Un hamac pour les nouveau-nés prématurés

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La valorisation de la recherche à l'UdeM Article 8 / 11
«C’est un projet d’envergure, probablement une première pour un doctorat en sciences infirmières», affirment d’emblée les directrices d’Adèle Saives à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, la professeure Marjolaine Héon et Marilyn Aita, professeure et chercheuse au Centre de recherche Azrieli du CHU Sainte-Justine. Tellement ambitieux, de fait, que l’étudiante a effectué un passage accéléré au doctorat en 2021 pour aller au bout de ce projet.
Désireuse de proposer une intervention prometteuse pour soutenir le développement des nouveau-nés prématurés, elle découvre une étude portant sur un modèle artisanal de hamac néonatal au Brésil. Après quelques recherches, elle arrive à un constat: rien de tel n’existe en Amérique du Nord ou en Europe et, surtout, aucun modèle standardisé n’est commercialisé.
Depuis, le projet Prémac a parcouru beaucoup de chemin. Le hamac, initialement mis à l’essai à l’unité néonatale du CHU Sainte-Justine, a fait l’objet d’un premier financement grâce à une initiative pilote de validation clinique de nouvelles technologies en milieu réel de soins, toujours à la même unité. Ainsi, le projet est soutenu conjointement par la Fondation CHU Sainte-Justine, le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie et Axelys, une organisation à but non lucratif dont la mission est d’accompagner les équipes de recherche dans le transfert d’innovations pour la prospérité durable du Québec.
Le hamac, conçu par Adèle Saives qui est soutenue par une bourse de formation doctorale des IRSC, et évalué dans l’unité néonatale du CHU Sainte-Justine, suscite déjà un intérêt marqué. Toutefois, comme une demande de brevet est actuellement à l’étude, il n’est pas possible d’en diffuser d’images.
Reproduire le mouvement intra-utérin
À la suite d’un accouchement prématuré, les nouveau-nés se trouvent de façon soudaine dans un environnement fort différent. «Dans les unités de néonatologie, on veut optimiser le développement neurologique. Pour cette raison, on essaie d’offrir les mêmes stimulations sensorielles que durant la grossesse», explique Adèle Saives, qui est également infirmière néonatale au CHU Sainte-Justine depuis 2020. On diminue l’intensité lumineuse et le niveau de bruit; mais dans le ventre de la mère, le fœtus bouge aussi à sa guise. «Ce sont des stimulations importantes pour le développement du cerveau, qu’on pense à la coordination des mouvements, au sommeil…», souligne-t-elle.
Placés dans l’incubateur, les nouveau-nés prématurés sont peu exposés à des mouvements qui sollicitent leur système vestibulaire. La candidate au doctorat a donc voulu créer un hamac qui introduirait du mouvement grâce à leur simple respiration tout en les enveloppant. «C’est ce qui se rapproche le plus du mouvement in utéro. On pense que ça pourrait avoir des effets positifs sur la stabilité des paramètres physiologiques, mais également sur le sommeil, ce qui est très important pour le développement des nouveau-nés prématurés», avance l’étudiante.
Fédérer les gens autour d’une idée
Adèle Saives a ainsi puisé dans ses expériences et connaissances pratiques comme infirmière. «Adèle a tout créé, insistent Marilyn Aita et Marjolaine Héon. Elle n’a pas eu juste l’idée, elle a conçu le design avec le logiciel, choisi les matériaux, cousu le prototype et mobilisé les couturières du CHU Sainte-Justine pour la confection des modèles finaux.»
Malgré tout, la doctorante désirait d’abord s’assurer de l’acceptation de son idée: «C’était important que mon projet soit compatible avec la routine de soins des milieux cliniques», dit Adèle Saives, qui rapporte avoir reçu des commentaires enthousiastes dès le départ.
Elle n’a pas hésité à s’entourer de personnes de différentes disciplines: néonatologistes, physiothérapeutes, ergothérapeutes et inhalothérapeutes. Puis, avec Sophie Labat, à l’époque étudiante de doctorat en génie biomédical à Polytechnique Montréal, elle a travaillé aux premières esquisses, avant de coudre elle-même le prototype. Pour concevoir une attache qui fonctionnerait sur le nouveau modèle d’incubateur utilisé à l’unité néonatale du CHU Sainte-Justine, elle est allée chercher l’expertise de Julie Lévesque, ingénieure au Centre de métallurgie du Québec.
Même si le projet était au carrefour de plusieurs disciplines, Adèle Saives a su réunir ces divers éléments en une vision holistique. «Elle a considéré beaucoup d’aspects que sa formation universitaire en sciences infirmières lui a permis d’évaluer en ce qui concerne les soins relatifs au développement», soulignent Marilyn Aita et Marjolaine Héon. Tout a été réfléchi: du choix de la matière qui enveloppe les nouveau-nés prématurés aux coutures qui ne doivent pas abîmer leur peau fragile. Le hamac peut par ailleurs être remis à plat rapidement dans le cas d’interventions d’urgence et être désinfecté facilement pour prévenir les infections.
Le hamac à l’essai
Après avoir validé la sécurité de la technologie, l’étudiante a amorcé un essai clinique randomisé auprès de prématurés nés entre 26 et 35 semaines de gestation et hospitalisés à l’unité néonatale du CHU Sainte-Justine. «Je souhaite évaluer les effets du hamac par rapport à la position sur le dos en incubateur», résume-t-elle.
En plus du financement obtenu et de l’accompagnement d’Axelys, d’autres organismes ont soutenu le projet de recherche d’Adèle Saives, dont les Instituts de recherche en santé du Canada. Le Bureau Recherche-Développement-Valorisation de l’UdeM et le Bureau de l’innovation du CHU Sainte-Justine ont également offert une précieuse aide dans cette aventure. «Cette démarche était nouvelle pour nous et nous avons particulièrement apprécié l’accompagnement étape par étape», ajoute la doctorante.
D’ici l’obtention des résultats de son essai clinique, Adèle Saives rêve d’un brevet et d’une utilisation répandue du Prémac. Mais peu importe les résultats, l’aventure aura été formatrice et riche en découvertes autant intellectuelles qu’humaines.