Quel est l’effet de la pandémie sur les musiciens et les choix musicaux du public?

  • Forum
  • Le 9 septembre 2020

  • Martin LaSalle
La pandémie a chamboulé le système de représentation ainsi que le mode d’exercice du métier de musicien professionnel. Mais comment s’est opéré ce changement de paradigme, alors que les instrumentistes ont perdu cette relation formelle avec le public?

La pandémie a chamboulé le système de représentation ainsi que le mode d’exercice du métier de musicien professionnel. Mais comment s’est opéré ce changement de paradigme, alors que les instrumentistes ont perdu cette relation formelle avec le public?

Crédit : Getty

En 5 secondes

L’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique mène quatre projets pour comprendre les conséquences de la pandémie sur la vie des musiciens et du grand public.

Michel Duchesneau, directeur et membre fondateur de l'Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique

Crédit : Amélie Philibert

Quels genres musicaux avez-vous écoutés depuis le début de la pandémie? Écoutiez-vous de la musique pour vous calmer ou pour vous défouler? Comment les orchestres et leurs musiciens s’y sont-ils pris pour offrir des prestations numériques? À quel point le confinement a-t-il affecté la santé mentale de ces artistes?  

Ces questions sont à l’origine de quatre projets lancés en mai dans le cadre du programme «Musique en temps de pandémie» par des chercheurs de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique, du Laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son et du Laboratoire de recherche sur la musique, les émotions et la cognition

Toujours en cours, ces projets de recherche requièrent la participation tantôt de musiciens, tantôt du grand public.

Qu’est-ce que l’écoute musicale vous a apporté?

Marie-Andrée Richard

Crédit : Magenta Photo Studio

Plusieurs études ont démontré qu’écouter de la musique a des effets positifs sur la santé et le bien-être, mais aucune n’a jusqu’ici exploré les habitudes d’écoute de la musique et leurs retombées en période de crise sanitaire. 

Dès la première semaine du confinement, en mars dernier, Marie-Andrée Richard a eu l’idée de brosser un tableau des habitudes d’écoute de la musique et de leurs bienfaits pour les auditeurs. Sous la direction des professeurs Nathalie Gosselin, Isabelle Peretz et Michel Duchesneau, de l’Université de Montréal, l’étudiante à la maîtrise au Département de psychologie a l’ambition de sonder 5000 personnes de tous les âges et de tous les horizons… à travers le monde! 

«Nous voulons d’une part documenter les habitudes musicales en temps de pandémie, par exemple les moments d’écoute et les tâches exécutées pendant l’écoute de la musique, et d’autre part leur incidence sur le bien-être, incluant les émotions, la cognition ‒ comme la concentration au travail ‒ et les relations sociales», précise Marie-Andrée Richard. 

«Ce projet vise aussi à vérifier si les habitudes d’écoute de la musique varient en période de crise, dit Nathalie Gosselin. Nous comptons solliciter les répondants et répondantes de nouveau, deux mois après que l’Organisation mondiale de la santé aura officiellement annoncé la fin de la pandémie.» 

Pour participer à l’étude, il suffit de répondre au questionnaire qui est disponible en français et en anglais.

Nouveau paradigme pour le métier de musicien

Irina Kirchberg

La vie de concert s’est historiquement construite et fonctionne encore largement sur la présence simultanée des interprètes et de leur public. La pandémie a chamboulé le système de représentation ainsi que le mode d’exercice du métier de musicien professionnel.  

Dirigée par les professeurs Michel Duchesneau et Irina Kirchberg, de la Faculté de musique de l’UdeM, une équipe explore depuis quelques mois la façon dont s’est opéré ce changement de paradigme, alors que les instrumentistes ont perdu cette relation formelle avec le public.

Avec la collaboration des étudiants Elsa Fortant, Émile Lesage, Pierre-Luc Moreau et Héloïse Rouleau, ils analysent un corpus de 350 vidéos de prestations virtuelles recensées sur les comptes de médias sociaux d’ensembles musicaux et orchestres, dont l’Orchestre métropolitain, l’Orchestre symphonique de Montréal, I Musici et différents groupes populaires.

«Nous analyserons et comparerons les différentes mises en scène, le répertoire abordé, la prise de parole des musiciens ‒ ils doivent désormais parler à leur public! ‒ les décors et les instruments utilisés, mentionne Irina Kirchberg. Nous nous entretiendrons aussi avec différents musiciens et musiciennes pour connaître leurs motivations à se produire dans leur salon, leur cuisine ou même leur chambre, et s’ils ont acquis de nouvelles compétences en matière de littératie numérique.»

«Nous documentons une époque très particulière, ajoute Michel Duchesneau. C’est la première fois que la manière de partager la musique subit un changement aussi brusque que l’arrêt de tous les concerts presque partout dans le monde et en même temps. L’exercice du métier se fait dans des conditions complètement différentes… On verra peut-être surgir des modèles d’action musicale à distance qui perdureront!»

Quel effet la pandémie a-t-elle sur la santé mentale des musiciens?

Morgane Bertacco

Crédit : Adriana Garcia Cruz

Pandémie et confinement ont mis à l’épreuve la santé mentale, le bien-être et la capacité de résilience de tous. Mais qu’en est-il plus spécifiquement des musiciens et musiciennes et comment parviennent-ils à continuer à jouer malgré les changements profonds qu’a subis l’industrie des arts de la scène?

C’est ce que cherche à savoir la doctorante en neuropsychologie Morgane Bertacco: accompagnée des professeures Nathalie Gosselin et Caroline Traube, elle s’affaire à désigner et décrire les facteurs qui peuvent influencer l’état psychologique des instrumentistes au Québec durant la pandémie. Son objectif est de proposer des recommandations pouvant les aider à traverser un état de crise.

Par l’entremise d’un sondage en ligne, Morgane Bertacco souhaite joindre au moins 400 musiciennes et musiciens québécois de tous styles pour mesurer la présence de symptômes d’anxiété ou de dépression, de même que les facteurs de résilience, de bien-être, d’expressivité et de créativité musicale. 

«Nous postulons que, en étant actifs musicalement, les participants et participantes ont peut-être plus de facilité à passer à travers cette épreuve, indique la chercheuse. Mais nous voulons voir aussi quelles sont les conséquences du stress extérieur qu’ils subissent.» 

Dans un deuxième temps, Mme Bertacco effectuera des entrevues avec des musiciens dans le but de caractériser les moyens qu’ils ont utilisés pour faire face aux inconvénients que comporte la crise sanitaire et de déterminer les besoins les plus saillants pour eux en matière de santé.  

Ces entretiens seront intégrés dans un documentaire réalisé par Olivier Lassu, finissant du programme de maîtrise en cinéma, qui porte un grand intérêt au milieu musical. Avant de faire un retour sur les bancs d’école au Département d'histoire de l'art et d’études cinématographiques de l'UdeM sous la direction d’Isabelle Raynauld, M. Lassu a mené une carrière de réalisateur de films et de séries documentaires en France. 

Le documentaire, où seront mis en lumière les témoignages de musiciens résilients, servira d’outil de sensibilisation et de médiation scientifique auprès des instrumentistes. Il permettra aussi de garder une trace en images de cette époque historique que le monde de la musique traverse actuellement. 

Les musiciens et musiciennes qui désirent participer à l’étude peuvent contacter Mme Bertacco par courriel à l’adresse suivante: resilience@musique.umontreal.ca.

Comment les orchestres classiques innovent-ils en temps de pandémie?

Danilo Correa-Dantas

Crédit : Corinne Fortier, HEC Montréal

En période de crise, les organisations les plus innovantes sont celles qui s’en tirent plus facilement, selon la littérature scientifique sur le sujet. Or, comment la pandémie a-t-elle influencé les pratiques d’innovation en musique classique et en musique de création?

C’est l’éclairage que souhaite apporter Danilo Correa-Dantas, professeur au Département de marketing à HEC Montréal, avec les chercheurs Marc-Antoine Boutin, Antoine Gauthier et Vicky Tremblay, de l’UdeM, et le professeur Danick Trottier, du Département de musique de l’UQAM. 

«Nous estimons que la pandémie a forcé les orchestres de musique classique à s’organiser autrement et nous voulons comprendre comment ils s’y sont pris pour revoir leur produit et leur répertoire, s’ils ont maintenu le même effectif de musiciens et s’ils ont dû revoir leur modèle d’affaires pour poursuivre leur mission», explique M. Correa-Dantas. 

Pour ce faire, l’équipe de Danilo Correa-Dantas et de Danick Trottier a épluché les données rendues publiques par près de 30 organisations vouées à la musique classique, dont l’Orchestre métropolitain, l’Orchestre symphonique de Montréal, l’Orchestre symphonique de Drummondville, I Musici, les Violons du Roy et le Trio Fibonacci. 

Les premiers résultats de cette étude sont attendus sous peu. 

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