Homophobie, transphobie et biphobie: quel est le portrait actuel?
- UdeMNouvelles
Le 16 mai 2024
- Béatrice St-Cyr-Leroux
Les professeurs et chercheurs Annie Pullen Sansfaçon et Olivier Ferlatte discutent des enjeux qui les animent et des solutions qu’ils envisagent dans le climat social tendu du moment.
Toilettes non genrées, thérapies de conversion, comité de sages sur l’identité de genre. Autant de sujets qui ont récemment fait les manchettes des médias québécois, qui ont enflammé les débats et polarisé les esprits.
Malgré les avancées législatives et sociales en faveur des droits des personnes LGBTQ+, la méconnaissance et la discrimination semblent toujours ancrées dans les mentalités et continuent d’avoir des effets pervers sur la vie de nombreuses personnes.
En ce 17 mai, Journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, UdeMNouvelles a voulu donner la parole à deux professeurs et chercheurs de l’Université de Montréal experts de ces enjeux.
Annie Pullen Sansfaçon, professeure à l’École de travail social, est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la recherche partenariale et empowerment des jeunes vulnérabilisés et Olivier Ferlatte, professeur à l’École de santé publique de l’UdeM, dirige le laboratoire Qollab sur la santé mentale des personnes LGBTQ+.
Ensemble, ils mettent en lumière les défis de ces communautés, en plus de remettre certaines pendules à l’heure et d’explorer les actions nécessaires pour construire un avenir plus inclusif.
Un rappel de l’importance d’une telle journée.
Selon vous, quels sont les enjeux actuels concernant l’homophobie, la transphobie et la biphobie?
Olivier Ferlatte: Je pense que nous sommes à un tournant. On a fait des gains législatifs importants pour les communautés LGBTQ+, par exemple l’implantation en 2022 de la loi pour criminaliser les thérapies de conversion et leur promotion. Ces deux dernières années, on a vraiment observé une hausse des violences envers les personnes LGBTQ+ et la stigmatisation des jeunes persiste, que ce soit à l'école, dans le sport ou au travail. Ce qui est encore plus inquiétant, c’est l’émergence de groupes haineux qui visent particulièrement les personnes trans et la propagation de la désinformation dans les communautés trans, surtout dans les médias sociaux.
Annie Pullen Sansfaçon: Il se passe énormément de choses chez les jeunes actuellement, surtout dans la manière dont ils sont perçus. Il y a une sorte de panique morale qui s’installe. La désinformation dans les médias sociaux, oui, mais aussi dans les médias traditionnels. Elle ne découle pas nécessairement d’une mauvaise foi ou d’un manque de volonté, mais les consensus scientifiques établis par de nombreuses études sont remis en cause sur la base de une ou deux études qui écartent toutes les autres, pourtant sérieuses et révisées par les pairs.
De quelle façon cette désinformation a-t-elle des effets négatifs sur les jeunes de la communauté LGBTQ+, précisément les jeunes trans, qui sont visés dans les discours actuels?
APS: Il y a des effets énormes sur l’accès aux soins. On le voit déjà dans certains États américains ou encore en Angleterre avec le nouveau rapport Cass [qui recommande une grande prudence dans la prescription de bloqueurs de puberté].
J’ajouterais que dans les médias cette question est souvent discutée sous l’angle de la détransition, une question sur laquelle je travaille depuis quatre ans. Et l’on ne présente qu’une seule portion de ces jeunes. Les jeunes qui détransitionnent, qui retournent à leur sexe assigné à la naissance n’ont pas tous des regrets profonds, ils ne pensent pas tous qu’ils ont été inadéquatement diagnostiqués. C’est certain que ces jeunes existent et ils doivent être entendus, mais quand on écoute plusieurs récits, on voit que la situation des jeunes qui détransitionnent est beaucoup plus hétérogène. Nous avons posé des questions sur leurs perceptions quant à la façon dont était discutée la détransition. De façon générale, ils trouvent que les discours sont inadéquats, inexacts ou incomplets. Et ces discours ont des effets sur eux-mêmes, ces jeunes sont aussi victimes de cette désinformation: par exemple, plusieurs se disent invisibilisés, deviennent aliénés des communautés ou se sentent instrumentalisés par des groupes anti-trans.
Les effets sont aussi très grands dans les familles, puisque les parents entendent également ces discours et parfois ils remettent en question le soutien à leur enfant.
Que peut-on faire pour combattre ou contrer la désinformation?
APS: Je pense que les individus doivent faire leurs devoirs. La science et les données de recherche peuvent difficilement gagner contre des idéologies qui se répandent. D’une part, les médias doivent s’assurer que les experts invités sont réellement des experts et, d’autre part, les gens doivent être conscients que nous sommes dans une situation où les faits et les idées sont mélangés.
OF: Nous sommes dans une période où l’on s’intéresse moins aux faits qu’aux anecdotes. Ça rend les discussions sur le sujet vraiment compliquées. Les discours actuels concernant les personnes trans sont analogues à ceux qu’ont connus les communautés homosexuelle, lesbienne et bisexuelle il y a 30-40 ans. On décrit les personnes trans comme dangereuses. On peut tirer des leçons du passé, mais la période actuelle est rendue difficile par les médias sociaux. Le climat social donne à voir des gens qui considèrent les communautés trans comme des dangers et qui voudraient qu’elles disparaissent, et les personnes LGBTQ+ ont peur pour leurs droits et leur sécurité physique. C’est un moment tendu.
Comment devrait-on concevoir la recherche quand elle concerne des groupes très marginalisés comme ceux que vous étudiez?
APS: La recherche se doit d’être ancrée dans les besoins des communautés: du «par et pour». Et cela est encore plus vrai lorsque nous n’avons pas directement dans les équipes de recherche des membres des populations concernées. La consultation de ces populations doit être constante.
OF: Tout à fait. Dans mon domaine, la santé, la recherche se faisait auparavant sur les communautés et sans leur participation, ce qui finissait par devenir stigmatisant. Il est pertinent de déconstruire les dynamiques de pouvoir en recherche et d’avoir recours à d’autres méthodes qui intéressent plus les communautés, comme des approches artistiques – balados, photos, voix, etc. Les jeunes me disent aussi que ça leur permet de représenter leur réalité de façon positive. On parle souvent des difficultés des jeunes LGBTQ+, mais il est important de reconnaître la grande force, la résilience et la créativité de ces jeunes et d’en parler davantage.
APS: Oui, il y a aussi un intérêt à changer de perspective sur les enjeux. Ainsi, on parle beaucoup de dysphorie de genre, d’incongruence de genre. Pourquoi ne s’intéresse-t-on pas à l’euphorie de genre, au sentiment de bien-être à la suite de l’affirmation de son genre? Souvent, la recherche se penche sur le négatif, la dépression, la violence, mais ça vient renforcer l’idée que ces populations ne vont pas bien, alors qu’elles ont aussi de superbes forces.
À titre de professeurs d’université, comment diriez-vous que le milieu universitaire doit être pensé afin qu’il soit plus inclusif?
APS: Ça passe beaucoup par l’éducation. Nous avons lancé quelques formations en ligne à cet effet, notamment le cours Transdiversité, pour mieux outiller les participants quant à la réalité des individus trans et comprendre notamment que leur identité de genre est protégée par la Charte des droits et libertés de la personne.
OF: Je crois aussi à l’importance de la visibilité. Par exemple, dans mes équipes, on prend l’habitude d’exposer sur les murs les affiches de nos projets de recherche pour célébrer les communautés. M’identifiant moi-même à ces communautés, je considère qu’il est important d’avoir des modèles, de les voir et de les entendre. Ensuite, si l’on pense plus concrètement, on devrait avoir accès dans tous les bâtiments à des toilettes non genrées.
Pour connaître les ressources et les actions de l’Université de Montréal dans la lutte contre l’homophobie et la transphobie, consultez la page Fièrement alliée des communautés de la diversité sexuelle et de genre.