Trois questions sur «Capital et idéologie», de Thomas Piketty
- UdeMNouvelles
Le 30 octobre 2020
- Virginie Soffer
Trois questions pour mieux comprendre l’œuvre de l’économiste Thomas Piketty, qui donnera une conférence à l'UdeM le 19 novembre.
Thomas Piketty, l’un des économistes les plus influents du moment, donnera à l’Université de Montréal une conférence virtuelle le jeudi 19 novembre à 10 h pour exposer les idées au cœur de son dernier ouvrage, Capital et idéologie. Son livre précédent, Le capital au XXIe siècle, a été traduit en 40 langues et vendu à plus de 2,5 millions d’exemplaires dans le monde.
Cette conférence sera animée par Valérie Amiraux, vice-rectrice aux partenariats communautaires et internationaux, et modérée par Frédéric Mérand, directeur scientifique du Centre d’études et de recherches internationales de l’UdeM.
À cette occasion, nous avons posé trois questions à Frédéric Mérand sur le plus récent livre de l’économiste.
«Capital et idéologie» est un ouvrage colossal de 1232 pages. Pouvez-vous présenter brièvement ses trois contributions majeures?
Première contribution: ce livre traite de l’histoire des inégalités à l’échelle mondiale et sur une période de près de 1000 ans. C’est une véritable «somme» qui force l’admiration. L’ouvrage s’inscrit dans une œuvre que poursuit Thomas Piketty depuis plus de 20 ans sur la question des inégalités. L’homme a tout d’abord été reconnu pour sa façon novatrice de mesurer les inégalités en France. Puis, dans Le capital au XXIe siècle, il a élargi son analyse des inégalités au monde occidental et acquis une reconnaissance par-delà les frontières françaises. Dans ces ouvrages précédents, on lui avait reproché de se concentrer sur l’expérience historique occidentale. Il démontre ici que la portée de son analyse est mondiale. Le tout dans un style accessible, truffé d’exemples et de références littéraires, faisant en sorte que les 1232 pages se lisent comme un charme.
Deuxième contribution: Thomas Piketty développe une explication originale et pluridisciplinaire, sociopolitique tout autant que culturelle et économique, de la reproduction des inégalités. Il démontre que ces inégalités se reproduisent parce qu’elles sont légitimées par un ensemble de croyances et d’institutions propres à chaque société. Chiffres à l’appui, il rappelle aussi que, si toutes les sociétés comportent des inégalités, certaines, comme Haïti sous la domination coloniale et esclavagiste de la France, ont été spectaculairement exploitées parce que l’être humain était considéré comme une «propriété» monnayable. Personnellement, ce sont des analyses qui m’ont marqué.
Troisième contribution: l’économiste s’inscrit dans un débat contemporain sur les inégalités et sur la réponse politique à y apporter. Selon lui, les sociétés occidentales sont gangrenées par un conflit entre deux élites: la droite marchande, propriétaire du capital économique, et la gauche brahmane, composée de professionnels qui, à défaut de propriété matérielle, possèdent un haut niveau d’éducation. Les personnes qui se sentent exclues de ces deux élites risquent de se replier sur des solutions nationalistes, ce qu’il appelle le «social-nativisme». Afin de répondre à leur sentiment d’injustice, Thomas Piketty formule une série de propositions concrètes visant à établir une solidarité politique à l’échelle transnationale.
Pouvez-vous revenir plus précisément sur ses propositions concrètes?
Ses principales propositions sont connues: il s’agit de distribuer la propriété de manière plus équitable en alourdissant la fiscalité du capital, par exemple en imposant davantage la fortune ou l’héritage. On sait toutefois que le capital est mobile et peut facilement franchir des frontières nationales. Devant ce constat, Thomas Piketty propose le «social-fédéralisme»: il nous enjoint de penser, en quelque sorte, le modèle social-démocrate aux échelles régionale et planétaire.
«Capital et idéologie» est paru en 2019, avant le début de la pandémie. Comment pourrait-on étendre l'analyse dans ce livre à la crise actuelle?
Thomas Piketty montre que, au 18e siècle, nous sommes entrés dans une société de propriétaires où le revenu provenait essentiellement de la possession du capital. À partir de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, alors qu’une social-démocratie imparfaite s’est imposée en Occident, les propriétaires de capital ont été davantage imposés, ce qui a diminué les inégalités. Aujourd’hui, nous nous trouvons de nouveau dans une situation où, selon lui, le capital engendre plus de richesses que le travail.
Avec la pandémie, tous les États, y compris le Québec, se sont fortement endettés pour répondre aux besoins qu’elle a créés. Par quels moyens se sortir de l’endettement? Pour certains, l’austérité nous attend au tournant. Pour d’autres, une politique monétaire souple permettra de soutenir la dette grâce à des taux d’intérêt très faibles. Si l'on prolonge l’analyse de son ouvrage, Thomas Piketty répondrait probablement par un troisième argument: il faut imposer sans hésitation les personnes les plus riches. Celles-ci se sont par ailleurs grandement enrichies durant la pandémie: pensons à Jeff Bezos, le pdg d’Amazon, dont la fortune, évaluée déjà à plus de 100 G$ en mars 2020, a doublé depuis le début de la crise de la COVID-19.
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Si vous avez d’autres questions sur le dernier ouvrage de Thomas Piketty, vous pouvez les poser en remplissant ce formulaire. Certaines d’entre elles seront sélectionnées et adressées au conférencier.
La conférence sera diffusée en direct sur la chaîne Youtube de l'Université de Montréal, la page web de l'activité, ainsi que sur Facebook.
La vidéo de la conférence pourra être visionnée en tout temps sur la chaîne Youtube et le compte Facebook de l'UdeM.