L’IA à la ferme, une nouvelle voie vers l’autonomie alimentaire
- UdeMNouvelles
Le 16 mars 2022
- Caroline Boily
Une équipe du Département d’informatique et de recherche opérationnelle de l’UdeM utilise l’IA et la modélisation pour optimiser et automatiser la production de fraises hivernales.
Imaginez une ferme d’hiver verticale commençant par un laboratoire de développement et qui inaugure sa première installation industrielle moins de deux ans plus tard. C’est ce qu’a fait la Ferme d’hiver à l’automne 2021 en ouvrant à Vaudreuil la plus grande ferme verticale pour la culture de fraises en milieu contrôlé au Canada. Cette installation, qui totalise 1150 m2, devrait produire plus de 180 000 kg de petits fruits entre les mois d’octobre et de juin.
Et ce n’est pas tout, l’entreprise veut révolutionner les méthodes de production agricole pour grandir et atteindre ses objectifs, qui sont ambitieux: d’ici 2025 remplacer 10 % des importations de fraises au Canada et produire plus de 13 millions de kilos de fruits. Entrent en scène IVADO, l’Institut de valorisation des données, et des équipes de recherche de trois établissements d’enseignement supérieur du Québec: l’École de technologie supérieure, HEC Montréal et l’Université de Montréal.
L’équipe du Département d’informatique et de recherche opérationnelle de l’UdeM contribuera ainsi à bâtir un système fondé sur l’intelligence artificielle (IA) pour automatiser les décisions de contrôle des serres de culture de fraises.
Une ferme et son ombre numérique
L’équipe est composée du professeur Houari Sahraoui, spécialiste en modélisation de logiciels et en intelligence artificielle, du professeur Eugène Syriani, spécialiste en modélisation et en simulation de systèmes informatiques, et d’Istvan David, chercheur postdoctoral spécialisé en modélisation multiparadigme et en systèmes cyberbiophysiques.
«Notre équipe modélise tous les aspects de la croissance de la plante pour créer une ombre numérique, dit Houari Sahraoui, soit une version numérique qui se comporte comme la ferme physique, le plus fidèlement possible.» La tâche est loin d’être mince, car il faut aussi modéliser tout l’environnement de la plante et la manière dont l’environnement agit sur la croissance de la plante. «On doit prendre en considération la plante, les nutriments contenus dans l’irrigation, le réglage de l’éclairage, la température et les courants d’air. Le seul aspect qu’on ne modélise pas, c’est la pollinisation parce que des bourdons présents dans la serre s’en occupent.»
Avec cette ombre numérique, la ferme pourra faire de la simulation par évènements, c’est-à-dire qu’elle pourra simuler les effets de changements apportés à l’éclairage, à l’irrigation, etc.
À titre d’exemple, quel sera l’effet sur la croissance de la plante d’une augmentation de l’intensité de l’éclairage à 6 h du matin plutôt qu’à 8 h? Dans une ferme traditionnelle, les agronomes doivent attendre que le cycle de production de la fraise soit complet pour vérifier si le changement a été efficace ou non.
«Avec la simulation, on veut faire passer ce processus d’expérimentation de cinq semaines à quelques secondes, explique Houari Sahraoui. L’agronome de la Ferme d’hiver pourra reproduire et vérifier instantanément l’effet des modifications potentielles.»
Modéliser le vivant
Les chercheurs ont l’habitude de travailler avec des systèmes dits cyberphysiques, comme des machines dans les industries de l’automobile ou de l’aérospatiale. Mais dans ce projet, l’équipe travaille sur des systèmes cyberbiophysiques: des organismes vivants.
Le chercheur Istvan David souligne l’ampleur du défi. «On arrive bien sûr déjà à observer la croissance des plantes et à y réagir manuellement. Mais c’est tout autre chose de contrôler et de prédire le comportement d’organismes vivants. Avec ce projet, on veut influencer le cycle de croissance de la plante pour maximiser la production et minimiser les pertes.»
Pour y arriver, l’équipe devra décortiquer un phénomène continu – la croissance d’une plante – en une série d’étapes observables et mesurables: la plante a grandi, elle a fait une fleur, elle a produit un fruit, etc. «On doit aussi trouver comment convertir des éléments réels continus, comme le vent, en des évènements discrets, illustre Eugène Syriani. Parce qu’on ne contrôle pas la nature, ce projet nous donne la chance inouïe de travailler dans un environnement contrôlé indépendamment des saisons.»
Vers un jumeau qui contrôle l'unité de production
Après avoir élaboré un modèle numérique qui reproduit l'installation pour en simuler tous les aspects, l’équipe prévoit créer un jumeau numérique de la ferme. Celui-ci pourrait gérer la production de façon automatique, en temps réel. «Cette portion, on va l’entamer uniquement dans notre projet de deux ans, indique le professeur Sahraoui. Parce que le modèle que l'on conçoit n’existe pas, on va avoir un processus de raffinement sur une longue période. On veut donc travailler étroitement avec l’agronome de la ferme pour s'assurer que notre modélisation correspond vraiment au comportement de la plante.»
Pour l’autonomie alimentaire
Pourquoi automatiser et modéliser une ferme? Notamment parce que si le type de culture de la Ferme d’hiver se fait déjà manuellement à petite échelle, l’usage de la technologie devient essentiel pour en faire une culture à grande échelle. Pour une ferme écoresponsable qui n’emploie aucun pesticide chimique, l’automatisation de la production stabilise l’environnement en réduisant les perturbations de la serre comme le nombre de portes qui s’ouvrent et le nombre de personnes qui entrent et qui sortent.
«Pour nous, c’était important de soutenir un projet d’agriculture sans parasites et sans pesticides, remarque Houari Sahraoui. L’autonomie alimentaire est un enjeu vital et prioritaire à nos yeux des points de vue sociétal et environnemental. On souhaite que la technologie permette un jour de faire pousser n’importe quel produit n’importe où sur la planète, peu importe la température ou les saisons.»
Un congrès pour le changement social
Les professeurs Houari Sahraoui et Eugène Syriani travaillent à la prochaine tenue de la plus grande conférence du monde en modélisation logicielle. La rencontre aura lieu en octobre sur le thème de la modélisation au service du bien commun.
«Notre projet avec la Ferme d’hiver est un parfait exemple de notre capacité à faire avancer la recherche scientifique tout en ayant une influence positive sur des enjeux sociétaux et environnementaux et sur l’autonomie alimentaire», conclut Eugène Syriani.
La 25th International Conference on Model Driven Engineering Languages and Systems se tiendra du 16 au 21 octobre 2022 au campus MIL de l’Université de Montréal.