L'expertise de la biodiversité en mouvement

L'observatoire international de la biodiversité GEO BON déménage au Québec.

L'observatoire international de la biodiversité GEO BON déménage au Québec.

Crédit : getty

En 5 secondes

Alors que GEO BON déménage son siège social au Québec, l'écologiste Timothée Poisot, de l'UdeM, explique ce que cela signifie pour l'Université, ses partenaires et la science en général.

Timothée Poisot

Timothée Poisot

Crédit : Amélie Philibert

L'observatoire international de la biodiversité GEO BON (acronyme de Group on Earth Observations – Biodiversity Observation Network) ‒ un réseau de près de 1000 chercheurs venant de plus de 550 organisations et de 90 pays ‒ a annoncé aujourd'hui qu'il déménageait son siège social de Leipzig, en Allemagne, au Québec. Le déménagement est déjà en cours et les activités de l'observatoire seront entièrement transférées cet automne au Centre de la science de la biodiversité du Québec, avec une demi-douzaine de nouveaux employés au campus MIL de l'Université de Montréal, à l'Université McGill et à l'Université de Sherbrooke. L'UdeM est un partenaire clé de cet effort, notamment par le biais du Laboratoire d'écologie quantitative et informatique de son département de sciences biologiques. Nous avons demandé au professeur Timothée Poisot, qui dirige le Laboratoire, ce que ce déménagement implique pour lui et les autres chercheurs ici, et pour les progrès en matière de protection de la biodiversité à l'échelle mondiale.

La mission de GEO BON est d’aider à fournir les données les plus précises afin que les décideurs puissent prévenir la perte non durable de la biodiversité dans le monde. Quel sera votre rôle dans ce cadre?

La collecte de données sur la biodiversité est difficile, car elle représente un travail très coûteux et parce que la planète Terre est vaste! Pour nous assurer que nous utilisons ces données au mieux et simuler celles qui sont manquantes, nous devons avoir de puissants outils quantitatifs. Les recherches de mon laboratoire portent sur de nouvelles façons d'utiliser l'apprentissage machine pour automatiser le suivi des tendances de la biodiversité dans le temps et l'espace. Par exemple, nous employons des réseaux neuronaux convolutifs pour reconnaître des animaux dans des images et des communautés d'oiseaux dans des enregistrements audio à une échelle qui ne peut être reproduite par échantillonnage. Même si la biodiversité est en déclin, il y a encore trop de plantes, de microbes, d'oiseaux et autres êtres vivants ‒ pour l'instant! ‒ pour que nous puissions tous les compter. Nous devons recourir à des approches différentes et l'apprentissage machine est actuellement l’outil le plus prometteur dont nous disposons. En ayant GEO BON plus près de nous qu'auparavant, nous pourrons fournir ces résultats aux parties prenantes de manière plus systématique et contribuer à établir les meilleures pratiques sur la scène internationale.

Deux autres universités québécoises ‒ McGill et Sherbrooke ‒ sont partenaires de GEO BON, et vous continuerez à collaborer avec elles. Comment votre travail complète-t-il celui de vos collègues et dans quels domaines?

Chaque université partenaire apporte des compétences uniques. Nous, nous avons de nombreuses années d'expérience dans les avis et conseils donnés aux gouvernements municipal, local, provincial et fédéral sur les questions de biodiversité. Ma participation consistera à jeter des ponts entre le monde de la biodiversité et celui de la science des données, et à guider le groupe informatique du secrétariat de GEO BON afin que ses efforts produisent un maximum d'avantages pour la surveillance de la biodiversité.

On dit que la prochaine décennie sera cruciale pour réduire la perte de biodiversité. Quelle est l'urgence pour les décideurs politiques de disposer des meilleurs outils pour contrer l'extinction des espèces et la dégradation des écosystèmes?

La perte de biodiversité s'accélère; notre monde change et probablement beaucoup plus vite que nous pouvons le documenter. Si la perte de biodiversité est une raison de s’inquiéter, elle est surtout une raison d'agir. GEO BON, de par sa conception, est une interface science-politique. En ajoutant des outils de l'apprentissage machine à la boîte à outils des sciences de la biodiversité, nous nous assurons de pouvoir fournir aux parties prenantes les meilleures indications sur l'état, et les futurs possibles, de la biodiversité. Ce besoin est également exacerbé dans le Sud; c'est pourquoi le partenaire principal du secrétariat de GEO BON est l'Institut de recherche sur les ressources biologiques Alexander von Humboldt en Colombie. Nous travaillons avec lui pour concevoir des outils de calcul qui peuvent permettre à de nouveaux pays de mettre en place des réseaux d'observation de la biodiversité. Nous offrons également des stages internationaux de troisième cycle à des écologistes colombiens dans mon laboratoire de l'Université de Montréal afin qu'ils puissent recevoir une formation de base en science des données.

La variété de la vie animale, végétale et microbienne sur la planète est en diminution. Où les besoins en données précises sont-ils les plus importants actuellement et quelles sont les réussites passées qui peuvent aider à orienter les progrès à l'avenir?

C'est la question qui me tient éveillé la nuit! Nous nous soucions de la biodiversité à la fois pour elle-même et pour son importance dans le bien-être de l'humain. Dans cette optique, il est essentiel de renforcer les capacités de collecte des données et d’en recueillir dans les zones qui seront le plus fortement touchées par le changement climatique. Nous avons besoin de protéines pour survivre, et l'accès aux protéines nécessite des systèmes de pêche durable, des agroécosystèmes diversifiés et une myriade d'autres facteurs qui concernent tous des communautés biodiversifiées. La biodiversité protège également contre les maladies, stabilise les sols contre l'érosion, peut contribuer à la décontamination ‒ et le simple fait de voir un oiseau coloré nous rend heureux! Les raisons et les motivations qui poussent à protéger la biodiversité sont aussi diverses que le monde naturel lui-même. Il existe des milliers d'exemples de réussites dans différents biomes, à différentes époques et à différentes échelles; en déployant un effort international, GEO BON peut les combiner et désigner les meilleures pratiques réalisables pour un avenir durable.

Enfin, comment les leçons apprises grâce à GEO BON peuvent-elles améliorer la protection de la biodiversité à l’échelon local, ici au Québec?

En fait, c'est parce que nous avons beaucoup appris sur la biodiversité au Québec que GEO BON sera désormais hébergé ici. Le Centre de la science de la biodiversité du Québec a beaucoup travaillé pour aider le gouvernement provincial dans ses plans relatifs à la biodiversité et à la durabilité, et le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs a été un partenaire inestimable dans l’élaboration de ces idées. En effectuant ce travail, nous avons eu envie de l'étendre à l'échelle internationale, avec un mandat clair: faire la meilleure recherche fondamentale possible, l'élever avec des outils de la science des données et établir un dialogue avec les parties prenantes pour s'assurer que notre travail est utile. Plus précisément, le Québec bénéficiera des améliorations que nous apportons à la surveillance de la biodiversité et sera mieux placé pour prendre des décisions politiques fondées sur des données probantes. Un avantage moins tangible est que GEO BON contribuera à construire le meilleur environnement de formation au monde pour les jeunes écologistes. En plus de notre longue tradition d'histoire naturelle, nous offrirons des possibilités de s'engager dans l'apprentissage machine et sa pertinence croissante pour le monde politique.

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