Rencontre avec le prochain recteur

Daniel Jutras

Daniel Jutras

Crédit : Amélie Philibert

En 5 secondes

Le 1er juin prochain, Daniel Jutras deviendra le 12e recteur de l’Université de Montréal.

Le 1er juin prochain, Daniel Jutras deviendra le 12e recteur de l’Université de Montréal. Après 35 ans d’enseignement à la Faculté de droit de l’Université McGill, dont il a été doyen de 2009 à 2016, il revient à son alma mater, là où a commencé sa carrière universitaire. Afin de mieux connaître le parcours du prochain dirigeant de l’Université, UdeMNouvelles l’a rencontré une semaine après l’annonce de sa nomination.

Au tournant des années 80, vous étiez étudiant à la Faculté de droit de l’Université de Montréal. Pourquoi avez-vous choisi ce domaine d’études? Et cette université?

À la fin de mes études collégiales en sciences humaines, je me suis beaucoup intéressé aux enjeux constitutionnels. Il faut dire que nous venions d’entrer dans une période de grande effervescence politique. Mon projet d’étudier le droit n’était pas très mûri, je me suis dirigé dans cette voie sans trop réfléchir, mais j’ai vite réalisé que j’adorais la discipline! Quant à l’Université de Montréal, c’était un choix naturel pour moi. C’était la seule université qui faisait déjà partie de mon univers, et même depuis l’enfance. Je me souviens, à l’âge de six ou sept ans, d’être venu à une journée portes ouvertes et d'avoir été impressionné par le laboratoire sur le stress du Dr Hans Selye.

Que retenez-vous de votre passage à l’Université de Montréal?

Comme étudiant de première génération, je suis entré dans le monde des idées avec un immense plaisir. J’ai eu la chance d’avoir des professeurs remarquables, dont plusieurs ont été des mentors. Je pense à François Chevrette, André Morel, Pierre-André Côté et Didier Lluelles, qui m’ont pris sous leur aile et qui ont transformé la personne que j’étais. Ils m’ont permis d’accéder au poste très convoité d’auxiliaire de recherche à la Cour suprême du Canada. Puis ils m’ont soutenu dans mes démarches pour entrer à l’Université Harvard. Je n’aurais certainement pas envisagé une carrière universitaire si je n’avais fait la rencontre de ces professeurs. En les côtoyant et en les assistant dans leurs recherches, j’ai réalisé à quel point leur travail s’inscrivait dans une grande liberté. Cette liberté est une valeur fondamentale de l’université, une valeur que j’ai faite mienne. 

Vous avez la réputation d’être un enseignant passionné. Vous vous êtes intéressé aux innovations pédagogiques et avez obtenu, en 2006, un prix d’excellence en enseignement. Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon professeur?

Le secret est d’avoir envie d’être en classe, furieusement envie d’être là. Pour moi, ce n’est jamais du temps volé à la recherche. C’est, au contraire, une source d’énergie et d’inspiration formidable. Lorsque les étudiants et les étudiantes sentent la passion qui anime l’enseignant, la magie opère: nous entrons dans un rapport productif quant à la transmission du savoir. Les voir avancer dans leur carrière m’a toujours procuré une grande joie: certains sont devenus professeurs, d’autres sont aujourd’hui des leaders de leur cabinet à l’échelle nationale, voire mondiale.

Votre carrière de juriste vous a conduit à plaider à la Cour suprême du Canada. Racontez-nous cette expérience.

On me connaissait déjà assez bien à la Cour suprême, puisque j’avais pris congé de l’Université McGill, entre 2002 et 2005, pour travailler comme conseiller principal auprès de la juge en chef, la très honorable Beverley McLachlin. À l’invitation de la Cour, j’ai donc plaidé dans deux dossiers distincts qui étaient d’une grande complexité: la réforme du Sénat, telle que la proposait le gouvernement de Stephen Harper, et, quelques années plus tard, la question du pouvoir des tribunaux de réviser les décisions rendues par les tribunaux administratifs comme la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail ou la Régie du logement. Or, ni l’un ni l’autre de ces dossiers n’entraient dans mon champ d’expertise! Je suis privatiste au premier chef, je m’intéresse au droit des contrats, à la responsabilité civile, au droit privé comparé. À mon avis, la Cour cherchait des juristes qui n’avaient pas exprimé d’avis préalables sur ces sujets et qui pouvaient ainsi faire la synthèse des différentes visions présentées et y poser un regard neuf. C’est une expérience que peu de juristes ont la chance de vivre et ce fut pour moi un très grand honneur.

Outre vos fonctions de doyen, vous avez siégé à des comités d’audit indépendants auprès notamment de l’Université Harvard et HEC Paris. Selon votre vue d’ensemble de la réalité universitaire, quel est le principal défi des universités aujourd’hui?

Les défis sont nombreux, mais s’il faut en choisir un, je dirais que l’enjeu principal est celui de la pertinence. L’institution universitaire existe depuis huit siècles et sa mission fondamentale est toujours restée la même, soit la création du savoir, sa préservation et sa transmission. C’est une mission de toute première importance! Particulièrement dans une période où l’on assiste à l’éclatement du savoir, au déclin de l’autorité des experts et même à un certain rejet de la science. Pour moi, il est primordial de réaffirmer haut et fort la mission universitaire et d’obtenir les moyens de la mener à bien. Plus que jamais, les universités doivent s’élever en remparts de la rationalité et rappeler aux décideurs et au grand public que c’est sur leurs campus qu’on cherche des solutions vérifiables aux plus pressants problèmes de notre monde.

Votre nomination comme recteur de l’Université de Montréal a été annoncée il y a une semaine. Comment vivez-vous cette nouvelle réalité?

Je vis de grandes émotions. Mon père, qui est décédé il y a tout juste un an, aurait été très fier. Lorsque je me suis engagé dans la carrière universitaire, il avait bon espoir que je travaille un jour à l’Université de Montréal. Eh bien voilà, j’y suis, papa! Cela dit, je sais que j’ai beaucoup de pain sur la planche. Avant mon entrée en fonction le 1er juin, je dois constituer mon équipe et me mettre au fait des enjeux spécifiques à l’Université de Montréal. J’ai très hâte de commencer à travailler avec tous les membres de la communauté universitaire.

Quel genre de recteur voulez-vous être?

Je souhaite être un recteur bienveillant, qui se soucie du bien-être de la communauté universitaire. Un leader rassembleur qui cherche à établir un climat de travail stimulant et inspirant. Le type de climat qui donne envie aux étudiants et aux étudiantes de venir sur le campus le matin et qui fait en sorte que les membres du personnel et du corps professoral entrent au travail avec un sentiment de fierté, celle de contribuer à la construction de la société. Pour moi, un recteur doit aussi être l’admirateur en chef de son université. Le premier fan de tous ceux et celles qui font le succès de l’établissement; je sais qu’ils sont nombreux. Mon rôle sera de faire rayonner leurs réussites et leur travail ici, au Québec, au Canada, comme sur la scène internationale.

Dans vos temps libres, que faites-vous pour vous détendre et vous changer les idées?

J’ai toujours été un peu hyperactif et j’ai le bonheur de vivre avec une femme extraordinaire qui aime le grand air. Nous passons donc beaucoup de temps à l’extérieur. Nous faisons du ski l’hiver et de la voile et du vélo l’été. Et ne soyez pas surpris de me voir venir travailler en moto à l’occasion!

Qu’est-ce qui agit comme un moteur dans votre carrière?

Ce qui me fait lever le matin, c’est d’abord et avant tout la curiosité. J’ai espoir tous les jours d’apprendre quelque chose de nouveau. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je suis devenu universitaire: pour être plongé dans un environnement où l’on est immédiatement et intensément confronté à de nouveaux savoirs et de nouvelles idées. J’ai eu la chance, comme professeur, de transmettre cette curiosité qui m’anime à des centaines d’étudiants et d’étudiantes. Comme recteur, j’aurai l’incroyable occasion de continuer de le faire à une très grande échelle, dans une très grande université. Et cela m’emballe énormément.

M. Daniel Jutras, prochain recteur de l'Université de Montréal
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