Aide alimentaire au Québec: temporaire pour plusieurs, permanente pour d’autres
- UdeMNouvelles
Le 12 mars 2025
- Martin LaSalle

Selon les données de 2023 produites par Statistique Canada, l’insécurité alimentaire au Québec est passée de 10,9 % en 2019 à 15,7 % en 2022. L’insécurité alimentaire modérée et l’insécurité alimentaire grave ont fortement augmenté, passant de 8,9 % à 10,8 % au cours de la même période.
Crédit : GettySi la majorité des gens qui ont recours à une banque alimentaire pour la première fois ne la fréquentent plus après deux ans, 40 % demeurent dépendants de cette aide.
Bonne nouvelle: la majorité des personnes qui ont recours à une banque alimentaire pour la première fois n’ont plus besoin de la fréquenter deux ans plus tard. La moins bonne nouvelle: 40 % demeurent dépendants de cette aide et y font appel de façon chronique ou récurrente.
C’est ce qui ressort d’une étude intitulée Parcours, réalisée de 2018 à 2022 auprès de 1001 nouveaux utilisateurs de banques alimentaires au Québec et recrutés auprès de 106 organismes communautaires de quatre régions (Montréal, Mauricie–Centre-du-Québec, Lanaudière et Estrie) par une équipe de chercheuses et de chercheurs rattachés au Centre de recherche en santé publique (CReSP) de l'Université de Montréal.
Les résultats de l’étude, qui était codirigée par Louise Potvin, de l’École de santé publique de l’UdeM, et Geneviève Mercille, du Département de nutrition de l’Université, ont été publiés dans la revue Lumière sur la recherche au CReSP et d’autres revues scientifiques.
Des profils variés, unis par la précarité
L’étude révèle que, au moment de leur première visite dans une banque alimentaire, plus de 80 % des nouveaux utilisateurs souffraient d'insécurité alimentaire et près de la moitié étaient confrontés à une insécurité alimentaire grave, soit des personnes qui devaient régulièrement sauter des repas.
Parmi les participants de l’étude, 75 % vivaient dans un ménage disposant d'un revenu annuel inférieur à 20 000 $ et leur santé était moins bonne tant sur le plan physique que sur le plan mental par rapport à la population générale. En moyenne, ces gens se présentaient dans une banque alimentaire 2,4 fois par mois au début de leur parcours de demandeurs d’aide alimentaire.
L’équipe de recherche a mis au jour cinq profils de personnes ayant recours à l'aide alimentaire. Il s’agit:
- d’immigrants nouvellement arrivés et confrontés à la non-reconnaissance de leurs diplômes et à la méconnaissance du pays;
- d’individus dont la vie a basculé à la suite de problèmes de santé physique ou mentale qui les ont contraints à épuiser leurs ressources (placements, vente de maison) avant de demander de l'aide;
- de femmes – particulièrement les mères chefs de famille monoparentale – souvent fragilisées par une dépendance financière à l’égard de l’ex-conjoint;
- de personnes issues de la pauvreté intergénérationnelle, marquées par des parcours laborieux depuis l'enfance;
- d’aînés n'ayant pu accumuler suffisamment de capital pour leurs vieux jours.
Sur une période de deux ans, l’étude a montré que ces nouveaux utilisateurs de l’aide alimentaire ont connu quatre parcours types: le tiers (33,1 %) ont rapidement cessé d'y recourir, tandis qu'un autre quart (24,9 %) s'en sont détachés progressivement. À l'opposé, près du tiers (31,4 %) sont devenus des utilisateurs chroniques, visitant les banques alimentaires presque chaque mois, et 10,6 % y ont eu recours de façon récurrente, avec des pauses plus ou moins longues.
«Les réalités différaient aussi selon les milieux, explique Louise Potvin. En zone rurale, parmi les populations moins scolarisées, on comptait davantage de familles monoparentales et de ménages en situation d'insécurité alimentaire grave. À l'inverse, Montréal se distingue par une plus forte présence de gens issus de l’immigration, d'étudiants et de personnes vivant seules, dont le niveau de scolarité est généralement plus élevé.»
Une amélioration globale, mais des défis persistants
L’étude met en lumière un lien direct entre l'augmentation des revenus et la capacité à sortir du système d'aide alimentaire, même si les revenus restent modestes, soit un revenu annuel oscillant entre 25 000 $ et 30 000 $. Toutefois, il faut souligner que seule la moitié des participants est parvenue à atteindre une véritable sécurité alimentaire tandis que le taux d'insécurité alimentaire grave a chuté de 41 % à 21 %.
Malheureusement, avoir recours à l’aide alimentaire à plus long terme est associée à la persistance de l’insécurité alimentaire et à une détérioration de la santé physique.
«Pour les personnes aptes à intégrer ou réintégrer le marché du travail, l'aide alimentaire joue un rôle de levier temporaire, mais dans les cas de grande vulnérabilité, notamment chez les personnes âgées ou celles ayant des problèmes de santé importants, le retour à l'emploi est pratiquement impossible, mentionne Geneviève Mercille. Dans ces cas, l'accès à un logement social, la reconnaissance d'une contrainte sévère à l'emploi ou l'atteinte de l'âge pour le versement de la pension de vieillesse constituent les seules possibilités d'amélioration des conditions de vie.»
Une préoccupation grandissante
Selon les données de 2023 produites par Statistique Canada, l’insécurité alimentaire au Québec est passée de 10,9 % en 2019 à 15,7 % en 2022. L’insécurité alimentaire modérée et l’insécurité alimentaire grave ont fortement augmenté, passant de 8,9 % à 10,8 % au cours de la même période.
«Avec la hausse de l’inflation des dernières années, la crise du logement et l’incertitude économique qui prévaut, on peut imaginer qu’un pourcentage encore plus élevé de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire, et les réseaux d’entraide sont surchargés et ne parviennent pas à combler tous les besoins», déplorent Louise Potvin et Geneviève Mercille.
Selon elles, il importe d’offrir un accompagnement personnalisé et de favoriser une approche coordonnée entre les différents services d'aide. «Un véritable écosystème de soutien, avec des organismes en employabilité, en soutien aux immigrants et aux femmes et autres services sociaux, s'avère nécessaire de même que des stratégies plus larges visant à améliorer le filet de protection sociale», ajoutent-elles.
«Lorsque les gens se rendent pour la première fois dans une banque alimentaire, ce n’est pas de gaieté de cœur, concluent les deux professeures. Quand ils sont rendus là, c’est qu’ils ont déjà essayé d’autres choses et qu’ils n’ont plus le choix. Il faut continuer à étudier de quelles façons les personnes parviennent à s’en sortir, car les banques alimentaires ne constituent pas une solution durable sur le long terme.»
À propos de cette étude
L’article «Demander de l’aide alimentaire, et après?», par Louise Potvin, Geneviève Mercille et leur équipe de recherche, a été publié dans le numéro de juillet 2024 de la revue Lumière sur la recherche au CReSP.