Scruter Twitter pour freiner le virus

  • Forum
  • Le 3 avril 2020

  • Mathieu-Robert Sauvé
«Nous chercherons à repérer les premiers signes de la maladie tels qu’ils sont communiqués dans le réseau social. Nous croyons que ces informations apparaissent bien avant les résultats des tests», indique l’épidémiologiste Hélène Carabin.

«Nous chercherons à repérer les premiers signes de la maladie tels qu’ils sont communiqués dans le réseau social. Nous croyons que ces informations apparaissent bien avant les résultats des tests», indique l’épidémiologiste Hélène Carabin.

Crédit : Getty

En 5 secondes

L’épidémiologiste Hélène Carabin travaille à suivre l’évolution de la pandémie au moyen des réseaux sociaux pour la ralentir.

Le réseau Twitter peut-il nous aider à comprendre comment se répand le coronavirus? C’est la question à laquelle s’attaquera, entre autres, une équipe de chercheurs canadiens dont fait partie l’épidémiologiste Hélène Carabin, professeure à la Faculté de médecine vétérinaire et à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. «Nous chercherons à repérer les premiers signes de la maladie tels qu’ils sont communiqués dans le réseau social. Nous croyons que ces informations apparaissent bien avant les résultats des tests», indique la chercheuse, qui est aussi spécialiste des maladies transmissibles des animaux aux humains.

Bien sûr, la grande majorité des 386 millions de messages textes rédigés au sujet du coronavirus depuis le début de l’année 2020 autour du monde ne mentionnent pas les symptômes de leurs auteurs. Il faudra donc l’aide de l’intelligence artificielle pour trouver cette information dans le contenu canadien de cette mégabanque de données. «La vitesse de réaction des autorités en santé publique pour imposer des mesures de prévention est capitale. Aussi cherchons-nous à reconnaître le plus rapidement possible ceux et celles qui présentent des symptômes. Les médias sociaux peuvent être un moyen de le savoir», mentionne la Dre Carabin.

Sous la direction de Ronald Labonté, professeur à l’Université d’Ottawa, l’équipe a obtenu une subvention de 500 000 $ sur deux ans des Instituts de recherche en santé du Canada afin d’étudier comment une intégration des sciences sociales et des sciences de la santé peut contribuer à freiner la propagation du virus et aider à la gouvernance et à la prise de décision politique. Ses membres nomment Une seule santé (One Health) le principe voulant que la santé des humains est aussi importante que celle des animaux, voire de toute forme de vie, pour offrir une «solution durable» aux écosystèmes et à la cohabitation.

En s'appuyant sur des collaborations de recherche existantes, les chercheurs s’estiment en mesure de «produire des résultats immédiats axés sur le système mondial de coordination» et d’améliorer la prise de décision «fondée sur des données probantes» dans le but d’atténuer la progression de la pandémie, comme ils l’expliquent dans un résumé de leur projet.

Gare aux virus

Hélène Carabin

Crédit : Marco Langlois

La pandémie rappelle que les pathogènes les plus destructeurs peuvent provenir d’espèces animales avec lesquelles les humains sont entrés en contact. On suspecte un marché qui vend des animaux sauvages vivants pour la consommation humaine, en Chine, d’être à l’origine de la pandémie. «Ce genre de marché aurait dû être fermé à la suite de la dernière épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère, car on sait que la transmission était semblable pour ce coronavirus en 2002. Malheureusement, cela n’a pas été fait et l’on se retrouve avec une nouvelle zoonose qui a des conséquences économiques et médicales majeures», dit la Dre Carabin.

À son avis, les experts en santé publique, les élus et les spécialistes de l’épidémiologie ne peuvent plus continuer à travailler chacun de leur côté. Les vétérinaires, entre autres, devraient être beaucoup plus consultés dans l’élaboration des politiques publiques, juge-t-elle.

Vétérinaire depuis 1992, la Dre Carabin ne soigne plus les animaux en clinique depuis longtemps. Ce qui l’intéresse, c’est la santé humaine et la santé animale en lien avec l’environnement biologique. Au cours de ses études postdoctorales au Royaume-Uni, elle a participé à un projet de l’Organisation mondiale de la santé en collaboration avec l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture pour évaluer les répercussions mondiales de quatre zoonoses parasitaires. Partie vivre aux États-Unis après son postdoctorat au tournant du millénaire, elle a mené de multiples travaux de recherche en Afrique et en Asie. Ses études ont été financées, notamment, par les National Institutes of Health des États-Unis et ce n’est qu’en 2018 qu’elle est revenue au Québec, engagée par la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en épidémiologie et une seule santé.

À son avis, la crise actuelle illustre l’empiètement constant des activités humaines sur les écosystèmes naturels. «Il faut bien se le dire, c’est la surpopulation qui pousse les communautés à vouloir se nourrir d’animaux comme le pangolin, vecteur probable du virus entre la chauve-souris et l’humain…»

Elle pense que la pandémie sera vaincue, mais elle craint les dommages, en particulier en Inde, où la densité de population pourrait provoquer un véritable désastre humanitaire si la COVID-19 s’y répand. Un pays qu’elle connaît bien pour y avoir séjourné il y a tout juste six semaines.