Course aux immigrants économiques: une compétition ouverte entre les provinces canadiennes

De toutes les nations fédérées dans le monde, les provinces canadiennes sont celles qui ont le plus de pouvoirs en matière d'immigration, selon Catherine Xhardez.

De toutes les nations fédérées dans le monde, les provinces canadiennes sont celles qui ont le plus de pouvoirs en matière d'immigration, selon Catherine Xhardez.

Crédit : Getty

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La professeure Catherine Xhardez a présenté les résultats d’une étude sur les politiques mises en place par les provinces du pays pour attirer, choisir et surtout retenir les immigrants économiques.

Dans un contexte de pénurie de main-d'œuvre généralisée, la compétition pour attirer et retenir les immigrants qualifiés se joue non seulement entre pays, mais aussi entre les provinces canadiennes. C'est ce qu'a révélé Catherine Xhardez, chercheuse spécialisée en politiques d'immigration, au cours d’une conférence qu’elle a prononcée le 6 juin à l’occasion du Forum sur l'intégration 2024, tenu à Montréal. 

Basant sa présentation sur sa récente étude intitulée «‘Stand by me’: competitive subnational regimes and the politics of retaining immigrants», la professeure du Département de science politique de l’Université de Montréal a mis en lumière les stratégies adoptées par les provinces pour séduire, sélectionner et surtout garder les immigrants économiques sur leur territoire.

Un pouvoir accru en matière d'immigration

Catherine Xhardez

Catherine Xhardez

Crédit : Amélie Philibert, Université de Montréal

Si le Québec a été le premier à obtenir davantage de compétences en matière d'immigration, les autres provinces canadiennes lui ont rapidement emboîté le pas. Grâce à des ententes bilatérales avec le gouvernement fédéral, elles disposent aujourd'hui de pouvoirs plus étendus, particulièrement en ce qui concerne l'immigration économique. 

«De toutes les nations fédérées dans le monde, les provinces canadiennes sont celles qui ont le plus de pouvoirs en matière d'immigration, souligne Catherine Xhardez. Cette autonomie accrue s'est traduite par l’élaboration de politiques d'attraction, de recrutement, de sélection et d'accueil des immigrants, ainsi que par des stratégies de distribution visant à répartir les nouveaux arrivants sur l'ensemble du territoire.» 

À cet égard, l'instrument le plus utilisé par les provinces pour attirer les immigrants économiques est le Programme des candidats des provinces. Ce dispositif leur permet de sélectionner directement une part importante de leurs immigrants qualifiés: dans certains cas, jusqu'à 90 % des immigrants économiques d'une province ont été choisis par le biais de ce programme! 

Cependant, malgré ces efforts de sélection ciblés, les provinces font face à un défi majeur, soit celui de la rétention. «En effet, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, les immigrants bénéficient, avec certaines réserves, de la même liberté de mouvement que les citoyens canadiens et peuvent donc changer de province à leur guise», ajoute Catherine Xhardez.

Des taux de rétention variables

Les données qu’elle a recensées en consultant les documents provinciaux, publiés entre 2005 et 2022, et 63 programmes d'immigration économique révèlent des écarts importants entre les provinces en termes de rétention des immigrants cinq ans après leur arrivée.  

La Colombie-Britannique, le Québec et l’Alberta sont les trois provinces qui ont les taux de rétention les plus élevés, soit 86, 85 et 83 % (taux couvrant cinq années, pour toutes les catégories d’immigrants). À l'opposé, certaines provinces de l’Atlantique peinent à garder leurs immigrants: le Nouveau-Brunswick ne retient que 50 % d'entre eux, Terre-Neuve-et-Labrador 46 % et l'Île-du-Prince-Édouard seulement 31 %.

Des critères de sélection axés sur l'ancrage local

Pour maximiser leurs chances de retenir les immigrants économiques, les provinces ont mis en place des critères de sélection particuliers, utilisant entre autres les programmes de candidats provinciaux non seulement comme outils d'attraction et de sélection, mais aussi comme leviers de rétention. 

Catherine Xhardez a d’ailleurs établi quatre catégories d'actions mises en œuvre en ce sens. 

  • L'évaluation des facteurs d'adaptabilité: les candidats sont favorisés s'ils ont déjà des liens familiaux, professionnels ou éducatifs dans la province. 
  • La démonstration de l'intention et de la capacité de s'installer durablement: certaines provinces, comme le Manitoba, exigent des preuves d'attachement à la communauté locale. 
  • L'élaboration d'un plan d'installation détaillé: les candidats doivent parfois présenter un projet concret d'intégration comprenant le choix du lieu de résidence ou l'éducation des enfants. 
  • Des critères d'exclusion: certains candidats peuvent être refusés s’ils résident dans une autre province ou s'ils possèdent, par exemple, une propriété dans une autre province. 

Ces pratiques font émerger un nouveau critère de sélection. Selon la professeure, le «migrant idéal» n'est plus seulement celui qui possède les compétences professionnelles recherchées, il est aussi celui qui démontre un engagement fort à l’égard de la province d'accueil. 

«Il reste à voir si ces politiques fonctionnent sur le long terme et à mieux comprendre les trajectoires des immigrants», nuance Catherine Xhardez, qui mentionne que d'autres facteurs peuvent influencer la décision de quitter une province ou d’y rester.

Des enjeux financiers et sociétaux majeurs

L'importance accordée à la rétention des immigrants économiques par les provinces canadiennes «s'explique par les investissements et efforts consentis par les provinces à la fois dans les politiques d'attraction et dans l'intégration des nouveaux arrivants, indique la professeure. Le départ d'un immigrant vers une autre province représente donc une perte nette pour la province d'accueil initiale». 

Au-delà des aspects financiers, ces stratégies de rétention soulèvent des questions sur l'équilibre entre les besoins économiques des provinces et le droit à la mobilité des immigrants. Elles mettent également en lumière les défis liés à l'intégration à long terme et à la construction d'un sentiment d'appartenance chez les nouveaux arrivants. 

«Alors que la compétition pour les talents s'intensifie, les provinces canadiennes continuent d'affiner leurs approches. L'efficacité de ces politiques et leur effet sur la répartition spatiale des immigrants et leur répartition économique au pays resteront des sujets d'étude et de débat dans les années à venir», conclut Catherine Xhardez.

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