Faire la lumière sur le fonctionnement des plantes

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Des biologistes de l'UdeM proposent de nouveaux modèles statistiques pour estimer plus vite les traits foliaires de nombreuses plantes, ce qui facilite le suivi des changements dans la biodiversité.

Pour comprendre comment les plantes réagissent à leur environnement et agissent sur lui, les écologistes utilisent souvent une série de mesures standardisées appelées «traits fonctionnels». Par exemple, la capacité d'une plante à effectuer la photosynthèse est influencée par des caractéristiques telles que la concentration d'azote dans les feuilles.

Cependant, la mesure de ces traits peut prendre beaucoup de temps, ce qui limite la quantité d'information que les scientifiques peuvent obtenir.

Une équipe de recherche de l'Université de Montréal a trouvé un moyen de contourner ces limites: elle a mis au point des modèles statistiques qui permettent d'estimer rapidement les caractéristiques foliaires de nombreuses plantes provenant d'un large éventail de paysages.

Dans une étude publiée aujourd'hui dans la revue New Phytologist, les chercheurs expliquent comment les spectres de réflectance – des mesures de la réflectance de la lumière sur des centaines de longueurs d'onde, bien au-delà de ce que l'œil humain peut voir – peuvent être utilisés pour estimer les caractéristiques rapidement et de manière non destructive, soit feuille par feuille, soit à distance sur des paysages entiers à l'aide de caméras sophistiquées montées sur des avions ou des satellites.

«Grâce aux nouvelles missions satellitaires comme EnMAP et PRISMA, nous pouvons maintenant mesurer de l'espace la réflectance spectrale de la végétation de vastes régions du globe, a déclaré l'auteur principal, Etienne Laliberté, professeur au Département de sciences biologiques de l'UdeM. Notre étude montre comment il sera possible de traduire ces données spectrales en informations écologiquement pertinentes sur le fonctionnement des plantes.»

Un modèle pour chaque trait

Pour estimer les traits fonctionnels à partir des spectres de réflectance, il faut disposer d'un modèle pour chaque trait, mais les modèles appropriés à la plupart des traits ne sont pas disponibles ou ont été élaborés pour ne fonctionner que sur une petite fraction non représentative de la vaste diversité végétale de la Terre.

Dans son article, l'équipe de l'UdeM a construit et validé un ensemble de modèles d'estimation des traits au moyen d'un ensemble de données de spectres de réflectance et de quelque deux douzaines de traits mesurés sur près de 2000 échantillons de feuilles recueillis par l'Observatoire aérien canadien de la biodiversité (CABO), qui comprend plus de 100 espèces d'arbres, d'arbustes, de graminées et d'autres plantes herbacées.

«Les échantillons couvrent un certain nombre d'écosystèmes, dont les tourbières et les savanes de chênes qui sont menacées par le changement climatique et l'utilisation des terres, a dit Shan Kothari, chercheur postdoctoral au laboratoire d’Etienne Laliberté lorsque la recherche a été menée. Nous avons établi les modèles à l'aide d'une technique statistique appelée “régression partielle des moindres carrés” et testé leur performance à la fois dans l'ensemble de données du CABO et sur des ensembles de données externes collectées par d'autres scientifiques.»

Résultats très précis

Les résultats se sont avérés très précis dans de nombreux cas. Les modèles de l'UdeM ont saisi plus de 80 % de la variation de nombreux traits fonctionnels importants des feuilles, notamment leur masse surfacique, leur concentration en cellulose et leur teneur en eau. Pour ce qui est des autres caractéristiques, l'exactitude des prédictions a varié considérablement: ainsi les pigments et les principaux nutriments ont été prédits avec une performance intermédiaire, tandis que de nombreux micronutriments n'ont pu être prédits que très faiblement.

«Tout écologiste végétal travaillant sur le terrain sait combien il est long de mesurer de nombreux traits fonctionnels, ce qui constitue une limitation majeure dans la découverte du fonctionnement des communautés végétales, a indiqué Shan Kothari. Nous espérons que la spectroscopie de réflectance pourra alléger ce fardeau et permettre aux écologistes de comprendre plus en profondeur les interactions entre les plantes et leur environnement.»

Rosalie Beauchamp-Rioux, cochercheuse, abonde dans le même sens: «Les spectres de réflectance sont une source inestimable d'informations – mais il faut d'abord pouvoir les déchiffrer. Notre étude devrait aider d'autres personnes à élaborer des techniques qui font appel à la télédétection des plantes pour mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes et ainsi mieux gérer et conserver la biodiversité.»

Des modèles plus généraux

Bien que l'ensemble des données de l’étude se limite principalement aux plantes canadiennes, les chercheurs affirment que la poursuite de la collecte et de la synthèse des données pourrait un jour permettre aux chercheurs de concevoir des modèles encore plus généraux, des modèles qui pourraient être utilisés pour estimer les caractéristiques de n'importe quelle plante sans avoir à effectuer de validation approfondie.

«Pour former de tels modèles, il faudrait disposer de données sur les traits et les spectres d'une plus grande variété de biomes, y compris les écosystèmes tropicaux, désertiques et de la toundra, a mentionné Etienne Laliberté. Il serait ainsi beaucoup plus facile pour les écologistes de mesurer la fonction des plantes rapidement et à plus grande échelle, ce qui nous permettrait de détecter comment les communautés végétales réagissent au changement climatique.»

Selon lui, «la récente COP 15 à Montréal a attiré l'attention du monde sur la perte globale de la biodiversité, dont la diversité fonctionnelle est un aspect. Nous espérons que nos modèles permettront de mieux comprendre la perte ou la résilience de la diversité fonctionnelle dans les communautés végétales du Canada – et que cela aidera à répondre aux questions biologiques partout sur la planète».

  • Florence Blanchard, chercheuse au CABO et ancienne étudiante de maîtrise à l'UdeM, cherche des échantillons de feuilles dans la Réserve écologique du Pin-Rigide, à Franklin, au Québec.

    Crédit : Sabrina Demers-Thibeault
  • Cinq chercheurs du CABO (de gauche à droite: Florence Blanchard, Madeleine Trickey-Massé, Rosalie Beauchamp-Rioux, Sabrina Demers-Thibeault et Juliana Pardo) prennent des mesures spectrales dans la réserve de chênes de Cowichan Garry, près de Duncan, en Colombie-Britannique.

    Crédit : Etienne Laliberté

À propos de cette étude

L’article «Predicting leaf traits across functional groups using reflectance spectroscopy», par Shan Kothari et ses collègues, a été publié le 6 février 2023 dans la revue New Phytologist. Le financement a été assuré par une subvention Frontières de la découverte et le programme de bourses d'études supérieures du Canada du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada ainsi que par la Fondation canadienne pour l'innovation et le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies.

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