Ravy Por: pour une intelligence artificielle au-delà des stéréotypes

Ravy Por et Guy Breton

Ravy Por et Guy Breton

Crédit : Yves Lacombe

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La diplômée en mathématiques Ravy Por est l’une des représentantes les plus en vue de la jeune communauté des experts en science des données dans le milieu de la finance. Guy Breton l’a rencontrée.

Les concepts liés à l’intelligence artificielle tels l’apprentissage automatique et l’analytique avancée étaient à peine connus lorsque Ravy Por a obtenu son diplôme en mathématiques en 2008. Ce qui ne l’a pas empêchée de devenir l’une des représentantes les plus en vue de la jeune communauté des experts en science des données dans le milieu de la finance. À 34 ans, Ravy Por est responsable de la formation des employés, du recrutement et des partenariats dans le secteur de l’analytique et de l’intelligence artificielle chez Desjardins. Elle dirige également un organisme à but non lucratif, Héros de chez nous, qui démythifie auprès des jeunes les métiers liés aux technologies numériques. Le recteur Guy Breton l’a rencontrée.

GUY BRETON: On m’a dit que vous avez prononcé des conférences cette année devant quelque 3000 élèves. Quel est l’attrait, chez eux, des professions du domaine numérique?

RAVY POR: Ils sont fascinés par les réseaux sociaux et beaucoup rêvent d’en faire un métier, c’est-à-dire de devenir créateurs au lieu d’être de simples utilisateurs. Mais peu d’entre eux comprennent les algorithmes et les mathématiques qui se cachent derrière leurs applis favorites. Je les sensibilise au fait que poursuivre des études va leur donner les outils pour réussir dans ces métiers.

GB: Comment vous êtes-vous intéressée au monde des données?

RP: Rien ne me prédestinait à faire carrière dans ce qu’on appelle l’analytique avancée. Je suis fille de réfugiés du génocide au Cambodge, qui a été perpétré dans les années 70. Mes parents, encore aujourd’hui, ne parlent ni français ni anglais. J’ai commencé à parler français seulement à l’âge de sept ans. À l’école primaire, je ne comprenais rien à la syntaxe, mais je comprenais tout de la logique des nombres. La deuxième langue que j’ai apprise, après le cambodgien, est donc celle des mathématiques!

GB: Une histoire comme la vôtre a la capacité d’inspirer des jeunes de toutes les origines. D’autant plus que les modèles féminins manquent cruellement parmi les spécialistes des technologies.

RP: Je crois qu’une fille qui assiste à l’une de mes conférences ou qui m’entend parler d’intelligence artificielle sur ma chaîne YouTube peut se dire: «Moi aussi, je peux me rendre là où elle est.» Les choses bougent dans notre milieu. Après une campagne de sensibilisation positive d’une année chez Desjardins, le taux de femmes parmi les experts en science des données est passé de 9 % à presque 20 %. La diversité des modes de pensée et des parcours est extrêmement importante, car si ce ne sont que des hommes aux profils similaires qui programment les algorithmes, le risque de laisser des angles morts est élevé.

GB: J’en ai fait moi-même l’expérience il y a plusieurs années. J’effectuais alors des échographies de grossesse en tant que radiologiste. Or, nous travaillions avec des bases de données qui nous indiquaient que les bébés de certaines femmes issues de la diversité ethnique étaient trop petits, donc malades. Mais nous nous sommes aperçus que c’était plutôt les bases de données qui étaient biaisées, car elles n’étaient fondées que sur des informations relatives à des bébés caucasiens.

RP: Encore aujourd’hui, lorsqu’on tape successful person, soit «personne ayant du succès», dans un moteur de recherche, on obtient essentiellement des photos d’hommes caucasiens en complet. Et pour beautiful women, ou «belles femmes», ce sont presque exclusivement des photos de femmes blanches qui apparaissent. Pour changer cela, la solution ne réside pas tant dans l’avancée de la technologie que dans une plus grande diversité parmi ceux et celles qui la créent. Cela étant dit, je garde espoir, puisqu’il y a eu des initiatives fortes comme la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’intelligence artificielle en collaboration avec l’Université de Montréal. De manière générale, les professionnels et les experts parlent de ses enjeux et y sont de plus en plus sensibilisés.