Renaud Gagné: voyager à travers les millénaires pour mieux saisir le présent

Renaud Gagné

Renaud Gagné

Crédit : Amélie Philibert | Université de Montréal

En 5 secondes

Le spécialiste de religion et littérature de la Grèce antique, Renaud Gagné, qui enseigne à Cambridge, est de retour à l’UdeM le temps d’une année sabbatique.

C’est à travers les riches récits d’une tante fascinée par la religion de la Grèce ancienne que Renaud Gagné s’est pris de passion très jeune pour les mythes et les textes grecs.

«Ça m’a toujours habité. Je savais que je voulais devenir historien et, adolescent, j’étais déjà très intéressé par le Moyen Âge, notamment par les croisades. C’est pourquoi j’avais entrepris d’apprendre le latin et l’arabe avant mes études universitaires et je m’intéressais beaucoup au mélange des cultures dans le Proche-Orient des 12e et 13e siècles. Très vite, j’ai réalisé qu’il fallait que je remonte plus loin dans le passé pour mieux comprendre ces civilisations en dialogue. Des chemins détournés m’ont ramené jusqu’à l’Antiquité grecque, ce terrain de métissage qui s’étend sur tant de siècles et tant de pays, et je n’ai jamais réussi à m’en dégager», raconte Renaud Gagné.

Étudier à l’UdeM, puis enseigner à Cambridge

Renaud Gagné s’est inscrit au baccalauréat, puis à la maîtrise en études classiques, dans ce programme de l’Université de Montréal qui venait de se mettre en place. «J’ai tout de suite rencontré une équipe très dynamique, pleine d’espoir et d’ambition ainsi que des étudiants et étudiantes qui, comme moi, étaient fascinés par ces matières», se souvient le lauréat de la Médaille académique du Gouverneur général du Canada.

Il a fait son doctorat à l’Université Harvard et a ensuite enseigné durant quelques années à l’Université McGill avant d’être sollicité pour occuper un poste à l’Université de Cambridge, où il est depuis plusieurs années professeur titulaire de religion et littérature de la Grèce antique. Il a publié notamment l’ouvrage Ancestral Fault in Ancient Greece, qui retrace l’histoire du châtiment divin à travers les générations, de ces individus punis pour les crimes de leurs ancêtres, sur plus de 1000 ans de culture grecque et plus de 1000 ans de réception chrétienne de cette matière antique. Notons aussi Cosmography and the Idea of Hyperborea: A Philology of Worlds, qui propose un modèle de philologie anthropologique pour étudier l’écriture des mondes dans la longue durée que nous dévoile l’Antiquité. Il a également fait paraître plusieurs ouvrages collectifs, en français et en anglais, entre autres sur l’histoire du comparatisme culturel, sur l’anthropomorphisme des dieux grecs, sur le chœur tragique et sur l’étude comparée du sacrifice humain. Il travaille actuellement sur un livre provisoirement intitulé Writing Cult: The Ritual Archive of Ancient Greek Literature, où il s’intéresse à l’écriture du rituel grec de même qu’à son interprétation. Comment le texte constitue-t-il le rituel en objet de représentation et d’exégèse? Comment des siècles d’écritures croisées en viennent-ils à former une tradition?

Dans son plus récent ouvrage, qui porte sur les Hyperboréens, Renaud Gagné s’attache à décrire l’histoire d’un pays qui n’existe pas, d’un peuple imaginaire sur lequel les Grecs n’ont jamais cessé de projeter leurs visions de la distance absolue. «Cela partait d’une curiosité au hasard de mes lectures des auteurs anciens, la riche et étrange histoire d’Hyperborée, et cela s’est transformé en réflexion plus générale sur l’écriture des mondes. Comment est-ce qu’une tradition culturelle écrit-t-elle un monde sur l’autre à travers le temps et les genres?» interroge-t-il.

Passionné par l’enseignement, il prend des notes à chacune de ses lectures, se demandant comment il pourrait s’en servir pour parler à ses classes et dans quel contexte.

De retour à l’UdeM

«C’est un bonheur de retrouver l’UdeM, Montréal et la culture intellectuelle en place ici», dit celui qui a passé plus de 20 ans éloigné de son alma mater.

Le prochain trimestre, Renaud Gagné donnera un cours d’interprétation et de grammaire sur Platon. Cet automne, il donne un cours de poésie lyrique destiné à ceux et celles qui ont déjà un niveau avancé de grec ancien. Ils analysent différents textes lyriques, comme les Épinicies de Pindare ou les poèmes de Sappho, étudiant ainsi la représentation du désir, de la vie intérieure et des passions uniques qui animent la grande poète.

Un domaine rempli de nouvelles découvertes

Récemment, des morceaux de papyrus comprenant des fragments de textes de Sappho elle-même ont été retrouvés dans les sables d’Égypte. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, les études classiques sont un domaine où la matière se renouvelle constamment et profondément. En parallèle à ce qui se passe avec la culture matérielle, on trouve régulièrement de nouvelles inscriptions, de nouveaux textes sur papyrus ou parchemin. De nouvelles technologies permettent de révéler les textes de palimpsestes qui étaient jusqu’à présent illisibles. «De nouveaux textes viennent constamment bouleverser ce qu’on croyait savoir», note Renaud Gagné. Ces découvertes demandent un travail d’analyse d’une grande rigueur et de longue haleine. Par exemple, l’Université d’Oxford conserve une très riche collection de papyrus mise au jour en Égypte qui est étudiée depuis la fin du 19e siècle. Aujourd’hui, après plus de 100 ans d’analyse, seule une infime partie de la collection a été publiée. De façon plus marquée, Renaud Gagné souligne le fait que les techniques d’analyse, les questions relatives aux sources et les réponses qu’on accepte sont en mutation perpétuelle, et la recherche actuelle est en pleine période d’effervescence et d’innovation. L’étude des littératures, de la philosophie, de l’histoire, de l’art et de la culture matérielle et de la linguistique des cultures classiques est un immense terrain d’expérimentation interdisciplinaire. Jamais il n’a été plus riche de possibilités.

La modernité de l’Antiquité et sa féconde altérité

Les études classiques, un domaine du passé? Pas vraiment!

«Cette matière a un rôle crucial à jouer, si ce n’est que pour rappeler la densité du passé et sa permanence pour contrer les limites du présentisme dominant aujourd’hui! Lorsqu’on est capable de développer une mémoire du temps long, qui nous permet de voyager à travers les millénaires et de relier tout cela ensemble de façon cohérente, cela approfondit notre façon de répondre aux questions complexes», déclare Renaud Gagné.

Il prend pour exemple le multiculturalisme dans l’Empire romain, particulièrement fascinant à observer. Cela dans une société complexe qui rassemble toute la Méditerranée et ses pays environnants durant plusieurs siècles de domination impériale et qui façonne un langage de représentation et de vie en commun qui va continuer à résonner bien au-delà de l’Antiquité. L’Antiquité classique est très moderne dans sa différence et peut constamment éclairer notre présent! Elle n’appartient ni à l’Occident qui construit ses mythes ni aux antiquaires qui veulent la classer bien sagement dans leurs cabinets. C’est une force vive.

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