Le premier livre au monde illustré de photos est à l’UdeM

Une planche de l'ouvrage «British Algae: Cyanotype Impressions»

Une planche de l'ouvrage «British Algae: Cyanotype Impressions»

Crédit : Université de Montréal

En 5 secondes

La botaniste Anna Atkins a été la première personne au monde à illustrer un livre au moyen de photos. Un précieux exemplaire de cet ouvrage est conservé parmi les livres rares de l’UdeM.

Le tout premier livre au monde illustré de photographies a été réalisé par une femme: la botaniste Anna Atkins. Il s’agit de l’ouvrage scientifique British Algae: Cyanotype Impressions. S’il a circulé sous la forme de fascicules ne comportant que quelques images d’algues, l’Université de Montréal en possède un exemplaire exceptionnel regroupant 455 planches.

La restauration de ce volume a été réalisée en reconnaissance du don fait à l’UdeM par la Fondation Courtois. 

L’utilisation d’une nouvelle technique

Oubliée aujourd’hui, Anna Atkins a été une pionnière de la photographie dans l’Angleterre victorienne. Brillante botaniste, elle était membre de la Société botanique de Londres, une des rares sociétés savantes où les femmes étaient admises à l’époque. Elle avait appris à illustrer fidèlement à l’aquarelle différents végétaux. Pour les représenter avec encore plus d’exactitude, elle a eu l’idée d’utiliser dès son apparition une toute nouvelle technique de tirage photographique: le cyanotype. Inventée par John Herschel en 1842, elle repose sur la sensibilité des sels de fer à la lumière.

Pour procéder à ces impressions, Anna Atkins a ainsi déposé successivement des algues sur des feuilles de papier préalablement enduites d’une solution de ferricyanure de potassium et de citrate de fer ammoniacal. Puis, elle a placé ces feuilles sous du verre et les a exposées à la lumière. Les sels ont réagi aux rayons du soleil et une image jaune est apparue. Une fois les feuilles lavées à l’eau, puis séchées, les composés du fer ont réagi et le jaune s’est changé en un profond bleu de Prusse.

Quand la technique fusionne avec l’art

British Algae: Cyanotype Impressions

L'ouvrage «British Algae: Cyanotype Impressions»

Crédit : Université de Montréal

En observant les planches, on est frappé par la beauté délicate de ces algues reposant sur ces fonds bleus pénétrants. Cela détonne fortement par rapport aux herbiers traditionnels ou aux livres de botanique, qui présentent des plantes sur fond blanc. Ici, on a l’impression de voir flotter des algues dans un environnement aérien ou marin. Comme dans un rêve, le brun terreux des algues laisse place à un blanc épuré. Elles n’apparaissent pas comme de lointains fantômes: chacun de leurs détails ressort fidèlement. On voit le moindre filament se mouvoir doucement, figé dans un temps éternellement suspendu. Chaque planche aux couleurs de l’UdeM ressemble à une œuvre d’art moderne.

«La manière dont les algues sont disposées tranche avec la composition scientifique habituelle des herbiers et dénote manifestement une volonté de “faire beau”. Plus que l’aspect scientifique, c’est l’esthétique de ces images sur fond bleu de Prusse qui attire encore aujourd’hui l’attention au premier regard», dit Normand Trudel, bibliothécaire patrimonial à la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales de l’Université de Montréal.

Des planches uniques imprimées durant plus de 10 ans

Si la photographie permet d’obtenir un négatif et de faire plusieurs tirages, le cyanotype en revanche ne permet qu’une seule impression. Chaque feuille est enduite manuellement de sels ferriques et c’est chacune d’entre elles qui va recevoir une impression spécifique. Anna Atkins a fait plusieurs milliers d’impressions d’algues qu’elle a distribuées sous forme de fascicules entre 1843 et 1853. Elle les a rassemblées en un premier volume en 1843, auquel deux autres se sont ajoutés par la suite.

Quelques organisations possèdent des fascicules ou un ou des volumes. Il est extrêmement rare que les trois volumes se trouvent en un même lieu. La New York Public Library et l’Université de Montréal seraient parmi les rares endroits au monde à posséder la quasi-totalité des planches.

L’exemplaire exceptionnel de l’UdeM

Selon le professeur Larry J. Schaaf, grand spécialiste de l’œuvre d’Anna Atkins, et Joshua Chang, conservateur à la New York Public Library, l’exemplaire conservé à la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales de l’UdeM serait l’un des plus complets et des plus intéressants au monde. Les deux hommes sont venus l’examiner en 2017 et il s’est ensuite retrouvé en vedette dans une exposition et un colloque international sur Anna Atkins à l’établissement new-yorkais en 2018.

Une lettre manuscrite ajoutée au livre mentionne que c’est Anna Atkins qui a légué à sa mort tous ces cyanotypes en planches détachées à Margaret Brodie, la veuve de John Herschel, l’inventeur du cyanotype. Vers 1880, le fils de Margaret Brodie a fait relier l’ouvrage.

Marie-Victorin aurait-il acquis ce livre?

L’exemplaire de l’Université provient de la collection de l’Institut botanique de l’UdeM, fondé par le frère Marie-Victorin en 1920. Marie-Victorin a été responsable de cette collection. Aurait-il lui-même acheté l’ouvrage? L’Institut l’a-t-il reçu en don? On sait qu’entre 1938 et 1944 Marie-Victorin a effectué sept voyages à Cuba pour étudier la biodiversité de l’île et qu’une partie de ses recherches ont été encouragées par une certaine Fondation Atkins. Mais c’est une fausse piste, car il s’agit d’une autre famille Atkins! Cependant, il est possible que ce soit par l’entremise de cette fondation que Marie-Victorin soit devenu le détenteur de cet exemplaire. Il faudrait faire des recherches dans la correspondance de Marie-Victorin pour éclaircir ce mystère et peut-être comprendre comment l’ouvrage est passé des mains de la famille Herschel à l’Institut botanique.

L’ouvrage a été récemment numérisé et il pourra bientôt être consulté en ligne sur la plateforme Calypso de la Direction des bibliothèques de l’Université de Montréal.

  • Restauration de l'ouvrage

    Restauration de l'ouvrage

    Crédit : Benjamin Seropian
  • Restauration de l'ouvrage

    Restauration de l'ouvrage

    Crédit : Benjamin Seropian
  • Restauration de l'ouvrage

    Restauration de l'ouvrage

    Crédit : Benjamin Seropian
  • Restauration de l'ouvrage

    Restauration de l'ouvrage

    Crédit : Benjamin Seropian
  • L'ouvrage «British Algae: Cyanotype Impressions»

    Crédit : Benjamin Seropian

Restauration de l’ouvrage

Pour être enduite de sel ferrique et permettre la réalisation des cyanotypes, chaque feuille de papier doit être assez épaisse. Ce n’est pas possible d’utiliser du papier bible! Avec plus de 400 pages, le poids du livre est conséquent. La reliure en a d’ailleurs souffert. Une restauratrice est venue la recoller.

L’Université de Montréal a voulu, en faisant restaurer ce document exceptionnel de la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales, souligner le don remarquable de la Fondation Courtois à l’établissement. 

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