès était auparavant limité. Mais leur destinataire fantasmé a longtemps été un improbable visiteur universel qui serait magiquement transformé par le creuset des établissements muséaux: le musée s’intéresse aujourd’hui davantage à ce que j’appelle des «citoyens de proximité», bien réels, incarnés, pas nécessairement consommateurs de culture et parfois critiques de l’institution muséale. Il existe désormais au sein des musées un désir d’être plus représentatifs de la société où ils s’insèrent. Cela influe sur la présentation et les visées de leurs collections. Cela signifie aussi que, si les musées se posent la question de leur pertinence et de leur représentativité, ils se perçoivent comme des organisations responsables socialement. En conséquence, les musées d’art, par exemple, ne se situent plus seulement au regard du grand référent de l'histoire de l'art dont ils ont longtemps cherché à incarner et à façonner le récit dans leurs salles. Ils considèrent désormais que plusieurs chemins peuvent favoriser l’expérience de l’art et que l’art s’exprime sur autre chose que lui-même.  

Cela a-t-il une incidence sur les œuvres à acquérir?

Quand un musée souhaite que ses collections soient davantage en prise avec la société dans laquelle il se trouve, c’est l’idée même de ses lacunes qui se trouve redéfinie: l’histoire de l’art n’est alors plus le seul facteur déterminant de ce qui manque à une collection. On cherche davantage à sortir des sentiers battus, à aller vers des artistes issus des communautés, à acquérir selon une parité entre les genres. Certes, depuis plus d’un siècle, l’art moderne puis l’art contemporain ont transformé la définition de ce qu’est un objet de collection: qu’on pense aux formats et supports atypiques, aux œuvres numériques ou immatérielles acquises par protocole, à l’entrée de la performance au sein des collections. Mais les musées ont aussi de nouvelles manières, souvent plus consultatives, d’acquérir des œuvres. 

En savoir plus

Sous la direction de Mélanie Boucher, Marie Fraser et Johanne Lamoureux, Réinventer la collection: l'art et le musée au temps de l'évènementiel, Presses de l’Université du Québec, 2023, 400 pages.

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