De l’anthropologie à l’aide humanitaire
- UdeMNouvelles
Le 10 août 2022
- Virginie Soffer
Invité par Cap campus, Philippe Blackburn, diplômé en anthropologie et ancien chef de mission en Afrique à Médecins sans frontières, a présenté son parcours à des jeunes du secondaire.
«J’avais 20 ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. Tout menace de ruine un jeune homme: l’amour, les idées, la perte de sa famille, l’entrée parmi les grandes personnes», a déclaré un jour le philosophe et journaliste français Paul Nizan.
«Il n’est pas évident d’être jeune et de trouver dans quelle direction s’orienter», a dit Philippe Blackburn, qui a commencé une conférence, le 29 juillet dernier, devant des jeunes de troisième, quatrième et cinquième secondaire par la citation de M. Nizan. Ce diplômé en anthropologie et chargé de cours au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal avait été invité par Cap campus pour y présenter ses parcours scolaire et professionnel. C’est devant un auditoire captivé qu’il a raconté ses multiples anecdotes de son expérience comme chef de mission en Afrique au sein de Médecins sans frontières (MSF).
Des sciences forestières à l’anthropologie
«À votre âge, je n’avais vraiment aucune idée de ce que j’allais faire dans la vie», a-t-il dit. Après une année de cégep en sciences humaines, il préfère partir dans les bois: il termine une technique en environnement forestier et travaille quelque temps en forêt.
S’ennuyant auprès des arbres, il entre à l’Université de Montréal et s’inscrit à la mineure personnalisée, où il mêle des cours de philosophie, de psychologie, de droit, d’anthropologie et de sociologie. Il se prend alors de passion pour ses études en anthropologie, qui lui permettent de mieux comprendre les interactions entre les humains dans différentes sociétés. Il poursuit ainsi sa scolarité au baccalauréat et à la maîtrise.
Travailler pour Médecins sans frontières
C’est par hasard que Philippe Blackburn a travaillé dans l’humanitaire. Après sa maîtrise, un de ses amis, qui revenait d’une mission humanitaire avec Médecins sans frontières, l’informe que l'ONG recherche des logisticiens pour gérer différentes missions. Il postule, mais est refusé. Il se porte donc volontaire pour être bénévole. Un jour, il reçoit un appel pour prendre part à une mission au Congo. «Je suis parti avec une certaine appréhension. J’ai pris un vol pour Paris, puis je suis arrivé au Congo et là, j’ai été complètement séduit», a relaté celui qui a travaillé à Kinshasa.
Après le génocide des Tutsis au Rwanda, en 1994, de nombreux Hutus se sont réfugiés au Rwanda. «Je ne m’attendais pas du tout à cela: j’ai trouvé ma voie en étant dans un lieu où la guerre sévissait. Alors que les personnes autour de moi paniquaient, je me suis senti très calme et en possession de tous mes moyens», a-t-il ajouté.
Philippe Blackburn a suivi plusieurs formations et est devenu chef de mission. Il a eu l’occasion de travailler plus de 14 ans dans de nombreux pays africains: Congo, Burundi, Kenya, Cameroun ou encore Centrafrique. Il a été responsable d'une mission visant à mettre fin à l’épidémie de VIH-sida en 1998 au Malawi.
Accepter les imprévus
Une grande leçon qu’il retient de sa formation en anthropologie et de ses expériences professionnelles dans l’humanitaire est l’acceptation des imprévus.
«De nombreuses personnes vont à l’université pour avoir une meilleure prise sur le monde. Des étudiants vont en médecine pour mieux guérir certains cancers. D’autres vont en droit international pour, par exemple, comprendre ce qu’ils peuvent faire face à Vladimir Poutine. Mais la vie a une dimension complètement imprévue qui peut être très angoissante à assumer. Accepter la désorientation et que je n’avais pas un contrôle total sur toutes les situations m’a beaucoup aidé dans les nombreuses missions que j’ai pu réaliser», a révélé Philippe Blackburn.
Au fil de son parcours, il a dû faire face à de multiples situations imprévues. Ainsi, en 1996, un médecin qui travaillait avec lui dans un hôpital au Congo a reçu un patient atteint d’une péritonite. Le médecin de MSF a déclaré qu’il fallait l’opérer d’urgence, mais le personnel médical congolais s’y est formellement opposé, demandant que la famille du patient prenne la décision de le faire opérer ou non. Le médecin a compris que sa propre vie serait en danger s’il opérait immédiatement son patient sans l’accord de la famille. Que faire alors que la famille était à quatre jours de route et qu’il n’y avait pas encore de cellulaires? Philippe Blackburn a proposé d’attendre en maintenant le patient en vie. De la glace a été mise à l'endroit douloureux pour qu’il tienne jusqu’à l’arrivée de sa famille et il a pu être opéré ensuite.
L’éthique n’est pas abstraite
Une autre grande leçon que Philippe Blackburn retient est qu’il n’y a pas d’éthique abstraite: l’éthique est toujours en fonction d’une situation. Travaillant dans un contexte d’immense violence, il en est ressorti transformé. Il se souvient par exemple de cette situation terrible où sept membres de son personnel ont péri lorsque leur voiture a roulé sur une mine en Angola. Il a dû dire aux passagers de la voiture qui suivait de ne pas sortir du véhicule, car quand des mines sont destinées à faire exploser des voitures, des mines antipersonnel se trouvent souvent autour.
Ses études en anthropologie lui ont appris à se méfier d’une vision trop idéaliste et à observer le portrait général d’une situation avant d’agir.
Cap campus
Chaque été, Cap campus accueille plus de 500 élèves de troisième, quatrième et cinquième secondaire sur le campus de l’Université pour des activités gratuites, notamment des ateliers animés par des étudiantes et étudiants ainsi que des visites de milieux professionnels et d'enseignement et de recherche. «L’objectif est que les jeunes puissent faire un choix éclairé par rapport à leurs études et à leur carrière», mentionne Rim Jarmak, coordonnatrice de Cap campus.
Cette année, de grandes conférences ont été ajoutées. Les participants et participantes ont pu découvrir une diversité de parcours avec Agathe Ribéreau-Gayon, chercheuse postdoctorale en sciences médicolégales à l’Université du Québec à Trois-Rivières, Mathieu Nadeau-Vallée, médecin résident en anesthésie et «antidésinformateur» sur les réseaux sociaux, Nathalie Ouellette, astrophysicienne et coordonnatrice de l’Institut de recherche sur les exoplanètes, ainsi que Vanessa Blais-Tremblay, professeure associée au Département de musique de l’Université du Québec à Montréal et doctorante en musicologie avec une spécialisation en études féministes. Frantz Saintellemy, chancelier de l’UdeM, a également échangé avec d'autres jeunes.