PFAS présentes dans l’eau potable au Québec: cinq municipalités en eau trouble

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Une équipe dirigée par le professeur de chimie environnementale Sébastien Sauvé a analysé les contaminants perfluorés (PFAS) dans 376 municipalités et 17 régions administratives du Québec.

Sébastien Sauvé

Sébastien Sauvé

Crédit : Florence Sauvé

Publiés dans la revue scientifique Water Research, les résultats d’une nouvelle étude sur la présence de substances per- et polyfluoroalkylées (per- and polyfluoroalkyl substances ou PFAS) dans l’eau potable sont préoccupants: presque la totalité des échantillons analysés en contenaient.  

Créées par le génie humain, ces substances chimiques, qualifiées d’éternelles, sont entrées dans notre vie quotidienne dans les années 1950. Avec leurs propriétés antiadhésives, imperméabilisantes et résistant aux fortes chaleurs, elles sont utilisées dans divers domaines industriels et produits de consommation courante: textiles, emballages alimentaires, mousses anti-incendies, revêtements antiadhésifs, cosmétiques dits hydrofuges, produits phytosanitaires… La liste est longue.

«Quelques études réalisées dans les dernières années démontrent qu’elles sont de nos jours présentes partout dans notre environnement et même dans l’eau potable», soutient Sébastien Sauvé, professeur au Département de chimie de l’Université de Montréal et coauteur principal de l’étude.

Comme on estime le nombre total des diverses PFAS conçues en laboratoire entre 5000 et 10 000, le professeur Sauvé et son équipe ont voulu savoir à quel point ces produits toxiques avaient contaminé les sources d’eau potable sur le territoire québécois.

Et les résultats obtenus ne laissent plus de doutes sur l’ampleur de la contamination: «Nous avons prélevé 463 échantillons dans 376 municipalités de 17 régions administratives du Québec et 99,3 % en contenaient assez pour que nous puissions détecter ces substances et les identifier dans notre laboratoire», explique le professeur Sauvé.

«Ce qui est plus préoccupant, c’est que les échantillons recueillis dans 5 municipalités québécoises dépassaient la nouvelle proposition d’objectif de Santé Canada, soit une quantité maximale de PFAS de 30 nanogrammes par litre [ng/L], annoncée pour consultation publique le 11 février dernier», poursuit-il.

Il y a plusieurs normes applicables pour les PFAS dans l’eau potable à travers le monde, mais à ce jour, aucune norme contraignante sur la concentration maximale de PFAS à ne pas dépasser dans l’eau potable au Québec et au Canada n’a été édictée. Alors, comment savoir s’il est prudent d’en consommer ou non?  

Il est impossible de formuler une réponse claire à cette question légitime. Selon Santé Canada, les stations de traitement d’eau potable s'efforcent de maintenir les concentrations de PFAS dans l'eau potable au niveau le plus bas qu'il soit raisonnablement possible d'atteindre. Le seuil proposé d’un maximum de 30 ng/L est une cible basée sur la capacité de traiter l’eau et les coûts engendrés pour la traiter. Il serait contreproductif d’investir trop d’efforts pour diminuer les concentrations au-dessous de la plage de 10-30 ng/L tant qu’on n’aura pas mieux documenté les autres voies d’exposition (par la nourriture, l’air ou les produits de soins personnels). C’est utopique de penser qu’il y a un seul seuil avec une perspective binaire selon laquelle à partir de 31 ng/L, c’est «dangereux» et que, en bas de 29 ng/L, «tout va bien». En ce moment, tous les pays du monde sont à revoir et à resserrer les règlementations sur les PFAS et elles vont continuer d’évoluer rapidement (fort probablement en suivant l’historique de tous les autres polluants, en devenant de plus en plus restrictives).

«Personnellement, avec les informations scientifiques sur les effets reconnus des PFAS sur la santé, je pense qu’il faut appliquer le principe de précaution et faire le maximum possible pour diminuer notre exposition à ces substances», déclare Sébastien Sauvé.

Quels sont les effets des PFAS sur la santé?

Les PFAS préoccupent la communauté scientifique, car ces produits ont été associés à des effets néfastes sur la santé, notamment une réduction de la réponse des anticorps à la vaccination, la dyslipidémie, une diminution de la croissance fœtale et le cancer du rein.

«Une multitude d’études ont démontré que certaines PFAS se bioaccumulent chez l'humain et la faune avec des effets toxiques potentiels. L’ensemble des travaux effectués à ce jour sont assez préoccupants pour que les autorités gouvernementales se penchent sérieusement sur le problème: Santé Canada, l'Agence de protection de l'environnement des États-Unis et l’Union européenne, entre autres, ont établi ou sont en voie d’établir des limites indicatives pour les PFAS dans l'eau potable. Ce n’est pas une règlementation contraignante, mais c’est un pas de plus dans la bonne direction», souligne l’équipe de recherche.

Répartition géographique inégale de la contamination aux PFAS

Afin d’avoir une vision claire de la contamination aux PFAS de l’eau potable au Québec, le professeur Sauvé et ses collègues ont créé une cartographie géographique des lieux contaminés. Des niveaux relativement plus élevés ont été trouvés le long de l’axe densément peuplé de la vallée du Saint-Laurent.  

Dans les échantillons d'eau du robinet provenant du fleuve Saint-Laurent, la concentration cumulée des PFAS détectées était relativement constante d'un endroit à l'autre et d'une année d'échantillonnage à l'autre, soit de 9,2 à 16 ng/L. Le traitement usuel de l’eau potable n’enlève que peu ou pas de PFAS.

«Notre étude met en lumière que les échantillons d'eau du robinet dont la source est le fleuve Saint-Laurent se situent souvent au-dessus du 95e percentile pour les concentrations de PFAS. En d’autres mots, ces échantillons font partie des 5 % des 463 échantillons de notre étude qui contiennent les plus grandes concentrations de PFAS», explique le chercheur.

Ces échantillons ont également révélé des taux de détection de 100 % pour le sulfonate de perfluoroéthylcyclohexane (PFECHS), une distinction importante par rapport à d'autres bassins versants où cette PFAS a été rarement décelée. Le PFECHS a été signalé dans des études antérieures en 2011, 2014 et 2022 dans les eaux de surface des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent. Il pourrait provenir de certains fluides hydrauliques utilisés dans les avions (inhibiteur de corrosion). Sa présence dans l’eau potable produite à partir du fleuve pourrait être liée à la contamination longue distance provenant des Grands Lacs laurentiens, ainsi que d’autres sources le long du fleuve.

En revanche, l'est de la province (Bas-Saint-Laurent, Côte-Nord, Gaspésie et Saguenay–Lac-Saint-Jean) était généralement caractérisé par de très faibles concentrations de PFAS.

De la rivière Richelieu à la rivière des Mille Îles

L’équipe de scientifiques a en outre détecté certaines PFAS dans l’eau potable issue de certaines rivières de la province. Ainsi, les échantillons d'eau du robinet dont la source est la rivière Richelieu, en Montérégie, présentaient des taux de PFAS relativement constants d'un endroit à l'autre et étaient semblables au profil moyen observé au Québec, sauf en ce qui concerne la présence inhabituellement élevée de perfluorobutane sulfonamide (FBSA), une PFAS utilisée dans les protecteurs de tissus.

Les échantillons d'eau du robinet provenant de la rivière des Mille Îles, au nord de Laval, différaient aussi de la plupart des autres échantillons prélevés au Québec. L’équipe de recherche y a décelé à quelques reprises des fluorotélomères, des molécules qui entrent dans la composition de PFAS employées dans les mousses utilisées lors d’incendies d’hydrocarbures. La présence de terrains d'entraînement pour les pompiers dans la région n’y est peut-être pas étrangère, selon l’équipe de recherche.

Abitibi-Témiscamingue et Lanaudière: des profils inhabituels

Deux lieux d’échantillonnage aux résultats très surprenants sont ressortis du lot et ont mené à des analyses supplémentaires. Le premier se situe dans la région de l'Abitibi-Témiscamingue et présentait une abondance inhabituellement élevée de PFHxS et de PFPeA. Les profils de PFAS étaient similaires pour les trois années consécutives d'échantillonnage et leurs concentrations totales étaient relativement hautes, jusqu'à 108 ng/L. Ces résultats pourraient être liés aux émissions locales de décharges ou aux processus d'extraction minière historiquement réalisés dans la région.

Le deuxième lieu qui a causé l’étonnement des scientifiques est situé dans la région de Lanaudière et a révélé une concentration totale de PFAS relativement élevée, de 68 à 82 ng/L, dont du PFPeA et du 6:2 FTS. Bien que la source de contamination reste à clarifier, le profil de contamination rappelle celui de certaines formulations actuellement utilisées dans les mousses anti-incendies et basées sur la chimie des fluorotélomères.

Une méthode de détection de haute technologie

L’étude du professeur Sauvé et de ses collèges a permis de valider une méthode de détection très sensible pour 42 PFAS dans l’eau potable, soit la chromatographie liquide à ultra-haute performance couplée à la spectrométrie de masse à haute résolution.

Des échantillons d'eau du robinet ont été prélevés dans tout le Québec au cours des étés et des automnes 2018, 2019 et 2020 dans des lieux d'accès public. Dans la plupart des cas, l’eau provenait d’un aqueduc alimenté par des sources d'eaux souterraines ou d'eaux de surface, à l’exception de quelques échantillons recueillis dans des puits privés.

  • Distribution géographique des sites d'échantillonnage d'eau potable recueillie au Québec pour la présente étude

Au sujet de cette étude

L’article «Target and Nontarget Screening of PFAS in Drinking Water for a Large-Scale Survey of Urban and Rural Communities in Québec, Canada», par Gabriel Munoz, Min Liu, Sung Vo Duy, Jinxia Liu et Sébastien Sauvé, a été prépublié en ligne dans Water Research le 15 février 2023. doi: https://doi.org/10.1016/j.watres.2023.119750.

L’étude a été financée par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et la Fondation canadienne pour l'innovation.  

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