Trois projets de recherche pour mesurer les vertus thérapeutiques du cinéma

  • Forum
  • Le 8 septembre 2020

  • Martin LaSalle
L'un des trois projets consiste à vérifier si le visionnement de certaines séquences audiovisuelles pourrait diminuer les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence chez les résidants en centres d'hébergement et de soins de longue durée.

L'un des trois projets consiste à vérifier si le visionnement de certaines séquences audiovisuelles pourrait diminuer les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence chez les résidants en centres d'hébergement et de soins de longue durée.

Crédit : Getty

En 5 secondes

Des chercheurs réunis au sein du laboratoire CinéMédias de l’UdeM élaborent des projets pour mesurer, chez les enfants et les aînés, les vertus thérapeutiques du cinéma et d’extraits audiovisuels.

Et si le rythme de certains films ou extraits cinématographiques contribuait au développement du cerveau des enfants et des adolescents? Pourrait-il même atténuer les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence chez les aînés? Ou encore pourrait-on l’utiliser pour susciter l’endormissement chez les adultes?

Ce sont là trois avenues qu’explorent des chercheurs du programme Cinex du laboratoire CinéMédias, fondé en 2016 par André Gaudreault, professeur au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal et dirigé par le professeur associé Santiago Hidalgo.

Cinex est un programme de recherche intersectorielle sur l’expérience cinématographique mis sur pied en 2018 par M. Hidalgo. Il réunit des chercheurs de différentes disciplines qui travaillent à mesurer les effets du cinéma sur les spectateurs ‒ et plus spécifiquement à déterminer l’influence du rythme d’extraits cinématographiques sur leur mieux-être.

«Ces trois projets novateurs ont comme dénominateur commun le cinéma et le fait qu’ils nécessitent l'ingénierie de nouveaux modèles de réception adaptés à des populations cliniques en contexte de communication complexe», commente Santiago Hidalgo.

Aider au développement du cerveau des enfants et des adolescents

Santiago Hidalgo

Crédit : Jean-François Galipeau

C’est en observant le comportement de ses propres enfants après l’écoute de différents films et émissions de télé que le professeur Santiago Hidalgo, du Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques, a eu l’idée de créer un projet de recherche.

Celui-ci est financé par le programme Nouvelles Frontières en recherche (Instituts de recherche en santé du Canada, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie et Conseil de recherches en sciences humaines du Canada).

De concert avec la directrice du Laboratoire de neuroscience du développement du CHU Sainte-Justine et professeure au Département de psychologie de l’UdeM, Sarah Lippé, et en collaboration avec André Gaudreault, M. Hidalgo évaluera l’influence du rythme audiovisuel sur le développement du cerveau des enfants et des adolescents lors de la projection de films.

Parce qu’il s’agit d’un projet intersectoriel et multidisciplinaire, Santiago Hidalgo s’est affairé au cours de l’été à concevoir un protocole de recherche.

«Comme il n’y a pas de méthodologie préétablie, il nous faut innover en élaborant un protocole commun qui demande un ajustement entre les différents chercheurs», explique-t-il.

Dans un premier temps, l’équipe doit sélectionner des films et extraits audiovisuels qui, selon la littérature scientifique, ont un effet démontré sur les émotions et l’agitation par exemple. Par la suite, des rondes de tests seront effectuées pour valider cette sélection afin que la méthodologie puisse être reproduite dans le cadre d’autres projets de recherche.

Entre autres, le projet combinera une approche neuroscientifique ‒ avec l’électroencéphalographie ‒ et l’oculométrie (ou eye tracking) pour capter ce que les enfants regardent précisément afin d’associer la stimulation avec l’émotion qu’ils ressentent.

«Comprendre les conséquences du rythme de différents extraits cinématographiques sur le développement du cerveau des enfants est une entreprise complexe, convient M. Hidalgo, cochercheur principal de l’étude. Mais nous avons bon espoir de trouver des rythmes audiovisuels qui permettront de contribuer au développement des enfants.»

Une cinématographie personnalisée pour les aînés atteints de démence

Après que M. Hidalgo a présenté son projet au cours d’une conférence, la professeure Ana Inés Ansaldo, de l’École d’orthophonie et d’audiologie de l’UdeM et directrice du Laboratoire de langage, communication et vieillissement du Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (CRIUGM), a communiqué avec lui pour évaluer la possibilité d’élaborer un projet du même type auprès d’une population d’aînés.

Tous deux se sont mis d’accord pour tester ensemble l’hypothèse selon laquelle le visionnement de séquences audiovisuelles pourrait diminuer les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence chez les résidants en centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), notamment en ce qui a trait à l’agitation, l’anxiété et la fatigue.

Pour vérifier cette hypothèse, les deux chercheurs ont conçu un projet interfacultaire réunissant le laboratoire CinéMédias et le CRIUGM où l’on mesurera l’influence du rythme associé à l’écoute de divers segments audiovisuels chez des participants en CHSLD.

Ici encore, l’équipe doit faire preuve de créativité pour établir un protocole de recherche qui sera reproductible tout en considérant les exigences et contraintes des différentes disciplines scientifiques… et des sujets de l’étude.

Car avec les personnes atteintes de démence, les chercheurs ne peuvent utiliser de techniques comme l’électroencéphalographie ou l’oculométrie.

«On enregistrera plutôt leurs réactions sur vidéo pour les étudier ensuite de deux façons: une équipe d’experts du CRIUGM verra à la codification des réactions pour déterminer si le visionnement est bénéfique et une autre créera un outil de mesure qui fait appel à l’intelligence artificielle pour saisir des tendances qui ne sont pas facilement perceptibles, par exemple capter l’effet des couleurs et des zones d’écran qui font réagir les participants», précise M. Hidalgo.

Le cinéma pour favoriser l’endormissement?

André Gaudreault

Crédit : Jean-François Galipeau

À une époque où l’on peut écouter des séries et des films à partir de miniécrans connectés, un troisième projet vise à étudier les répercussions, chez les adultes, de la consommation de films avant l’endormissement sur la qualité du sommeil et, éventuellement, sur l’univers des rêves.

«Plusieurs études indiquent que la lumière bleue de certains écrans peut nuire au sommeil, mais en l’atténuant, se pourrait-il qu’être porté par une narration d’un certain rythme contribue à s’endormir, à avoir une meilleure nuit de sommeil et à mieux rêver? C’est ce que nous voulons valider!» mentionne André Gaudreault, cochercheur principal de l’étude.

Pour relever ce défi scientifique, il est épaulé par Santiago Hidalgo et par la vice-rectrice adjointe aux études supérieures et postdoctorales Julie Carrier, qui est aussi professeure au Département de psychologie de l’UdeM, par le directeur du Laboratoire de recherche sur les rêves et professeur Antonio Zadra ainsi que par Vladimir Hachinski, professeur émérite de neurologie et d’épidémiologie à l’Université Western et lauréat du prix Killam 2018 en sciences de la santé.

«Nous sommes aussi à préparer le protocole de recherche et, lorsque le contexte sanitaire le permettra, nous effectuerons des mesures par électroencéphalogrammes auprès de participants dont certains seront en laboratoire et d’autres chez eux», avance André Gaudreault.

Les prix Killam 2018 à l’origine de plusieurs recherches sur le rythme

À la suite du lancement du programme Cinex, les recherches du laboratoire CinéMédias de l’UdeM ont continué à emprunter la voie de l’intersectorialité sur le rythme en liaison avec un évènement survenu tandis qu’André Gaudreault recevait le prix Killam 2018 en sciences humaines aux côtés de Vladimir Hachinski, de l’Université Western, en sciences de la santé, Walter Herzog, de l’Université de Calgary, en génie, James Pinfold, de l’Université de l’Alberta, en sciences naturelles et Janet Werker, de l’Université de la Colombie-Britannique, en sciences sociales.

À l’initiative de M. Hachinski, les cinq lauréats ont alors décidé de poursuivre leur relation au profit de la recherche sur le rythme avec un projet intersectoriel pouvant lier les champs de recherche de chacun.

«Ainsi sont nées les Premières Rencontres intersectorielles de l’Université de Montréal sur le rythme ‒ rythme perçu et rythme non perçu ‒, en mai 2019, suivies des deuxièmes en décembre dernier, toutes deux organisées en collaboration avec le Vice-rectorat à la recherche, à la découverte, à la création et à l'innovation, dirigé par Marie-Josée Hébert», conclut André Gaudreault.

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