Comment devient-on «incel»?

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Dans son doctorat en criminologie, Caroline Deli cherche à comprendre les parcours de vie qui mènent des hommes à se qualifier de «célibataires involontaires».

Les incels (mot-valise formé à partir de involuntary et celibates ou, en français, «célibataires involontaires») forment des communautés en ligne dont les membres se définissent comme étant incapables de trouver une partenaire amoureuse ou sexuelle. Ces hommes, majoritairement cisgenres et hétérosexuels, blâment les femmes et leur libération sexuelle, sociale et économique pour leur absence de relation.

Quel chemin mène à intégrer une telle communauté marquée par la haine et la misogynie? Quels sont les évènements de leur vie qui les poussent à s’identifier comme célibataires involontaires?

Telles sont les questions auxquelles tente de répondre Caroline Deli dans son doctorat supervisé par les professeurs de l’École de criminologie de l’Université de Montréal Jean Proulx et Samuel Tanner.

Par des entrevues centrées sur les trajectoires de vie, la doctorante souhaite mieux comprendre les causes de ce phénomène et les actions violentes ou non qui en découlent, telles les tueries que nous connaissons, mais aussi les incivilités du quotidien, comme le fait de renverser volontairement son café sur une femme ou lui claquer la porte au nez.

Nourris par la misogynie

Caroline Deli explique qu’une grande partie des incels se voient de façon très négative: ils se disent physiquement laids, inaptes à se comporter socialement et ils rapportent des difficultés sur le plan social qui les empêchent d’entrer convenablement en contact avec les autres. Ils sont donc célibataires, mais ce n’est pas leur choix.

À leurs yeux, la faute revient plutôt aux femmes et aux féministes, qui ont changé la société et acquis trop de pouvoir. Selon eux, ce sont les femmes qui choisissent leurs partenaires et elles ne choisiraient que les hommes les plus séduisants, les plus riches et avec le plus haut statut social. Les célibataires involontaires nourrissent donc beaucoup de ressentiment à l’égard des femmes, qui les rejettent au bas de l’échelle sociale, mais aussi envers ces hommes qui «réussissent».

«Cette idéologie est le reflet de certaines dynamiques sociales qui existent encore entre les hommes et les femmes, croit Caroline Deli. Même en dehors de ces groupes en ligne, certains hommes croient sincèrement que les hommes sont devenus victimes des femmes, qu’on a accordé trop de pouvoir à ces dernières.»

Et dans certains cas, les hommes se dirigent vers les forums en ligne pour déverser leur fiel et, parfois, ils se radicalisent.

L’amplification sur le Web

Caroline Deli lance l’hypothèse que la route vers l’inceldom (le fait d’être incel) peut partir d’une souffrance liée à la solitude et à l’absence de relations humaines profondes. Habités par cette douleur, ces hommes trouvent refuge dans une communauté de soutien en ligne dont les membres partagent les mêmes défis et conceptions.

Ils peuvent alors exprimer librement leur haine et leur désespoir, ce qui peut être exutoire, mais aussi exacerber leurs émotions négatives. «Sur les forums, les échanges, anonymes, peuvent rapidement prendre de l’ampleur. La dynamique de groupe favorise le développement d’un sentiment d’appartenance et donc le renforcement des croyances. Les incitations à la violence fusent et, éventuellement, certains passent à l’acte», résume la doctorante.

C’est donc en espérant contribuer à désamorcer ce phénomène potentiellement dangereux que Caroline Deli s’intéresse aux trajectoires de vie des incels. «Je vois les conséquences de leur discours et leurs dissonances cognitives, mais je vois aussi la souffrance exprimée, mentionne-t-elle. Comme chercheuse, je m’efforce d’adopter une démarche bienveillante pour les écouter et les comprendre, eux, et pas seulement ce qu’ils écrivent sur Internet.»

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