Des chimistes créent des nanomachines en les détruisant

Les chercheurs Alexis Vallée-Bélisle et Dominic Lauzon

Les chercheurs Alexis Vallée-Bélisle et Dominic Lauzon

Crédit : Amélie Philibert et Benoit Gougeon | Université de Montréal

En 5 secondes

Des chercheurs de l'UdeM ont découvert que, en «brisant» des nanomachines en plusieurs morceaux, elles acquièrent de nouvelles fonctionnalités, comme être plus sensibles à leur environnement.

«Tout acte de création, disait Picasso, est d'abord un acte de destruction.» Prenant ce concept au pied de la lettre, des chimistes de l’Université de Montréal ont découvert que le fait de mettre en pièces des nanomachines moléculaires essentielles à la vie permettait d'en créer de nouvelles qui fonctionnent encore mieux.

Leurs conclusions sont publiées aujourd'hui dans Nature Chemistry.

Les nanomachines à l’origine de la vie

La vie sur Terre est possible grâce à des dizaines de milliers de nanomachines biologiques qui ont évolué au cours de millions d'années. Souvent constituées de protéines ou d'acides nucléiques, elles contiennent généralement des milliers d'atomes et font moins de 10 000 fois la taille d'un cheveu humain.

«Ces nanomachines – qui régissent toutes les activités moléculaires de notre corps et leurs problèmes de régulation ou de structure – sont à l'origine de la plupart des maladies humaines», rappelle Alexis Vallée-Bélisle, chercheur principal de l’étude et professeur de chimie à l'Université de Montréal.

En étudiant la façon dont ces nanomachines biologiques créées par mère Nature sont formées, le professeur Vallée-Bélisle, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en bio-ingénierie et bionanotechnologie, a remarqué que, si certaines sont constituées d'un seul composant ou d'une seule pièce – souvent un long biopolymère –, d'autres sont faites de plusieurs éléments qui se sont assemblés de façon spontanée.

«Comme la plupart de mes étudiants et étudiantes passent le plus clair de leur temps à concevoir des nanomachines en laboratoire, nous en sommes venus à nous demander s'il n'était pas plus avantageux de les fabriquer à l'aide d'un ou de plusieurs composants moléculaires capables de s’autoassembler», raconte le professeur.

Une idée destructrice

Dominic Lauzon et Alexis Vallée-Bélisle ont découvert que la fonction des nanomachines moléculaires peut évoluer efficacement si on les brise en plusieurs composants. L'image illustre comment la fabrication de nanomachines à l'aide d'un seul composant vert (en haut) conduit à une structure à fonction unique. Par contraste, la fabrication de nanomachines similaires à l'aide de trois composants (bleu, orange et vert) permet de créer des structures fonctionnelles dotées de nouvelles propriétés, par exemple une sensibilité plus ou moins grande – c'est-à-dire coopératives ou anticoopératives – et une fonction d’horloge moléculaire.

Crédit : Caitlin Monney

Pour répondre à cette question, l’étudiant de doctorat Dominic Lauzon a eu l'idée «destructrice» de mettre en pièces une diversité de nanomachines pour voir si elles pouvaient être réassemblées. Pour ce faire, il a fabriqué des nanomachines artificielles à base d'ADN susceptibles d’être «détruites» ou fragmentées en plusieurs morceaux.

«L'ADN est une molécule remarquable qui offre une chimie simple, programmable et facile à utiliser, souligne Dominic Lauzon, premier auteur de l'étude. Nous avons fait le pari que notre expérience de “destruction” de nanomachines à base d'ADN nous aiderait peut-être à répondre à des questions fondamentales sur la création et l’évolution des nanomachines biologiques et sur celles créées par l’humain. Ce fut long, mais nous avons remporté ce pari!»

Le professeur et son étudiant ont passé des années à effectuer des validations expérimentales et théoriques qui ont démontré que les nanomachines pouvaient facilement résister à la fragmentation. Plus surprenant encore, cette fragmentation permet la création de plusieurs fonctionnalités inédites, par exemple différents niveaux de sensibilité à des variations de concentration ou de température ou encore des mutations.

Les chercheurs ont découvert que ces fonctionnalités pouvaient apparaître simplement en contrôlant la concentration de chaque composant de la nanomachine. Ainsi, en coupant une nanomachine en trois composants, ils ont constaté qu’elle s'activait de manière plus sensible lorsque la concentration des composants était élevée. En revanche, lorsque cette concentration des composants était faible, cette nanomachine pouvait plutôt être programmée pour s'activer ou se désactiver à un moment précis.

«Globalement, ces nouvelles fonctionnalités ont été obtenues simplement en découpant ou en détruisant la structure d'une nanomachine existante, dit Dominic Lauzon. Nous croyons que ces fonctionnalités pourraient améliorer considérablement les nanotechnologies humaines, comme les biocapteurs, les transporteurs de médicaments et les ordinateurs moléculaires

Faire évoluer de nouvelles fonctionnalités

Tout comme Picasso qui détruisait ses œuvres inachevées pour en créer d’autres ou comme les petites déchirures dans les muscles d’un athlète permettent de les renforcer et d’augmenter sa masse musculaire, les nanomachines ont aussi ce pouvoir d’évoluer positivement en étant partiellement détruites.

Contrairement aux objets de la vie courante tels que les téléphones cellulaires, les téléviseurs et les voitures, qui sont fabriqués en combinant des pièces à l'aide de vis, de boulons, de colle ou de soudures, «les nanomachines ont été conçues grâce à des milliers de forces intermoléculaires dynamiques faibles qui permettent à celles qui sont brisées de se réassembler de manière spontanée», précise Alexis Vallée-Bélisle.

En plus de fournir aux chercheurs en nanotechnologie une stratégie de conception simple pour mettre au point la prochaine génération de nanomachines, les résultats de l'équipe de l'UdeM permettent de mieux comprendre comment les nanomachines biologiques ont pu évoluer.

«Des biologistes ont découvert dans les années 2000 qu'environ 20 % des nanomachines biologiques ont possiblement évolué par la fragmentation de leurs gènes. Avec nos résultats, les biologistes disposent désormais d'une base rationnelle pour comprendre comment la fragmentation de ces protéines ancestrales a pu engendrer de nouvelles fonctionnalités moléculaires permettant à la vie de s’adapter sur Terre et de durer», s’enthousiasment les deux chercheurs et chimistes.

À propos de cette étude

L’article «Functional advantages of building nanosystems using multiple molecular components», par Dominic Lauzon et Alexis Vallée-Bélisle, a été publié le 9 février 2023 dans Nature Chemistry.

L’étude a été financée par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies.

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