Récits infectés, quand le virus contamine l’écriture

Un collectif d'écrivaines et écrivains ont été invités à écrire un récit sur la manière dont la crise du coronavirus a pu les affecter.

Un collectif d'écrivaines et écrivains ont été invités à écrire un récit sur la manière dont la crise du coronavirus a pu les affecter.

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Un collectif d’écrivains et d’écrivaines publient Récits infectés rassemblant 23 récits autour de la crise sanitaire actuelle.

Quelle est la portée affective de la crise sanitaire actuelle? Tragique? Comique ? Porteuse d’espoir ou bien de crainte? Vingt-trois récits proposent des réponses divergentes dans le nouveau recueil Récits infectés édité sous la direction de Léonore Brassard, doctorante au Département de littératures et de langues du monde, de Benjamin Gagnon Chainey, doctorant au Département des littératures de langue française ainsi que de Catherine Mavrikakis, professeure au Département des littératures de langue française, en partenariat avec la Chaire McConnell-Université de Montréal en recherche-création sur les récits du don et de la vie en contexte de soins. Le collectif comprend des textes d’écrivains et d’écrivaines comme Régine Robin, Nicolas Chalifour, Kiev Renaud, Catherine Mavrikakis et Marie‑Célie Agnant.

Les écrivaines et écrivains ont été invités à écrire un récit d’une à quinze pages sur la manière dont la crise du coronavirus a pu les affecter. « Alors que la crise du coronavirus affecte l’ensemble de la population mondiale, c’est précisément une pensée de l’affect, une pensée affectée et infectée par des mots, que nous avons voulu inviter, par ce collectif, à exister autrement », affirment Léonore Brassard et Benjamin Gagnon Chainey.

Une écriture sur le vif

Léonore Brassard a souhaité retranscrire le sentiment d’urgence que nous vivions. « L’appel aux écrivains s’est fait très rapidement : la demande a été faite aux écrivains en leur donnant trois semaines. L’édition s’est faite ensuite très vite pour obtenir un produit réalisé également sur le vif de la crise. Nous souhaitions observer ce que ça donnait d’écrire avec cette contrainte de l’urgence. Sans avoir de recul. » Les textes reçus entre fin mai et mi-juin portent en eux cette facture de l’urgence.

Une proximité avec les événements

Garder une proximité avec l’actualité : cette contrainte se transmue en richesse pour le recueil. Les mêmes événements peuvent ainsi se retrouver d’un récit à l’autre et les relier, tout en préservant la voix singulière de chaque auteur et autrice.

Au plus proche d’un événement, chaque auteur et autrice fait entendre sa propre voix, qui vient s’entrechoquer et résonner à côté de celles des autres. Ce ne sont plus des récits éclatés, mais des récits entrelacés. Tandis que le confinement en est à son commencement dans certains récits, dans d’autres, il se termine.

La baleine aperçue au port de Montréal dans La Petite-Patrie d’Hector Ruiz réapparaît décédée dans Comme une odeur de javel dans la blancheur du jour de Pascale Millot : « On regarde une baleine pendue à une grue, un vieillard alité dans un CHSLD, une impatiente écarlate sur le balcon de la voisine, et ça nous éblouit, puis ça nous fait mal. Il ne devrait pas y avoir de baleine égarée éclaboussant de jets de sang le fleuve trop doux pour sa peau nue, de vieillard alité dans un CHSLD sans un enfant pour lui tenir la main, d’impatiente écarlate trouant la blancheur du jour confiné », écrit Pascale Millot.

Plus loin dans le texte de l’autrice, c’est la mort de Georges Floyd qui est évoquée. Elle ressurgit dans Toute honte bue de Marie‑Célie Agnant.

Des textes de fiction

Tous ces textes sont fictifs et il était particulièrement important qu’ils soient envisagés d’abord comme des récits pour Léonore Brassard. Nous pouvons alors entendre différents affects qui ne sont pas totalement contrôlés et avec eux nous nous envolons très loin. Ainsi, avec Simon Harel, dans Antonin, la Covid et moi, nous nous envolons pour Paris avec dans nos bagages les œuvres complètes d’Antonin Artaud et nous percutons Gérard Depardieu sur son scooter. Nous restons à Paris avec Régine Robin dans La réactivation d’un traumatisme de guerre : Paris confiné et nous nous retrouvons lors de la Seconde Guerre mondiale.

 « Au fil de leur déploiement, les écritures affectives du collectif – à la fois infectées et affectées – nous donnent à ressentir et penser comment les “crises” agissent à la fois en elles-mêmes et entre elles, mais aussi comment elles brouillent les frontières entre les corps humains, les corps des textes et les corps sociaux. Et les affects de se transformer en virus, donnant vie et voix aux textes, dans une inter-contamination qui permet de penser non seulement les bouleversements en temps de crise, mais aussi, à son tour, l’écriture comme crise », affirment Léonore Brassard et Benjamin Gagnon Chainey. Ce sont donc différentes écritures de la crise qui se donnent à lire dans le collectif Récits infectés.

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