Des bactéries au service de la justice

Le microbiome humain, ces colonies de bactéries qui vivent sur et autour de nous.

Le microbiome humain, ces colonies de bactéries qui vivent sur et autour de nous.

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Le professeur François-Joseph Lapointe et ses collègues réfléchissent sur les enjeux d’une utilisation potentielle de l’empreinte bactérienne pour établir l’identité judiciaire.

François-Joseph Lapointe, professeur du Département de sciences biologiques

François-Joseph Lapointe, professeur du Département de sciences biologiques

Pourra-t-on un jour nous identifier grâce à notre microbiome? François-Joseph Lapointe, biologiste et bioartiste, s’est associé à des collègues de tous les horizons pour étudier la question. «J’avais travaillé dans le passé avec Frédéric Bouchard et Vardit Ravitsky. M’est venue cette idée folle de regrouper plusieurs chercheurs et chercheuses autour d’un thème qui me fascine depuis que le microbiome humain a été découvert», raconte-t-il.

Le professeur du Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal s’intéressait en effet aux questions identitaires soulevées par le microbiome humain, ces colonies de bactéries qui vivent sur et autour de nous: «Les recherches ont montré qu’au moins la moitié de nos cellules ne sont pas d’origine humaine. Qu’est-ce que cela veut dire pour les individus, les espèces?» s’interroge-t-il. Poussant la logique de l’identité encore plus loin, le professeur a décidé de déposer une demande de subvention au programme Audace des Fonds de recherche du Québec. En 2019, son projet «Quand les bactéries font la loi: enjeux scientifiques, philosophiques, éthiques, politiques et légaux de l’utilisation du microbiome à des fins d’identification judiciaire» se voyait financé. Après nos empreintes digitales et notre matériel génétique, est-ce que nos bactéries pourraient révéler notre identité?

Sortir du cadre

Le projet a donné lieu à une série de capsules vidéos. «L’objectif n’était pas de faire de la recherche standard. Nous avons décidé de produire des capsules vidéos sur les différents enjeux de l’empreinte bactérienne», relate François-Joseph Lapointe. Le programme Audace finançait en effet des travaux de recherche audacieux et intersectoriels, qui sortent des cadres habituels. La question sur laquelle le professeur et ses collègues se sont penchés a effectivement de multiples ramifications: «C’est une question philosophique, éthique, biologique, politique et juridique», souligne-t-il.

En plus du professeur Lapointe, l’équipe était composée de Frédéric Bouchard, professeur de philosophie et doyen de la Faculté des arts et des sciences; Vardit Ravitsky, professeure de bioéthique; Christine Rothmayr Allison, professeure d’administration et de politique publique; Pierre Trudel, professeur de droit; Aliya Affdal, doctorante en bioéthique; Ely Mermans, docteur en philosophie; Vincent Mousseau, doctorant en criminologie; Simon St-Georges, doctorant en science politique; et le vétérinaire et vidéaste Charles Marsan.

Soulever des questions

Le projet a été ralenti par la pandémie, mais les résultats peuvent maintenant être visionnés en ligne gratuitement. «C’est le fruit de plusieurs années de travail et d’un montage qui a nécessité des heures et des heures», affirme François-Joseph Lapointe.

Les capsules vidéos sont une façon d’explorer les questions soulevées par l’utilisation potentielle des bactéries par le système de justice. «Nous avons fait appel à des chercheurs et des chercheuses dans différents domaines pour avoir leur avis sur l’empreinte bactérienne: est-elle utile? Est-ce qu’elle fonctionne? La science judiciaire a-t-elle un intérêt à l’utiliser et le corps policier est-il formé pour ça?» décrit le professeur. Parce que, selon l’équipe, il est évident que cette méthode sera un jour employée: «La question, ce n’est pas si l’on va utiliser l’empreinte bactérienne un jour pour l’identification, mais plutôt si l’on est prêt à faire face aux enjeux quand elle le sera.»

Multiplier les collaborations

Grâce à ce format vidéo, les résultats de la recherche sont accessibles plus largement qu’aux seuls scientifiques et spécialistes (une publication dans la Revue canadienne de bioéthique a aussi examiné les enjeux du travail interdisciplinaire). «On entend de plus en plus parler de microbiome; là, c’est accessible à tous», remarque François-Joseph Lapointe.

Les retombées de ce projet vont bien au-delà des capsules. En plus de ses nombreuses conférences prononcées sur le sujet, le professeur a été invité pour une année d’études et de recherche à l’Université Paris-Panthéon-Assas, une invitation inattendue pour celui qui n’est ni juriste ni avocat. Il compte ainsi utiliser les vidéos dans le séminaire sur l’utilisation des bactéries en droit qu’il donnera à des étudiants, juristes, policiers. «C’était exactement l’objectif de ce projet», constate-t-il. Le projet a également ouvert une collaboration avec le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale, à Montréal, qui espère grâce à l’empreinte bactérienne mieux comprendre les détails de certains crimes. En effet, comme les microbiomes cutané, oral et sexuel diffèrent, on pourrait par exemple raconter l’histoire d’une agression sexuelle.

François-Joseph Lapointe a par ailleurs collaboré avec le Laboratoire extérieur de recherche en thanatologie humaine de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Les bactéries recueillies permettent dans ce cas d’estimer le temps depuis le décès. «C’est l’intérêt des projets financés par le programme Audace: ils réunissent des gens qui normalement ne travaillent pas ensemble», résume-t-il.

Pour faire suite à Audace, les Fonds de recherche du Québec sont en train de mettre sur pied le programme Prisme, qui intègre les arts. «Je ne peux qu’applaudir à cette initiative», mentionne celui qui est aussi artiste et qui veut miser de plus en plus sur ce qu’il appelle la «paradisciplinarité». «À mon avis, c’est le plus intéressant, surtout qu’à l’UdeM on a une faculté des arts et des sciences. Je pense que c’est une force pour notre université», avance le professeur Lapointe. Pour clore sa carrière, il souhaite en effet continuer à sortir du cadre. «Je veux défricher de nouveaux terrains, poser de nouvelles questions… C’est sans contredit ce qui m’intéresse pour l’avenir», conclut-il.

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