L’acquisition du langage chez les nouveau-nés s’amorce-t-elle avant la naissance?
- UdeMNouvelles
Le 17 août 2022
- Martin LaSalle
Une équipe de recherche dirigée par Anne Gallagher tente de découvrir s’il est possible de faire des apprentissages langagiers avant la naissance, alors que bébé est encore dans le ventre de sa mère.
Faire entendre différentes langues à des bébés pendant la grossesse favoriserait-il l’acquisition d’apprentissages langagiers avant la naissance?
C’est ce que tente de déterminer une équipe de recherche du laboratoire LION dirigé par la professeure Anne Gallagher, du Département de psychologie de l’Université de Montréal et chercheuse en neuropsychologie au CHU Sainte-Justine.
L’hypothèse de départ repose sur la prémisse selon laquelle durant la grossesse – et plus particulièrement au dernier trimestre – les réseaux langagiers de l’enfant à naître sont modulés en fonction des sons et des voix auxquels il est exposé. Cela pourrait donc lui permettre de traiter et de reconnaître plus facilement ce qui lui est familier, dont sa langue maternelle.
«Nous croyons que, dès les premières heures de vie, la réponse du cerveau du bébé qui entendra des voix sera influencée par les langues qu’il aura entendues durant la gestation», indique la doctorante en neuropsychologie clinique Laura Caron-Desrochers, qui a mis en place ce projet ambitieux avec l’aide d’autres membres de l’équipe de la professeure Gallagher.
Se faire raconter une histoire dans le ventre de sa mère… en trois langues!
Pour vérifier cette hypothèse, l’équipe de recherche a recruté 72 femmes enceintes suivies au CHU Sainte-Justine qui ont été séparées en trois groupes.
Dans les deux premiers, les futures mères devaient faire écouter quotidiennement aux fœtus, par l’entremise d’écouteurs placés sur l’abdomen, la même histoire du personnage de Martine en deux langues – français et allemand ou français et hébreu – à compter de la 35e semaine de grossesse. Les femmes qui composaient le troisième groupe ou groupe témoin n’ont été soumises à aucun protocole.
«L’allemand et l’hébreu ont été choisis en raison de leurs propriétés rythmiques qui sont très différentes du français et ce sont deux langues qui diffèrent aussi de façon importante entre elles sur le plan phonologique, expliquent le doctorant en neuropsychologie Charles Lepage et la chargée de projet Phetsamone Vannasing. Cela nous permet d’évaluer tous les aspects de la langue et de mesurer la réponse et le développement du langage chez les nouveau-nés.»
Puis, dans les 48 heures suivant leur naissance, on refait entendre l’histoire, cette fois dans les trois langues, aux poupons, à qui l’on a installé un casque muni de capteurs qui mesurent l’activation cérébrale grâce à une technologie de spectroscopie proche de l’infrarouge.
Ces enregistrements de l’activité du cerveau seront effectués à différentes étapes de la croissance des enfants jusqu’à l’âge de trois ans afin de pouvoir observer la trajectoire du développement cérébral, langagier et cognitif.
Évaluer le développement du langage chez les enfants
Intitulé Étude du langage chez le nourrisson ou ÉLAN, ce projet qui s’est amorcé cet été et qui se poursuivra à l’automne a été lancé il y a quatre ans. Financé par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, il fait partie d'un programme de recherche en neuro-imagerie destiné à évaluer le développement des réseaux neuronaux du langage et les effets de la plasticité cérébrale chez les enfants en bas âge et en bonne santé.
Le projet ÉLAN vise plus spécifiquement à mesurer ce développement de la naissance jusqu’à l’âge de trois ans, en relation avec une exposition prénatale au langage.
«ÉLAN vise à mieux comprendre les trajectoires développementales des réseaux cérébraux et comment elles sont associées à l’évolution des habiletés cognitives, langagières et motrices des enfants en bas âge, conclut Anne Gallagher. Il y a plusieurs études sur ce sujet, mais leurs méthodologies ne permettent pas de cerner des trajectoires développementales précises et notre projet devrait pallier cette lacune en suivant une cohorte à travers le temps dès la naissance.»
À noter que le projet ÉLAN est piloté par Natacha Paquette, neuropsychologue et coordonnatrice du laboratoire LION, et s’inscrit dans une vaste initiative visant à mettre sur pied une base de données normatives en spectroscopie proche de l’infrarouge (Near Infrared Spectroscopy ou NIRS) à laquelle contribuent Laura Caron-Desrochers, Sarah Provost, Laurence Petitpas et Charles Lepage. Y participent également Phetsamone Vannasing et l’ingénieure Julie Tremblay, qui assure l’analyse des données de l’ensemble des projets du laboratoire LION.