Une boussole plutôt qu’un chèque: l’orientation scolaire pour réduire les inégalités
- UdeMNouvelles
Le 5 juin 2025
- Martin LaSalle

Quatre ans après l’implantation du programme d’orientation scolaire à long terme, l’accompagnement personnalisé a permis d’augmenter de 10 points de pourcentage l’inscription à l’université chez les élèves de familles à faible revenu; concrètement, ce sont 50 élèves de plus qui se sont inscrits à l’université.
Crédit : GettyL’orientation scolaire contribue davantage qu’une aide financière ponctuelle à réduire les inégalités d’accès à l’université et augmente le revenu gagné à long terme, selon Laëtitia Renée, de l’UdeM.
Pour améliorer l’accès à l’enseignement supérieur chez les jeunes issus de familles à faible revenu, l’orientation scolaire s’avère plus puissante que les incitatifs financiers.
C'est ce que révèle une étude longitudinale menée auprès de plus de 4000 élèves de 30 écoles secondaires du Nouveau-Brunswick suivis jusqu'à l'âge adulte, qui a mesuré l’efficacité d’un programme intensif d'orientation scolaire et d'une aide financière conditionnelle à l’inscription dans un établissement d’enseignement postsecondaire.
L’étude, dont les données initiales proviennent de la Société de recherche sociale appliquée, a été réalisée par la professeure Laëtitia Renée, du Département de sciences économiques de l’Université de Montréal. Ses résultats ont été publiés récemment dans l’American Economic Journal: Applied Economics.
Le pouvoir de l’ambition guidée
Les élèves ont été aléatoirement répartis dans quatre groupes, dont un groupe témoin, pour pouvoir comparer distinctement l’effet des approches mises à l’essai:
- le groupe «orientation scolaire», où, pendant trois ans, les jeunes ont participé à des séances au cours desquelles ils planifiaient leur avenir éducatif et professionnel en explorant les options d’études et de carrière en vue de faciliter la transition de l’école secondaire vers l’université;
- le groupe «soutien financier», dans lequel les élèves se voyaient offrir une aide de 9600 $ – en complément du programme de prêts et bourses – conditionnelle à l’inscription dans un établissement enseignement supérieur, versée en plusieurs tranches sur deux ans;
- le groupe «mixte», qui bénéficiait des deux approches précédentes;
- le groupe témoin, dans lequel les élèves n’ont pris part à aucun atelier.
Les résultats ont montré que, quatre ans après l’implantation du programme d’orientation à long terme, l’accompagnement personnalisé a permis d’augmenter de 10 points de pourcentage l’inscription à l’université chez les élèves de familles à faible revenu, réduisant de 70 % l’écart avec leurs camarades plus favorisés, ce qui représente aussi une hausse de 50 % par rapport au groupe témoin.
«Concrètement, ce sont 50 élèves de plus qui se sont inscrits à l’université après avoir bénéficié du programme, ce qui est particulièrement notable», souligne Laëtitia Renée.
De plus, les résultats révèlent que, une décennie plus tard, les élèves ayant suivi le programme d’orientation à long terme voyaient, lorsqu’ils atteignaient l’âge de 29 ans, leur revenu annuel moyen augmenter de 2700 $, soit 10 % de plus que ceux qui n’avaient pas suivi le programme.
Pour ce qui est de l'aide financière complémentaire au programme de prêts et bourses, elle a légèrement permis d’accroître les inscriptions dans les collèges communautaires et les universités (respectivement de 5 et 4 points de pourcentage), sans toutefois influencer l’obtention d’un diplôme universitaire. Quant aux revenus à l’âge adulte, l’étude n’observe aucun gain statistiquement significatif; certaines données indiquent même une légère baisse.
«On a déjà un bon programme de prêts et bourses au Canada et l’aide financière supplémentaire incite peut-être des jeunes à s’inscrire à l’université, mais pas toujours dans les bonnes conditions ou disciplines, explique Laëtitia Renée. Ils n’en tirent pas nécessairement un avantage économique.»
Selon l’analyse économique de l’étude, ce soutien financier additionnel engendre un coût net pour la société et, contrairement à l’orientation scolaire, il ne s’accompagne pas de recettes fiscales supplémentaires par l’entremise de meilleurs revenus futurs.
L’avantage d’être amené à réfléchir à son avenir
Pour Laëtitia Renée, l’amélioration qu’entraîne le programme d’orientation scolaire, en termes d’accès aux études universitaires et de salaire, réside dans la réflexion qu’il provoque chez les jeunes.
«Au cours des séances, ils sont amenés à réfléchir à leurs champs d’intérêt, à leurs objectifs et aux moyens concrets de les atteindre, précise-t-elle. Ils doivent rédiger, planifier et revoir leur trajectoire future à la lumière de nouvelles informations.»
Elle poursuit: «Ce que ce programme essaie de changer, c’est le référentiel de ces jeunes. Quand on n’a autour de soi que des gens qui n’ont pas fait d’études supérieures, même avec de bonnes notes, on n’envisage pas forcément l’université.»
Selon elle, on sous-estime souvent l’effet de l’information et des attentes sur les choix éducatifs, surtout chez les jeunes de milieux modestes, et l’aide financière seule n’a pas ce pouvoir transformateur.
Des politiques publiques à reconfigurer
Les résultats indiquent aussi que miser sur l’orientation permet de réduire les inégalités sociales et améliore la prospérité à long terme: le programme d’orientation scolaire permet selon l’économiste d’engendrer un bénéfice net estimé à 50 000 $ par élève, notamment grâce à l’augmentation des revenus et des impôts perçus.
«Ce qu’on apprend, c’est que l’information, la motivation et la capacité à se projeter sont des ressources aussi précieuses que l’argent et elles sont souvent absentes chez les jeunes les plus vulnérables», soutient Laëtitia Renée.
Toutefois, elle recommande la prudence: certains élèves que le programme d’orientation scolaire avait incités à s’inscrire à l’université ont abandonné leurs études en cours de route. Un soutien complémentaire pourrait être nécessaire pour garantir son plein succès. L’étude note également qu’il reste difficile de distinguer quels éléments précis du programme – ateliers, discussions, activités écrites – sont les plus déterminants, ce qui ouvre la porte à de futures recherches.
«Néanmoins, cette recherche montre que ces interventions peuvent modifier durablement la compréhension qu’ont les élèves de l’enseignement supérieur et de ses avantages», conclut la professeure.
À propos de cette étude
L’article «The Long-Term Effects of Career Guidance in High School and Student Financial Aid: Evidence from a Randomized Experiment», par Laëtitia Renée, a été publié dans la revue American Economic Journal: Applied Economics.