Guerre en Ukraine: quel rôle pour la justice internationale?

Le palais de la Paix à La Haye

Le palais de la Paix à La Haye

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La professeure de droit Miriam Cohen explique le rôle des cours internationales dans le conflit en Ukraine.

Miriam Cohen

Est-ce que les tribunaux internationaux pourraient arrêter les attaques de la Russie contre l’Ukraine? «Ces tribunaux exercent davantage une pression à long terme pour responsabiliser les personnes ou les États qui ont commis des actes illégaux, mais ce ne sont pas des instances qui feront nécessairement arrêter la guerre», avertit Miriam Cohen, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale et les droits fondamentaux.

Cour internationale de justice: résoudre les conflits entre les États

Située à La Haye, la Cour internationale de justice (CIJ) a été fondée après la Deuxième Guerre mondiale. Elle est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations unies. Sa compétence est limitée aux différends entre États, qu’elle peut aider à résoudre de manière pacifique et conformément au droit international.

Dès le week-end qui a suivi les attaques armées du 24 février contre son territoire, l’Ukraine a déposé une requête pour le moins originale devant la CIJ: «D’habitude, on utilise la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide pour établir qu’un État commet un génocide; dans ce cas-ci, l’Ukraine allègue que la Russie l’accuse sans preuves de génocide pour justifier ses attaques. C’est la première fois qu’on recourt à la Convention de cette manière à la CIJ», souligne Miriam Cohen.

Outre cette affaire de fond qui prendra plusieurs années à être jugée, l’Ukraine a demandé à la Cour d’adopter des mesures d’urgence pour stopper l'invasion russe. Dans son ordonnance, rendue à peine neuf jours après les audiences publiques relatives à cette demande, «la Cour a décidé d’accorder des mesures conservatoires d’urgence, notamment que la Russie “doit suspendre immédiatement les opérations militaires qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine”», explique Mme Cohen.

Elle rappelle que les jugements de la CIJ sont contraignants pour les parties et sans appel. Mais il faut mentionner que la Cour «n’a pas de police ou de mesures exécutoires classiques. Toutefois, si la Russie ne se conforme pas à l’ordonnance de la Cour, cela constituerait une violation de sa part», remarque la professeure.

Cour pénale internationale: désigner des coupables

La Cour pénale internationale (CPI), qui siège à La Haye, a commencé ses activités en 2002. Elle permet d’amener des individus devant la justice pour des crimes internationaux, dans ce cas des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. «Dès qu’on a une situation de guerre, le droit de la guerre s’applique et certains actes ne sont pas permis, par exemple les attaques dirigées contre les civils», précise Miriam Cohen. Étant donné que l’Ukraine avait déclaré accepter ponctuellement la compétence de la Cour pour les actes commis dans son territoire à partir de 2013, le nouveau procureur de la CPI, Karim Khan, a récemment ouvert une enquête sur «toute allégation de crime relevant de la compétence de la CPI», poursuit-elle.

Si les bombardements de l’hôpital de Marioupol ont secoué le public, obtenir une condamnation pour un tel acte sera plus complexe. «Tout ce qu’on voit en ce moment dans les journaux, ce n’est pas nécessairement ce qui sera vu devant la Cour. C’est normal qu’on se demande quel est le responsable de ces actes, de vouloir le poursuivre, mais parvenir à une éventuelle condamnation devant la CPI prend plus de temps. Il faut suivre les procédures, recueillir des preuves pour ensuite arrêter et poursuivre des individus pour des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité», prévient Mme Cohen. Les responsables d’actes criminels (voire de crimes de guerre) spécifiques, et non de «la guerre», doivent être déterminés.

Une fois les preuves suffisantes obtenues, il faudra compter sur la coopération des États parties au Statut de Rome de la CPI pour que les arrestations surviennent. Pour ce qui est de Vladimir Poutine par exemple, «ce sera un défi de l’arrêter, puisque la Russie n’est pas un État partie», avance la professeure.

Cour européenne des droits de l’homme: protéger les droits de la personne

L’Ukraine avait aussi déjà porté plainte contre la Russie devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, un tribunal régional européen, qui assure le respect de la Convention européenne des droits de l’homme. Ce tribunal a prononcé une ordonnance pour faire cesser les attaques contre les structures civiles ukrainiennes et a demandé à la Russie de l’aviser des mesures qu’elle prenait pour s’y conformer.

Même si les effets de toutes ces démarches ne sont pas immédiats, «c’est important de voir que la justice internationale et ses divers mécanismes ont été saisis rapidement dans une situation de violation du droit international afin d'établir éventuellement les différentes responsabilités dans les actes illégaux commis durant cette guerre», conclut Miriam Cohen.

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