Élections Québec 2022: le vote des jeunes pèse dans la balance

De gauche à droite: Emmanuelle Latraverse, Thomas Mulcair, Chantal Benoît-Barné et Frédérick Bastien.

De gauche à droite: Emmanuelle Latraverse, Thomas Mulcair, Chantal Benoît-Barné et Frédérick Bastien.

Crédit : Benjamin Seropian

En 5 secondes

La «discussion électorale» organisée par la Faculté des arts et des sciences de l’UdeM a mis en relief l’importance de s’intéresser à la politique et d’aller voter le lundi 3 octobre.

Qu’est-ce qui caractérise la campagne électorale qui se déroule au Québec? En quoi est-elle intéressante et pourquoi devrait-on lui porter une grande attention?

L’analyste politique Emmanuelle Latraverse, l’ex-politicien Thomas Mulcair ainsi que les professeurs Frédérick Bastien et Chantal Benoît-Barné, respectivement du Département de science politique et du Département de communication de l’Université de Montréal, ont fourni des éléments de réponse à ces questions à l’occasion d’une discussion sur la campagne électorale provinciale organisée par la Faculté des arts et des sciences de l’UdeM et animée par la journaliste Chantal Srivastava.

L’activité, qui a réuni une centaine de personnes le 21 septembre, visait aussi à souligner le 25e anniversaire du baccalauréat bidisciplinaire en communication et politique de l’Université.

Voici un survol des principaux sujets abordés à cette conférence, que vous pouvez voir ou revoir en cliquant ici.

Une campagne «extraordinaire»… marquée par la division

Thomas Mulcair

Thomas Mulcair

Crédit : Benjamin Seropian

Premier à prendre la parole, Thomas Mulcair a soutenu que l’actuelle campagne revêt un caractère «extraordinaire» étant donné que l’électorat québécois a le choix entre cinq principaux partis.

«Si l’on considère que les intentions de vote pour la Coalition Avenir Québec [CAQ] s’élèvent à 38 %, cela signifie que plus de 60 % de la population souhaite un changement… qui n’arrivera pas compte tenu de la division des quatre partis d’opposition», a souligné l’ancien professeur invité du Département de science politique de l’UdeM.

Pour Chantal Benoît-Barné, la campagne s’avère intéressante notamment «parce qu’on assiste à une communication à cinq chefs dont la maîtrise du discours – la rhétorique – est très bonne».

Signalant que c’est «la première campagne à cinq partis compétitifs», Frédérick Bastien a dit relever «des éléments plus marqués de violence et de manque de civisme dans la population auxquels les candidats sont confrontés».

Pour Thomas Mulcair, certains chefs ont eux-mêmes des propos qui sèment la division au sein de la population. «Assimiler l’immigration à la violence, même si François Legault s’est excusé, est un propos qui contribue à la division, laquelle fait partie de la stratégie politique du chef de la CAQ», a-t-il mentionné.

S’intéressant au point de vue de l’électeur dans ses travaux de recherche, Frédérick Bastien a fait remarquer que le comportement électoral des Québécois a évolué au cours des 20 dernières années: «Avant, l’enjeu de la souveraineté s’imposait tandis qu’aujourd’hui il est davantage question de la gestion de la diversité culturelle et religieuse ainsi que des changements climatiques et les partis se recentrent et affichent leurs différences.»

Médias: un rôle à revoir

Emmanuelle Latraverse

Emmanuelle Latraverse

Crédit : Benjamin Seropian

Ayant couvert la politique pendant plusieurs années sur la colline du Parlement à Ottawa, Emmanuelle Latraverse croit que les grands médias doivent «revoir la façon dont ils couvrent la politique parce qu’ils ne peuvent plus revendiquer leur supériorité morale et intellectuelle sur la classe politique et les politiciens le savent».

Frappé par l’envergure des moyens déployés par les médias pour couvrir la campagne, Frédérick Bastien est aussi d’avis que «l’autorité de la presse sur l’espace public tend à s’éroder au profit des autres canaux où les politiciens doivent être présents. Cependant, tous les politiciens ne parviennent pas à s’adapter à ces canaux».

«Les politiciennes et les politiciens ont maintenant l’occasion de s’adresser directement à l’électorat et leurs stratégies de communication sont axées sur la force du discours qui s’adresse tant à l’individu qu’au collectif, a estimé Chantal Benoît-Barné. Le côté spectacle de la politique va rester, et ce n’est pas que du divertissement: pour faire passer un message, ça prend un côté artistique et c’est correct.»

Pour Emmanuelle Latraverse, «le problème est que les médias sociaux sont des chambres d’écho où les gens sont nourris par des algorithmes qui leur proposent du contenu reflétant leurs propres opinions et c’est pourquoi les médias traditionnels demeurent la meilleure source où s’informer, même s’il y aura toujours des améliorations à apporter dans la couverture d’une campagne électorale».

Repenser la cohésion sociale

Chantal Benoît-Barné

Chantal Benoît-Barné

Crédit : Benjamin Seropian

Revenant sur la controverse qu’ont suscitée les propos du chef de la CAQ lorsqu’il a associé immigration et violence, Emmanuelle Latraverse a déclaré qu’il «faut discuter de cohésion sociale lorsqu’on parle d’immigration pour éviter de marginaliser et de stigmatiser les personnes immigrantes». Selon elle, le véritable enjeu dans ce domaine est l’intégration de ces personnes à la société québécoise «et les chefs de parti ont la responsabilité de faire preuve de nuance».

Ce à quoi Chantal Benoît-Barné a répondu: «Il faut trouver une manière de parler de nos manières de parler! Certains manquent de vocabulaire pour aborder des enjeux liés à l’immigration; les mots ont un sens, il importe de réfléchir à leurs implications, mais on n’a pas toujours les ressources suffisantes pour réfléchir.»

Pour une réforme du mode de scrutin?

Frédérick Bastien

Frédérick Bastien

Crédit : Benjamin Seropian

«Comme Justin Trudeau au fédéral, François Legault avait promis de revoir le mode de scrutin et récemment il a allégué qu’une réforme électorale n’intéressait que les intellectuels, a déploré Thomas Mulcair. Il a brisé une promesse fondamentale après s’être surtout rendu compte que le système actuel l’avantage: c’est un politicien après tout!»

Aux yeux de Frédérick Bastien, «la prémisse de cet enjeu est que les partis au gouvernement sont des acteurs rationnels qui agissent en fonction de leurs intérêts. Je vois mal comment un parti majoritaire enclencherait une réforme du mode de scrutin qui le désavantagerait à l’élection suivante: ce serait là un cas de très grande abnégation!»

Selon le politologue, la possibilité de voir une réforme en ce sens est mince, mais elle existe: «Si l’on se retrouvait dans une situation où, élection après élection, aucun parti ne parvenait à former une majorité et si la fragmentation actuelle s’avérait durable, peut-être que des acteurs politiques en proportion suffisante pourraient y voir un intérêt stratégique: tout est question de contexte.»

«Mon vote compte-t-il?»

À un participant qui a demandé s’il valait le coût d’aller voter en sachant que la course est gagnée d’avance dans sa circonscription, Emmanuelle Latraverse a eu cette réponse: «Le vote compte toujours! Il y a des châteaux forts qui tombent – Thomas Mulcair à la tête du Nouveau Parti démocratique n’a-t-il pas gagné dans la circonscription traditionnellement libérale d’Outremont au fédéral? C’est toujours important d’aller voter!»

Ce dernier a d’ailleurs fait remarquer que s’exprimer sur les médias sociaux est une chose, «mais ces médias ne décident de rien: il faut trouver ne serait-ce qu’un petit moment pour s’intéresser à la politique, car les décisions qui se prennent au Parlement ont des répercussions dans nos vies… Et pour aller voter!»

Rappelant que les taux de participation aux élections provinciales affichent une tendance à la baisse depuis plusieurs années, Frédérick Bastien espère voir les jeunes aller voter en plus grand nombre. «En 2018, 40 % des 18 à 29 ans appuyaient Québec Solidaire, mais c’est la tranche d’âge qui a le moins voté», a-t-il indiqué.

«En 2015, Justin Trudeau a été élu parce que les jeunes ont voté pour lui et, si son parti est devenu minoritaire en 2018 et en 2021, c’est parce qu’il a perdu le vote des jeunes», a insisté Emmanuelle Latraverse.

Chantal Benoît-Barné a conclu en affirmant qu’on avait «une belle campagne avec de belles rhétoriques de la part de candidats qui s’adressent directement aux jeunes et qui les rejoignent dans leurs valeurs: si la CAQ semble se diriger vers une victoire, la nouvelle génération se sent de plus en plus interpellée – plus qu’en 2018».

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