Éthique de l’IA: Aristote et les autres sur une page!

  • Forum
  • Le 18 septembre 2020

  • Mathieu-Robert Sauvé
Alors que les travaux sur l’éthique sont plus souvent associés à la philosophie, la thèse d’Anne Boily, sous la direction de Charles Blattberg, est en science politique.

Alors que les travaux sur l’éthique sont plus souvent associés à la philosophie, la thèse d’Anne Boily, sous la direction de Charles Blattberg, est en science politique.

Crédit : Getty

En 5 secondes

Les déclarations sur l’éthique de l’intelligence artificielle ont-elles une réelle influence sur les politiciens? C’est la question que se pose une doctorante en science politique.

Anne Boily

Crédit : Clémentine Ch.

Un aide-mémoire d’une page qui dresse la liste des questions concrètes à se poser devant une application de l’intelligence artificielle (IA). Voilà ce que la politologue Anne Boily entend proposer aux politiciens qui doivent encadrer certains développements technologiques. «Je crois que ça pourrait être très utile aux députés qui siègent en comité parlementaire pour l’étude d’une loi ou d’un règlement qui concerne l'éthique de l'IA», explique-t-elle au terme de ses études doctorales à l’Université de Montréal.  

Les idées d’Aristote, d’Emmanuel Kant, de Hans-Georg Gadamer, de Jeremy Bentham, d’Isaiah Berlin et des autres grands penseurs qui ont réfléchi sur la moralité ‒ qu’on peut appliquer à la haute technologie ‒ peuvent-elles être ramenées à quelques lignes qu’on survole entre deux rendez-vous? Sûrement pas, mais on peut toujours tenter de faire porter l’attention du lecteur sur quelques questions incontournables. Par exemple, sur quelle tradition éthique reposent les directives éthiques qu'on présente aux politiciens: l'éthique de la vertu, la déontologie kantienne, l'utilitarisme, le pluralisme des valeurs? Puis, en quoi cette approche éthique influencera-t-elle le dialogue de ces derniers sur des enjeux éthiques aussi concrets que les applications de traçage? 

Il s’agirait là non seulement de l’aboutissement des heures de travail que la jeune femme a consacrées à l’étude des chartes et déclarations éthiques rédigées au cours des dernières années un peu partout dans le monde, mais aussi d’un produit dérivé qui rendrait service à la classe politique. «Je sais que tous ne le liraient pas, mais ceux qui le feraient auraient peut-être des questions différentes à poser aux gens qui viennent présenter leur mémoire. Ou à se poser à eux-mêmes», précise-t-elle au cours d’un entretien par vidéoconférence.

Tout à apprendre

C’est en 2018, au cours d’une conférence au campus MIL de l'Université de Montréal, que prend racine son intérêt pour son sujet de thèse. Ce qui l’attire dans ce champ d'études, c’est qu’elle en ignore tout. «J’étais devant une réalité nouvelle. Je me suis demandé, par la suite, quelles étaient les balises éthiques qu'on mettait pour encadrer l'évolution de l'IA. À quoi servent ces grandes déclarations? Quels sont leurs fondements éthiques? Quelles en sont les répercussions pour les décideurs politiques?» 

La doctorante a d'abord recensé une centaine de textes proposant un encadrement éthique du développement technologique lié à l’IA. La Déclaration de Montréal IA responsable ‒ qui est née à l’Université de Montréal ‒ était du nombre. «Elle est même mon point de départ. Son originalité, c’est sa méthode de consultation. De nombreux groupes et individus ont travaillé ensemble à sa construction.» 

Elle a ciblé trois catégories de documents pour son échantillon. La première est issue d’entreprises privées; c’est l'approche éthique que se donnent les Google, Apple et autres. La seconde est multipartite; il s'agit de textes rédigés par des intellectuels et des gens des universités et de la société civile. C’est à cette catégorie qu’appartient la déclaration montréalaise. Enfin, la troisième catégorie est formée d’initiatives gouvernementales et d'organisations internationales. 

Ces déclarations sont-elles réellement utiles? «Certains observateurs y voient un “blanchiment éthique” qui permet le développement sans entraves de la technologie. À mon avis, c’est un peu sévère. Je crois qu’il y a une volonté sincère exprimée par la société civile et les entreprises d’accompagner l’évolution des connaissances pour éviter les dérives», mentionne Mme Boily. Cela étant dit, selon les traditions éthiques qui servent d’assises à ces documents, un complément lui apparaît nécessaire pour que les décideurs politiques puissent échanger leurs idées en vue de favoriser le bien commun. Une approche éthique par questions permettrait la prise en compte d’une plus grande sensibilité au contexte et à ses particularités, et enrichirait le dialogue des politiciens.

Un travail de pensée politique

Alors que les travaux sur l’éthique sont plus souvent associés à la philosophie, la thèse d’Anne Boily, sous la direction de Charles Blattberg, est en science politique. «Je crois qu’il y a de multiples dimensions politiques à l’IA et à son développement», dit-elle quand on exprime notre surprise. 

Son intérêt pour la politique remonte à son adolescence, alors qu’elle avait trouvé un travail assez peu commun: page à la Chambre des communes. Le page, indique-t-elle, est cette personne qui rend différents services aux députés qui siègent au Parlement canadien. «Même si l’on ne participe pas aux débats, on est aux premières loges pour observer les échanges», souligne-t-elle. 

C’est là qu’elle a constaté que les députés sont appelés à dialoguer les uns avec les autres, peu importe le parti politique, pour élaborer des projets de loi. Ils ont de nombreuses occasions de discuter et doivent se faire une idée très rapidement des sujets à aborder. Si le résumé de sa thèse, qu'elle présentera d’ici la fin de l’année 2020, circule un jour parmi eux, elle pourra dire mission accomplie.