L’acquisition du langage serait différente chez des personnes autistes
- UdeMNouvelles
Le 20 septembre 2023
- Virginie Soffer
Certains enfants autistes pourraient acquérir des compétences langagières indépendamment de l'attention conjointe, qui est habituellement associée à l’apprentissage d’une langue.
Vous regardez un camion. Vous êtes avec un petit enfant et il suit votre regard. Il s’intéresse au véhicule que vous observez sans que vous pointiez l’objet. Cette attention conjointe s’avère ensuite essentielle dans l’apprentissage d’une langue pour associer un mot à un objet.
Or, le manque d’attention conjointe est une caractéristique majeure de l’autisme. Jusqu’à présent, on pensait ainsi que stimuler l’attention conjointe des personnes autistes les aiderait à s’exprimer verbalement. Mais une méta-analyse de 71 études sur l’autisme remet en question ce présupposé. L’acquisition du langage chez les gens atteints d’un trouble du spectre de l’autisme pourrait se faire autrement, selon cette recherche réalisée par Laurent Mottron, professeur au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal et psychiatre à l'Hôpital en santé mentale Rivière-des-Prairies du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Nord-de-l’Île-de-Montréal, Mikhail Kissine, professeur de linguistique à l’Université libre de Bruxelles, et Ariane St-Denis, étudiante en médecine à l’Université McGill. Ces travaux sont parus dans Neuroscience & Biobehavioral Reviews.
Près de 30 années de recherche sur l’autisme passées au crible
Pour réaliser leur méta-analyse, les auteurs ont pris en compte toutes les études sur l’attention conjointe et le langage chez les enfants autistes publiées depuis 1994.
Ils ont ensuite sélectionné celles qui rapportaient une mesure claire du langage structurel à l’aide d’éléments comme la taille du vocabulaire et ont exclu celles qui comprenaient uniquement des mesures des compétences en communication.
Apprendre une langue sans attention conjointe?
Chez les personnes neurotypiques, les interactions sociales jouent un rôle fondamental au moment de l’acquisition du langage. «Il est donc logique de supposer que la capacité à établir un cadre attentionnel partagé pourrait augmenter les possibilités pour les enfants autistes de prêter attention aux stimulus linguistiques et de s'engager dans des expériences de communication», expliquent les auteurs de l’étude.
Pourtant, cette méta-analyse laisse entendre que, dans des interventions visant à favoriser les communications sociales chez les personnes autistes, les gains linguistiques ne seraient pas significatifs. «Lier les résultats linguistiques à l’attention conjointe dans l'autisme est paradoxal dans la mesure où une proportion importante d'enfants autistes qui deviennent verbaux ont toujours un diagnostic d'autisme, dont une composante principale est précisément une attention conjointe atypiquement faible», poursuivent les auteurs de l’étude. On pensera par exemple aux individus atteints du syndrome d’Asperger qui acquièrent une impressionnante maîtrise langagière sans avoir développé parallèlement des habiletés sociales similaires.
Sur les 71 études analysées, seules 28 révèlent que travailler sur l’attention conjointe des gens autistes pourrait être corrélé à l’acquisition d’un vocabulaire simple chez les jeunes enfants. «Oui, ces études vont bien montrer que l'attention conjointe est associée à un vocabulaire très simple de moins de cinq mots. Par contre, elles ne permettent pas de prédire si l'enfant pourra ensuite s’exprimer correctement lorsqu’il aura sept ou huit ans», signale Laurent Mottron. Vingt-cinq autres études ne rapportent aucune corrélation entre l’attention conjointe et l’acquisition du vocabulaire chez les enfants autistes.
Et si l’apprentissage des langues se faisait autrement chez les personnes autistes?
L’apprentissage des langues pourrait être autre chez les personnes autistes, se faire sans interaction sociale. «Pensons par exemple aux populations immigrantes pour qui l’anglais n’est pas la langue maternelle et dont les enfants apprennent l’anglais uniquement en consultant la tablette électronique sans pourtant parler la langue de leurs parents», observe Laurent Mottron.
Si certains enfants autistes sont moins sensibles à la voix humaine qu’à l’écrit, cela ouvrirait de nouvelles perspectives d’intervention. «Cela voudrait dire qu'il faudrait présenter aux enfants autistes une langue non communicative, en plus de leur parler», conclut le professeur Mottron, à l’origine de cette étude qui ouvre la voie à une meilleure prise en compte de la neurodiversité.