Bricoler les mécanismes d'horlogerie de la vie
- UdeMNouvelles
Le 19 décembre 2024
Le groupe du professeur Alexis Vallée-Bélisle, du Département de chimie de l’UdeM, a découvert comment programmer les molécules du vivant pour qu’elles s’activent à divers moments, agissant comme des minuteurs moléculaires. L'image illustre que le temps, à l’échelle moléculaire, peut être programmé par le biais même des biomolécules qui composent le vivant. Elle met l’accent sur l’ADN, la biomolécule qui a permis au groupe de recherche d’étudier les mécanismes biochimiques qui régulent le temps.
Crédit : Mete Duman, Web & 3D Scientific Visual Designer, scientific-designs.comDes scientifiques de l'UdeM ont recréé deux mécanismes biochimiques naturels pour programmer des nanomachines, offrant de nouvelles perspectives en médecine grâce à des minuteurs moléculaires.
Les organismes vivants surveillent le temps et y réagissent de multiples façons de manière extrêmement bien chronométrée. D’un côté, ils arrivent par exemple à détecter et à réagir à la lumière et au son en quelques microsecondes tandis que, de l’autre, la détection de certains signaux provoque des réponses physiologiques programmées sur une bien plus longue échelle de temps. On peut penser ici aux signaux qui enclenchent le cycle quotidien du sommeil, le cycle menstruel mensuel ou les réponses aux changements saisonniers.
Cette capacité à réagir à différentes échelles de temps est rendue possible grâce à des commutateurs moléculaires – ou nanomachines – qui agissent comme des minuteurs programmés pour que des fonctions s’activent et se désactivent en réponse à l’environnement et au temps.
Dans une étude publiée dans le Journal of the American Chemical Society le 19 décembre, des scientifiques de l’Université de Montréal ont recréé et validé avec succès deux mécanismes biochimiques distincts permettant de programmer les vitesses d’activation et de désactivation des nanomachines chez les organismes vivants sur plusieurs échelles de temps.
Leurs résultats permettraient d’exploiter ces processus naturels pour améliorer la nanomédecine et d’autres technologies tout en aidant à expliquer l’évolution de la vie.
L’analogie de la porte
Les commutateurs biomoléculaires ou nanomachines, généralement composés de protéines ou d’acides nucléiques, sont les rouages de la machinerie du vivant. Ils accomplissent des milliers de fonctions clés, dont les réactions chimiques, le transport de molécules, le stockage d’énergie et la facilitation des mouvements et de la croissance.
Mais comment ces commutateurs ont-ils évolué pour s’activer à différentes échelles de temps? Cette question passionne les biochimistes depuis longtemps. Suivant les modèles pionniers Monod-Wyman-Changeux et Koshland-Nemethy-Filmer élaborés dans les années 1960, deux mécanismes distincts ont été proposés pour expliquer comment s’opère l’activation des commutateurs biomoléculaires.
«L’analogie d’une porte est pratique pour illustrer ces deux mécanismes, dit Alexis Vallée-Bélisle, professeur de chimie à l’UdeM et chercheur principal de cette étude. La porte fermée représente la structure inactive du commutateur ou de la nanomachine, tandis que la porte ouverte représente sa structure active. La grande différence entre ces deux mécanismes est la présence d’une poignée sur la porte! Dans le mécanisme de la sélection conformationnelle, la molécule activatrice doit attendre que la porte s’ouvre de manière spontanée avant de l’agripper dans sa forme ouverte. Par contraste, dans le mécanisme de l’ajustement induit, la molécule activatrice interagit avec la poignée et son interaction force l’ouverture de la porte.»
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L’analogie de la porte aide à illustrer deux mécanismes biochimiques permettant d’activer les commutateurs biomoléculaires ou nanomachines à l’origine de la vie. Dans le mécanisme de la sélection conformationnelle (porte de gauche), l’absence de poignée oblige l’utilisateur – la molécule activatrice – à attendre l’ouverture spontanée de la porte. Dans le mécanisme de l’ajustement induit (porte de droite), la présence de la poignée permet à l’utilisateur – la molécule activatrice – de forcer ou provoquer l’ouverture de la porte.
Crédit : Bruna Di Giacomo, behance.net/brunadigiacomo
Construire une «nanoporte» avec l’ADN
Pour élucider le mystère de ces mécanismes, les chercheurs ont recréé une «porte» moléculaire simple en utilisant de l’ADN. Bien que principalement connu pour son rôle dans le codage génétique, l’ADN est également exploité par des bio-ingénieurs pour fabriquer des objets à l’échelle nanométrique grâce à sa chimie programmable et polyvalente.
«Comparé aux protéines, l’ADN est comme des blocs LEGO qui nous permettent de construire ce que nous imaginons à l’échelle nanométrique», dit Dominic Lauzon, chercheur associé et coauteur de l’étude.
En utilisant cette approche, les chercheurs ont conçu une porte de cinq nanomètres qui peut être ouverte à partir des deux mécanismes biochimiques distincts, ce qui leur permet de comparer directement leur efficacité et la manière de les programmer. Par exemple, le mécanisme de l’ajustement induit – grâce à la poignée – permet l’ouverture et la fermeture de la porte jusqu’à 1000 fois plus rapidement que le mécanisme de la sélection conformationnelle, soit des minutes contre des jours.
L’équipe de recherche a aussi montré que ces mécanismes peuvent être utilisés pour programmer des systèmes nanotechnologiques dans divers domaines, notamment pour la libération contrôlée de médicaments. Ainsi, «en concevant une poignée moléculaire, nous avons créé une nanomachine permettant une libération rapide et immédiate d’un médicament par le simple ajout d’une molécule activatrice, indique Achille Vigneault, étudiant de maîtrise en génie biomédical à l’UdeM et coauteur de l’étude. Et en l’absence de poignée, nous avons également conçu une nanomachine programmable offrant une libération plus lente et continue du médicament après son activation».
Ces résultats démystifient les rôles évolutifs distincts et les avantages des deux mécanismes de signalisation et expliquent pourquoi certaines protéines ont évolué pour être activées par un mécanisme plutôt qu’un autre, précisent les chercheurs.
«Prenons les récepteurs cellulaires qui permettent de détecter la lumière ou de percevoir des odeurs: ils bénéficient probablement d’un mécanisme d’ajustement induit rapide, souligne Alexis Vallée-Bélisle. En revanche, des processus qui s’étendent sur plusieurs heures, comme les cycles quotidiens, devraient tirer avantage du mécanisme plus lent de la sélection conformationnelle.»
À propos de cette étude
L’article «Programming the kinetics of chemical communication: Induced fit vs conformational selection», par Carl Prévost-Tremblay, Achille Vigneault, Dominic Lauzon et Alexis Vallée-Bélisle, a été publié le 19 décembre 2024 dans le Journal of the American Chemical Society.
Relations avec les médias
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Julie Gazaille
Université de Montréal
Tél: 514 343-6796