Comment les collectionneurs ont enrichi le cinéma

L'ouvrage des Presses de l'Université de Montréal rend hommage aux collectionneurs du cinéma et propose une réflexion sur ce qu'est une collection.

L'ouvrage des Presses de l'Université de Montréal rend hommage aux collectionneurs du cinéma et propose une réflexion sur ce qu'est une collection.

Crédit : Presses de l'Université de Montréal

En 5 secondes

Un nouvel ouvrage met en lumière le rôle méconnu et pourtant essentiel des collectionneurs dans l’histoire du cinéma.

Crédit : Presses de l'Université de Montréal

Longtemps méprisés, les collectionneurs ont cependant apporté une contribution magistrale au cinéma. Sans leur minutieux travail de collecte ou sans leur défense de pans de la production cinématographique jusqu’alors négligés, le monde du cinéma serait bien différent. L’ouvrage Le cinéma dans l’œil du collectionneur leur rend un vibrant hommage et invite également à réfléchir sur ce qui constitue une collection. 

Faisant suite au colloque «Le cinéma dans l’œil du collectionneur» à la Cinémathèque québécoise, ce livre donne la parole à des universitaires, des collectionneurs, des cinéastes, des conservateurs ou encore des archivistes de l’extérieur du pays à travers une grande variété de textes comprenant des entretiens, des essais, des témoignages ainsi que des archives rarement publiées. On y apprendra par exemple comment la petite-fille de Méliès a parcouru le monde pour regrouper la collection de son célèbre grand-père ou ce que renferme la précieuse collection de recherche de François Lemai à l’Université Laval. 

Cet ouvrage collectif a été dirigé par André Habib et Louis Pelletier, respectivement professeur et chargé de cours au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal, et Jean-Pierre Sirois-Trahan, professeur au Département de littérature, théâtre et cinéma de l’Université Laval, assistés de Charlotte Brady-Savignac, doctorante au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’UdeM. 

Réhabiliter les collectionneurs du cinéma… jusqu’à ceux de vidéos pornographiques

«Dans le monde de la recherche ou de la conservation, le cinéphile a très souvent eu mauvaise presse. Obsessif, il a été perçu comme un maniaque qui au lieu de faire preuve de raison était purement dans l'affect. Le collectionneur a lui aussi été vu comme une personne habitée par son obsession quasi pathologique. Ces deux personnages ont longtemps été des repoussoirs», explique André Habib. 

Et pourtant, ils ont un savoir très pratique pour les établissements de conservation et pour les chercheurs. «Le collectionneur peut ainsi posséder un savoir intime de multiples variations d'un même modèle de caméra, avec parfois des modifications infimes qu'il peut être le seul à connaître et qui ne figurent dans aucun livre», poursuit Louis Pelletier. 

L’ouvrage leur redonne donc la parole, soit directement comme dans un long entretien où l’historien du cinéma Laurent Véray interroge les collectionneurs Maurice Gianati et Laurent Mannoti, soit indirectement par des textes réflexifs. On découvre ainsi qui sont les collectionneurs de photogrammes, de cassettes VHS ou même de vidéos pornographiques. 

«À priori, le collectionneur de pornographie est un personnage assez peu fréquentable. Mais si l’on veut faire l'histoire de la pornographie en tant que forme culturelle, que phénomène social, tout à coup, ces collectionneurs ont un rôle extrêmement intéressant à jouer dans un contexte où ces œuvres-là sont très souvent non archivées et ne sont conservées nulle part. La seule trace qui peut exister de ces films, de ces pratiques apparaît alors dans les témoignages de ces collectionneurs», dit André Habib. 

Une réflexion sur les collections

Ce livre propose également une réflexion approfondie sur les collections. Il existe des collectionneurs de toutes sortes, rappellent les auteurs, des philatélistes aux schoïnopentaxophiles, c’est-à-dire des amateurs de cordes destinées à la pendaison! Pour le cinéma, les collectionneurs peuvent être très variés. Ainsi, concernant les tout premiers objets du cinéma, on peut penser aux autographiles, cartovisitophiles, estiquephilistes ou iconomécanophiles, soit les collectionneurs d’autographes, de cartes de visite, de billets de spectacles ou d’appareils photo. Si l’on faisait peu de cas de ces artéfacts à l’époque, ils sont aujourd’hui conservés précieusement dans des musées, après être passés par une plus ou moins longue période de purgatoire.  

Alors comment naît et se forme une collection? Grâce aux collectionneurs principalement! Ce sont eux qui majoritairement donnent leurs collections aux musées. «Cela vaut pour le cinéma, mais plus largement pour l’ensemble des arts. Depuis la constitution des musées à la Renaissance, la majeure partie des œuvres exposées provient des collectionneurs. Les musées ont toujours été à la traîne par rapport à ce qui était intéressant pour les collectionneurs», mentionne Jean-Pierre Sirois-Trahan. 

L’ouvrage revient ainsi sur le décalage entre les collectionneurs et les établissements de conservation. Par exemple, lorsqu’en 1910 Apollinaire souhaite consulter des films récemment acquis par la Bibliothèque nationale de France, on lui répond: «Nous, monsieur, nos employés ne sont pas là pour enrouler ce que vous avez déroulé… Votre place, monsieur, présenterait à la fin de la séance un spectacle désolant et peu banal… 600 mètres de ruban photographique… Mais, monsieur, nous aurions l’impression que la Bibliothèque Nationale est affligée d’un ver solitaire… Non, non, non, pas de ça, Lisette… On ne communiquera les films que lorsqu’on aura découvert la façon de les communiquer…»  

Les femmes, des pionnières dans l’histoire du cinéma

Enfin, si les collectionneurs sont en grande majorité des hommes, cet ouvrage insiste sur le rôle méconnu de collectionneuses, qui ont joué des rôles de pionnières dans l’histoire du cinéma.  

Ainsi, la mémoire du cinéma français, conservée à la Cinémathèque française, ne serait pas ce qu’elle est sans l’extraordinaire travail de la chercheuse et collectionneuse Lotte Eisner et c’est grâce à Madeleine Malthête-Méliès que nous avons aujourd’hui accès à des chefs-d’œuvre du pionnier du septième art. 

Un travail sur l’histoire du cinéma qui se poursuit aujourd’hui avec le travail de nombreuses chercheuses qui ont collaboré à ce livre comme Alice Michaud-Lapointe, chargée de cours au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’UdeM. 

En savoir plus

Sous la direction d’André Habib, Louis Pelletier et Jean-Pierre Sirois-Trahan assistés de Charlotte Brady-Savignac, Le cinéma dans l’œil du collectionneur, Les Presses de l’Université de Montréal, 2023, 344 pages. 

Sur le même sujet

cinéma livres histoire de l'art