L’UdeM soutient la lutte contre les violences sexuelles en RDC... et dans le monde

Les participantes et participants à une formation donnée en 2009 au Congo dans un précédent projet du réseau Hygeia.

Les participantes et participants à une formation donnée en 2009 au Congo dans un précédent projet du réseau Hygeia.

Crédit : Marie Hatem

En 5 secondes

Grâce à une subvention de près de 22 M$, la Fondation Panzi du Dr Mukwege bénéficie du soutien de l’UdeM pour améliorer les services offerts aux femmes congolaises victimes de viol.

S’il y a une initiative qui milite en faveur des droits des femmes, c’est bien celle du DDenis Mukwege, Prix Nobel de la paix en 2018. «L’homme qui répare les femmes», comme on le surnomme, soigne depuis plus de 20 ans les victimes de viols collectifs perpétrés par des groupes armés en République démocratique du Congo (RDC). Et voilà que son modèle holistique de soins, qui guérit le corps et l’âme des survivantes à travers une prise en charge médicale, psychosociale, socioéconomique et juridique, va bénéficier du soutien de l’Université de Montréal par l’entremise de son unité de santé internationale, de l'observatoire Hygeia et de ses différentes facultés.

Le projet baptisé TUSEME KWELI – Disons la vérité est doté d’un financement de 21,9 M$ et s’étalera sur six ans afin de permettre aux femmes et aux jeunes filles les plus vulnérables d’avoir un meilleur accès aux soins à l’Hôpital de Panzi, fondé par le Dr Mukwege dans la ville de Bukavu, en RDC, et dans des dispensaires des zones rurales du Sud-Kivu ainsi que du Burundi voisin.

«Ce financement vient soutenir nos efforts des deux dernières décennies, se réjouit le Dr Mukwege en vidéoconférence du centre de soins, de prévention, d’enseignement et de recherche où il officie. Avec la collaboration de l’Université de Montréal, nous serons capables non seulement de remettre à neuf les équipements usagés et de réhabiliter les installations délabrées, mais aussi d’aller vers les survivantes. Certaines parcourent jusqu’à 500 km à pied pour se rendre à notre hôpital…» 

La suite logique d’une entente

Marie Hatem et le Dr Denis Mukwege

Cela fait des années que Marie Hatem, professeure à l’École de santé publique de l’UdeM (ESPUM), se bat pour cet important projet. «C’est le coup de pouce dont nous avions besoin pour continuer tout le travail effectué au fil des ans», explique celle qui conçoit et implante des programmes de formation dans les établissements de formation, les hôpitaux et d’autres centres qui prodiguent des soins aux femmes en Afrique francophone.

L'observatoire Hygeia, rattaché à l’ESPUM et visant à soutenir l’autonomisation des femmes francophones afin de contribuer à réduire la mortalité maternelle et la mortalité infantile dans la francophonie, dont la professeure assure la direction, a agi en quelque sorte comme une bougie d’allumage.

Dès 2017, Marie Hatem établit les premiers contacts avec la Fondation Panzi du Dr Mukwege. «J’avais pensé à lui pour parrainer Hygeia à sa création, en 2018, avec les professeures Lise Lamothe et Violaine Lemay. Quelques mois plus tard, il recevait son prix Nobel de la paix. Puis, en 2019, c’était au tour de l’UdeM de lui conférer un doctorat honoris causa», relate-t-elle.

Lors de son passage à Montréal le 7 juin 2019, le Dr Mukwege signe une entente avec l’UdeM en vertu de laquelle l’Université associe à la sienne son expertise en formation et en recherche en matière de soutien aux victimes de violences sexuelles. La coordination des activités de l’entente de même que la direction du centre de recherche ICART de la Fondation Panzi sont confiées à Marie Hatem par l’entremise de l'observatoire Hygeia, désormais parrainé par le réputé gynécologue.

Pendant la conférence qu’il prononce à l’ESPUM ce jour-là, le Dr Mukwege évoque son modèle holistique unique et les atrocités vécues par les survivantes, dans une région du monde convoitée pour son sous-sol et où des filles et des mères âgées de 6 mois à 80 ans subissent tous les jours l’inimaginable. «Lorsqu’une femme se fait violer puis torturer par un groupe pouvant compter jusqu’à 15 hommes, elle a besoin d’être soignée de façon holistique, ce qui implique des soins à la fois physiques et psychologiques ainsi qu’un soutien socioéconomique et juridique pour qu’elle reprenne le contrôle de sa vie, dit-il. C’est ce que nous faisons à l’Hôpital de Panzi.»

Le germe du projet TUSEME KWELI – Disons la vérité est planté. Au cours d’une rencontre, Marie Hatem et l’équipe de l’UdeM, représentée par différentes facultés et directions, évaluent avec le Dr Mukwege les besoins de sa fondation en termes de soutien matériel, de formation, de recherche et de prévention. Elles lui proposent un plan d’action pour renforcer les quatre piliers de son modèle de prise en charge. Sur cette base, une demande de financement est déposée par l’Unité de santé internationale à Affaires mondiales Canada, qui a confirmé l’octroi du financement du projet en décembre 2021. De concert avec la Fondation Panzi, six unités de l’UdeM sont appelées en renfort – l’ESPUM, les facultés de médecine, des sciences infirmières, de droit, des arts et des sciences et de l’aménagement – de même que de nombreux partenaires externes.

«Les ressources humaines qualifiées en santé sont lacunaires, observe Marie Hatem. On veut élaborer des programmes de formation pour le personnel, basés sur les compétences et sur des données probantes ainsi que sur l’humanisation des soins afin d’améliorer la relation soignant-soignée. L’expertise de la Fondation Panzi sera mise à profit dans les zones rurales et les pays voisins de façon à pérenniser ses capacités et services.»

Dire la vérité pour que justice soit faite

Ce n’est pas pour rien que le projet s'appelle TUSEME KWELI – Disons la vérité. De cinq à sept femmes victimes de violences sexuelles sont reçues chaque jour en consultation à l'Hôpital de Panzi. «Les viols continuent de se produire, car c’est la meilleure façon de traumatiser la population locale et de la réduire à l’esclavage, dénonce avec force le DMukwege. Tant que les criminels resteront en liberté, ils continueront de détruire les femmes et nous de les soigner. Or notre objectif, c’est que cessent ces atrocités.»

Il rêve de voir l’institution d’un tribunal pénal international en RDC pour juger les crimes qui ont été commis sur ce territoire à feu et à sang depuis si longtemps. À plus petite échelle, il mène sa lutte contre l’impunité à travers le volet légal de son modèle de guérison. «Même si l'on répare l’appareil génital des femmes, les cicatrices restent, au-delà des lésions graves. Les survivantes sont rejetées par leur mari et leur communauté, qui les considèrent comme des personnes souillées. Les enfants nés du viol n’ont pas de filiation et sont eux aussi rejetés. L’accompagnement juridique que nous offrons à celles qui le souhaitent les aide à retrouver leur dignité. Elles se disent: “J’ai été victime, je connais la personne qui est responsable de la souffrance que je porte dans mon corps, dans ma tête et dans la société.” Elles se battent pour leurs droits et réussissent à se bâtir une nouvelle vie. Beaucoup deviennent des leaders au sein de leur communauté.»

L’espoir en temps de pandémie

Sans surprise, la pandémie a fait exploser le nombre de victimes, notamment chez les jeunes filles privées d’école et enfermées à la maison, se désole le DMukwege. Le projet mené de pair avec l’UdeM lui laisse entrevoir des jours meilleurs grâce à l’amélioration des services de santé qui seront offerts dans divers établissements et à la reconnaissance des droits sexuels et reproductifs. «Beaucoup d’activités de sensibilisation aux droits des femmes et à la lutte contre les violences sexuelles ont déjà cours dans les milieux communautaires, dit-il. Le projet, on l’espère, permettra de renforcer ce travail, qui passe notamment par l’engagement des hommes.»

Le projet est présentement à la phase d’opérationnalisation et de planification. Marie Hatem brûle d’impatience de se rendre sur place pour mettre l’épaule à la roue. «On ne peut pas attendre la fin de la pandémie pour agir, les femmes continuent de mourir, les violences envers les femmes se perpétuent. La santé mondiale en vidéoconférence ne remplace en rien l’action sur le terrain. C’est tout un défi!» La professionnelle de la santé publique se dit prête pour le grand décollage. Dans les jours qui viennent, elle se rendra en RDC, avec la coordonnatrice principale du projet de l’USI, Islene Lazo, pour la première mission de planification avec l’équipe de la Fondation Panzi. Une aventure à suivre.

À propos de l’ESPUM

Seul établissement du genre au Québec, leader canadien et dans la Francophonie, l’École de santé publique de l’Université de Montréal (ESPUM) est un pôle d’excellence et de réflexion critique en enseignement, en recherche et en valorisation des connaissances dans tous les champs de la santé publique.